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Commande-une-franchise : Fyfe v. Vardy confirme la jurisprudence définissant la notion de « franchise »

Auteur(s) : Andraya Frith, Lucas Versteegh

Le 4 octobre 2018

Dans l’affaire Fyfe v. Vardy (exerçant ses activités sous le nom de Dial-a-Bottle), disponible en anglais seulement, un jugement sommaire a été rendu récemment par la Cour supérieure de justice d’Ontario. Les demandeurs réclamaient la résolution d’un contrat en vertu du paragraphe 6(2) de la Loi Arthur Wishart de 2000 sur la divulgation relative aux franchises (la « loi Arthur-Wishart ») au motif que le défendeur n’avait remis aucun document d’information. Les demandeurs ont également réclamé des dommages-intérêts, alléguant que les défendeurs avaient fait des déclarations trompeuses quant aux projections financières dans le cadre des communications précontractuelles. Même si dans cette affaire la question était de déterminer si la relation entre les parties était ou non celle de « franchisage » au sens de la loi Arthur-Wishart, la Cour s’est également prononcée, de façon plus générale, sur les dispositions de dénégation de responsabilité à l’égard des déclarations financières.

Contexte factuel

Comme le décrit la Cour, le service « Dial-a-Bottle » constitue en fait un « service rendu sur demande » pour l’achat et la livraison d’alcool. Le défendeur reçoit des appels de clients à un centre d’appels et achemine les demandes à un exploitant « Dial-a-Bottle » situé dans le territoire où le client se trouve. L’exploitant se charge ensuite d’acheter le produit alcoolisé demandé et de le livrer au client.

Avant de conclure un contrat, le défendeur a envoyé aux demandeurs un « modèle financier » dans lequel figuraient des prévisions de vente selon « le pire des scénarios » ainsi qu’un courriel contenant des prévisions financières explicites pour certains territoires de la région de Toronto. Le modèle financier contenait une clause de dénégation de responsabilité générale précisant que Dial-a-Bottle « [traduction] ne donne aucune garantie quant au bénéfice, puisque chaque propriétaire est maître de sa propre entreprise ». Aucune autre information n’a été fournie.

En mai 2015, les demandeurs ont décidé de devenir des exploitants Dial-a-Bottle. Les demandeurs et le défendeur ont conclu un « contrat d’exclusivité » conférant aux demandeurs le droit d’exploiter une entreprise Dial-A-Bottle dans deux territoires précisés. Le contrat d’exclusivité stipulait expressément que les demandeurs n’achetaient pas une franchise. En sus du prix d’achat initial de 40 000 $, les demandeurs verseraient au défendeur des « frais de gestion » de 3 $ par commande remplie. Le contrat prévoyait par ailleurs que le défendeur serait considérablement engagé dans l’entreprise des demandeurs, notamment en ce qui concerne la prise de toutes les commandes, la commercialisation de l’entreprise et la gestion d’une grande partie des autres activités quotidiennes.

Après une année d’exploitation qui s’est avérée infructueuse, les demandeurs ont demandé la résolution du contrat au motif que le défendeur n’avait pas remis un document d’information relative aux franchises. Les demandeurs ont également réclamé des dommages-intérêts, alléguant que le défendeur avait fait des déclarations trompeuses dans le cadre des communications précontractuelles.

Le défendeur n’a pas contesté le fait de ne pas avoir fourni un document d’information, mais a adopté la position selon laquelle le contrat n’était pas un contrat de franchisage, de sorte qu’il n’était pas tenu d’en fournir un. Le défendeur a également allégué n’avoir fait aucune déclaration trompeuse, dans la mesure où le modèle financier contenait une mention de dénégation de toute promesse ou garantie, et que les prévisions financières figurant au courriel précontractuel concernaient uniquement des territoires de la région de Toronto (et, par conséquent, ne s’appliquaient pas aux territoires des demandeurs, soit Richmond Hill/Thornhill et Aurora/Newmarket).

Décision de la Cour supérieure de l’Ontario

La Cour a rendu un jugement sommaire partiel en faveur des demandeurs, accordant la résolution du contrat d’exclusivité ainsi que des dommages-intérêts pour cause de non-divulgation en vertu de la loi Arthur-Wishart. Certains dommages-intérêts réclamés par les demandeurs n’ont toutefois pas été accordés faute de preuve suffisante et ne pouvaient l’être que dans le cadre d’un procès. La réclamation des demandeurs au motif de fausses déclarations a été rejetée.

Résolution

Dans un premier temps, la Cour devait analyser si la relation entre les parties était une relation de franchisage. La Cour a cherché à déterminer si la relation satisfaisait les trois critères associés à la notion de « franchise » au sens de la loi Arthur-Wishart : i) le franchisé est tenu d’effectuer un ou des paiements périodiques au franchiseur au cours de la durée de l’exploitation de l’entreprise (ou comme condition à l’acquisition de l’entreprise); ii) le franchisé obtient le droit de vendre ou de distribuer des biens ou des services qui sont essentiellement associés à la marque de commerce, à l’appellation commerciale ou autre symbole commercial appartenant au franchiseur; et iii) le franchiseur exerce un contrôle important sur le mode d’exploitation du franchisé, ou lui apporte une aide importante à cet égard.

Suivant la jurisprudence, la Cour n’a pas tenu compte de la déclaration explicite contenue dans le contrat d’exclusivité selon laquelle la relation n’était pas une relation de franchisage. La Cour a ensuite eu un peu de mal à établir que la relation entre les parties répondait à la définition donnée par la loi : le prix d’achat initial et les frais de gestion permanents constituaient des paiements suffisants pour satisfaire le premier critère; les demandeurs utilisaient manifestement la marque de commerce en exploitant leur entreprise sous le nom de « Dial-a-Bottle Richmond Hill »; le défendeur exerçait un contrôle important sur les principaux volets des activités des demandeurs, y compris sur la gestion générale des commandes et sur les activités de marketing. La Cour a déclaré que l’entente intervenue entre les parties créait une relation de franchisage et, vu l’absence d’un document d’information, que les demandeurs avaient un droit de résolution à l’égard du contrat.

Par conséquent, les demandeurs avaient le droit de se voir rembourser le prix d’achat initial de 40 000 $, de même que les « frais de gestion » versés au franchiseur. Toutefois, les demandeurs n’ont produit ni feuilles de calculs ni pièces justificatives établissant le montant des frais de gestion qu’ils avaient versés. Par conséquent, ces frais ne leur ont pas été accordés.

Il est intéressant de noter que, plutôt que de calculer simplement les pertes en vertu de l’alinéa 6(2)d) de la loi Arthur-Wishart relativement à la requête en résolution des demandeurs, la Cour s’est ensuite fondée sur l’article 7 (dommages-intérêts pour cause de présentation inexacte des faits ou de non-divulgation dans un document d’information) pour évaluer le reste des dommages-intérêts réclamés. Comme il n’a pas remis de document d’information, le défendeur a omis de divulguer l’imposition d’amendes par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes pour violation des Règles sur les télécommunications non sollicitées établies en vertu de la Loi sur les télécommunications. La Cour a accepté la déclaration des demandeurs selon laquelle ils n’auraient pas signé le contrat d’exclusivité s’ils avaient été au courant des violations.

Ainsi, la Cour a accordé 50 000 $ en dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par l’un des demandeurs qui a quitté son emploi de gestionnaire immobilier pour se consacrer exclusivement à l’entreprise Dial-a-Bottle, de même qu’un montant d’environ 5 000 $ au titre des frais engagés pour déménager à Richmond Hill et y exploiter l’entreprise. Un montant de 30 000 $ avait été réclamé au titre des frais et des pertes d’exploitation, mais la preuve de ceux-ci n’a pas été établie adéquatement. La Cour a permis aux demandeurs de réclamer ultérieurement des dommages-intérêts dans le cadre d’un autre recours.

Fausse déclaration

La Cour a rejeté la réclamation de dommages-intérêts des demandeurs pour fausse déclaration dans l’information financière fournie par le défendeur. La Cour a conclu que la clause de dénégation de responsabilité figurant dans le modèle financier était suffisante et qu’il était évident que les prévisions financières présentées dans le courriel précontractuel ne s’appliquaient pas aux territoires des demandeurs.

Principaux points à retenir

Cette décision est un important rappel que les entreprises doivent être conscientes qu’il existe une possibilité qu’elles exploitent involontairement une franchise. Il s’agit d’une extension de la jurisprudence constante, comme les causes Chavdarova et Grill It Up, selon laquelle les tribunaux examineront la nature de la relation, sans égard aux déclarations expresses du contrat quant à cette nature.

En matière de divulgation d’information, cette cause sert également de rappel que les clauses de dénégation de responsabilité sont des ajouts importants aux déclarations susceptibles de ne pas s’appliquer à un franchisé en particulier. Toutefois, il faut savoir que l’analyse relative aux fausses déclarations est très limitée et qu’elle était possiblement inutile, puisque la résolution avait déjà été déclarée. L’affaire Fyfe v. Vardy s’ajoute à la jurisprudence grandissante sur les franchises « accidentelles » et sur l’analyse des relations commerciales par la Cour.