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Circonstances extrêmes : l’octroi d’une injonction est toujours difficile à obtenir en contexte de franchise

Auteur(s) : Gillian S.G. Scott

Le 4 octobre 2018

La décision de la Cour suprême de Terre-Neuve-et-Labrador dans l’affaire MTY Tiki Ming Enterprises v Azmy Enterprises Inc, 2018 NLSC 169 rappelle aux franchiseurs le combat difficile que peut représenter l’exécution de clauses restrictives par voie d’injonction après la résiliation du contrat de franchisage.

Contexte

Le demandeur, MTY Tiki Ming Enterprises Inc. (« MTY »), est le franchiseur de la chaîne de restaurants Extreme Pita.[1] Le contrat de franchisage intervenu entre MTY et le défendeur franchisé a expiré en août 2016. Le franchisé a continué de payer un loyer à MTY et a continué à exploiter l’établissement après l’expiration du contrat, mais a déclaré ne pas l’avoir fait en tant que franchise Extreme Pita, puisqu’il n’utilisait pas les produits et le menu du franchiseur. MTY a ultimement repris possession de l’établissement en septembre 2017. En novembre 2017, le franchisé a commencé à exploiter un nouveau restaurant de pita (Stuff-It Pita) sur la même rue, dans la localité de St. John’s.

Le contrat de franchisage contenait une clause de non-concurrence applicable après l’expiration du contrat interdisant au franchisé d’exploiter une entreprise concurrente dans le même territoire ou dans un rayon de 20 kilomètres de tout autre restaurant Extreme Pita, pendant une période de 12 mois suivant la fin du contrat.

L’une des questions à trancher dans cette affaire était de savoir si une prolongation de contrat de franchisage avait eu lieu. La Cour a déclaré, du moins pour les besoins de ce litige, que le contrat de franchisage n’avait pas été prolongé. Toutefois, la période de 12 mois stipulée à la clause restrictive était pratiquement écoulée au moment du dépôt de la requête. 

Analyse

La Cour suprême de Terre-Neuve-et-Labrador (la « Cour »), pour déterminer si elle devait octroyer une injonction interlocutoire, a appliqué le critère en trois volets établi par la Cour suprême du Canada dans RJR—MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général)[2] :

  1. il doit y avoir une question sérieuse à juger;
  2. le demandeur doit démontrer qu’il subira un préjudice irréparable si la demande d’injonction n’est pas accueillie;
  3. le demandeur doit démontrer que la prépondérance des inconvénients favorise la délivrance de l’injonction interlocutoire.

En ce qui concerne le premier volet du critère, la Cour a jugé que le seuil supérieur, celui d’établir une preuve prima facie, devait s’appliquer.  Se reportant à l’affaire R. c. Société RadioCanada,[3] la Cour a déclaré qu’en l’instance, la délivrance d’une injonction équivaudrait à rendre une décision définitive, dans la mesure où elle obligerait le franchisé à mettre la clé dans la porte de son entreprise. Quoi qu’il en soit, la Cour a conclu que MTY n’avait pas présenté une preuve prima facie pour deux raisons principales : 1) la restriction géographique imposée était floue; 2) MTY n’avait pas réussi à prouver que l’intérêt exclusif que la clause restrictive était censée protéger est effectivement protégé. La Cour a mentionné, toutefois, que le seuil inférieur, celui de la « question sérieuse » devant être tranchée dans le cadre d’un procès, aurait été satisfait par MTY.

La Cour a par la suite déclaré que le deuxième volet du critère n’avait pas été satisfait par MTY, car elle n’avait pas été en mesure de démontrer qu’elle avait subi ou subirait un préjudice irréparable. MTY n’a pas établi qu’elle a subi des pertes financières, une diminution de ses parts de marché ou réduction d’écart d’acquisition, ni que le public associe le restaurant Stuff-it Pita à la marque Extreme Pita. Bien que MTY ait fait état de nombreuses similitudes entre les concepts Extreme Pita et Stuff-It Pita, notamment les noms, les documents de marketing et les éléments du menu, ces seules preuves n’ont pas suffi à établir l’existence d’un préjudice.

Quant au dernier volet, la Cour a jugé que la prépondérance des inconvénients penchait en faveur du franchisé. Les principales raisons ayant mené à cette décision étaient les suivantes : 1) l’absence de preuve indiquant que le contrat de franchisage avait été prolongé et que, même s’il l’avait été, la période protégée était presque terminée; 2) l’absence de preuve de préjudices attribuables à une diminution de l’écart d’acquisition, à une atteinte à la réputation ou aux marques de commerce du franchiseur, ou encore de préjudices subis par d’autres franchisés existants; et 3) les investissements effectués par le franchisé dans son nouveau restaurant et les pertes consécutives qu’il subirait s’il était forcé de fermer son restaurant.

Principaux points à retenir

Les franchiseurs ont quelques leçons à tirer de cette décision. Premièrement, tout franchiseur qui dépose une requête devant la Cour dans le but d’obtenir réparation par voie d’injonction doit se présenter sous sont meilleur jour et préparé convenablement. Un tribunal ne voudra prendre aucune mesure susceptible d’avoir de graves conséquences sur les investissements et les moyens de subsistance d’autres parties, sans motifs valables. La preuve présentée par MTY, notamment la confusion entourant la durée du contrat de franchisage, la portée géographique de la clause restrictive et le défaut de démontrer un préjudice, a échoué.

Deuxièmement, le différend relatif à la prolongation ou au renouvellement possible du contrat de franchisage souligne le fait que les franchiseurs doivent s’assurer de maintenir des processus clairs destinés à documenter le renouvellement ou la prolongation de contrats de franchisage. Et encore plus important, ces processus doivent faire en sorte qu’aucun franchisé ne puisse continuer d’exercer ses activités après l’expiration de son contrat, à moins que les modalités de son renouvellement ou de sa prolongation n’aient été clairement établies et consignées.

Enfin, cette décision permet de rappeler aux franchiseurs que le seul fait d’ajouter dans un contrat de franchisage une disposition selon laquelle le franchiseur aura le droit d’exercer un recours en injonction si un franchisé contrevient à une clause restrictive applicable après la fin du contrat ne suffit pas pour se faire accorder un tel recours. Pour s’assurer de l’exécution d’une clause restrictive après la fin d’un contrat de franchisage, les franchiseurs devront présenter une preuve concluante de préjudice irréparable.

 

[2] [1994] 1 RSC 311

[3] 2018 CSC 5