Passer au contenu

L’action collective des apiculteurs du Québec est autorisée

Auteur(s) : Éric Préfontaine, Alexandre Fallon, Vanessa Cotric

Le 9 mars 2018

Le 20 février 2018, la Cour supérieure du Québec a accueilli une demande pour le compte des apiculteurs du Québec visant à faire autoriser une action collective dans Martineau c. Bayer Cropscience inc. contre des fabricants de pesticide pour des dommages qui auraient été déjà subis par les apiculteurs à la suite du préjudice causé par des insecticides soi-disant conçus, fabriqués, commercialisés, distribués et vendus par les défendeurs.

Préoccupations et conclusions de la Cour supérieure

Dans la présente affaire, le champ de bataille est centré sur la deuxième condition de l’article 575 du Code de procédure civile du Québec : « les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées; ». La Cour était préoccupée par la [traduction] « nature plutôt vague de certaines des allégations et par le fait que certaines allégations ne semblent pas véridiques. »

Par exemple, la Cour a conclu que contrairement aux allégations du demandeur, les défendeurs n’avaient pas dissimulé la toxicité potentielle de leurs produits pour la population des abeilles du Québec. De plus, les allégations de recherche et de fabrication négligentes ainsi que les allégations selon lesquelles les produits insecticides en jeu, les néonicotinoïdes, vont à l’encontre de la lutte antiparasitaire durable manquaient de précision.

Malgré ces conclusions, la Cour a statué que le demandeur a présenté une cause suffisamment défendable, et a notamment souligné que la méthode appropriée d’utilisation des néonicotinoïdes en litige semble avoir évolué pendant la période couverte par l’action collective (de 2006 à maintenant). Ce facteur joue en faveur de la cause du demandeur. De fait, l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (« ARLA ») a remis en question la durabilité de l’utilisation continue des néonicotinoïdes en jeu, ce qui s’est traduit par des changements aux pratiques d’application à la saison de croissance de 2013. La Cour a conclu que cette preuve est suffisamment probante pour respecter le seuil d’autorisation applicable, ce qui soulève de nombreuses questions et des enjeux potentiels quant au rôle du défendeur au cours de cette période.

L’influence réciproque entre la réglementation et la responsabilité alléguée

L’ARLA réglemente les activités des défendeurs dans le secteur de l’apiculture. Les défendeurs de Bayer faisaient notamment valoir qu’ils se sont entièrement conformés aux exigences de l’ARLA. En réponse, la Cour a statué ce qui suit :

[traduction] […] d’après la Cour, ni la vente des produits de néonicotinoïdes dans un environnement contrôlé ni la conformité totale par les défendeurs aux exigences de l’ARLA n’élimine la possibilité que [le représentant dans une action collective] puisse être en mesure de démontrer que les défendeurs ont commis une faute dans le cadre de la fabrication et de la vente des produits.

Cette conclusion tient lieu de mise en garde à l’endroit des défendeurs : les entreprises demeurent exposées à des allégations de responsabilité et à une demande d’autorisation d’actions collectives dans lesquelles la faute est alléguée, et ce, même lorsqu’elles se sont entièrement conformées aux exigences d’un organisme de réglementation.

Un essaim de facteurs

Fait important à souligner, bien que la Cour a conclu que la preuve présentée par le demandeur ne réglait pas clairement la question de savoir si les défendeurs avaient fabriqué les néonicotinoïdes qui auraient causé des dommages aux abeilles du demandeur, la Cour a « lu entre les lignes ». Elle a conclu qu’il était « raisonnablement démontré » que des résidus des produits fabriqués par les défendeurs ont été découverts dans les cadavres des abeilles du demandeur. Cette affaire constitue un exemple du seuil relativement faible des critères auxquels les représentants dans une action collective doivent actuellement satisfaire pour obtenir une autorisation au Québec : dans le cadre de cette approche, la Cour présume effectivement que le requérant sera en mesure de prouver les allégations formulées au procès, tant qu’elles ne sont pas trop vagues, générales ou imprécises, ce qui serait considéré comme des spéculations ou des hypothèses, ou tant qu’elles ne sont pas clairement contredites par des preuves incontestées.

De plus, il importe de souligner qu’au procès, il incombe encore au demandeur de prouver selon la prépondérance des probabilités le bien-fondé de sa cause. Cette norme de preuve civile s’applique dans l’ensemble du Canada. Ainsi, il ne serait pas plus facile pour les demandeurs de connaître du succès sur le fond au Québec que dans d’autres territoires canadiens.

La modification des normes au sein des industries dans lesquelles des défendeurs éventuels exercent leurs activités peut également favoriser un demandeur lorsqu’il est question d’intenter une action collective. Si un demandeur peut établir de façon raisonnable la preuve des préoccupations d’un organisme de réglementation quant à l’utilisation d’un produit en litige au fil du temps, cette preuve pourrait convaincre un tribunal qu’il y a matière à procès en ce qui concerne la responsabilité des défendeurs.