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L’AMF rappelée à l’ordre par la Cour supérieure

Auteur(s) : Fabrice Benoît, Frédéric Plamondon

Le 20 juin 2018

Il n’est pas fréquent de voir la Cour supérieure du Québec annuler une décision administrative rendue par l’Autorité des marchés financiers (« AMF ») où cette dernière refuse d’émettre ou révoque un permis (ou autorisation quelconque) en vertu d’une loi québécoise.

Or, dans le cadre d’un pourvoi en contrôle judiciaire, la Cour supérieure du Québec n’y va pas de main morte à l’endroit de l’AMF, notamment, lui reprochant son manque de rigueur dans le cadre d’une demande d’un permis pour l’exploitation d’un guichet automatique. Plus particulièrement, la juge est d’avis que l’AMF ne pouvait pas se satisfaire simplement d’une recommandation soumise par la Sûreté du Québec afin de refuser la délivrance du permis demandé. Selon la juge, l’AMF devait minimalement recourir à ses pouvoirs d’enquête afin de vérifier l’information transmise par la Sûreté du Québec, le tout, afin d’apprécier les observations soumises par la demanderesse. La juge a également reproché à l’AMF d’avoir exigé une certaine preuve documentaire qui n’était pas requise en vertu de la loi.

Contexte législatif

La Loi sur les entreprises de services monétaires (« LESM ») a été adoptée en 2010 dans le cadre d’une offensive menée par le gouvernement du Québec contre les crimes à caractère économique et financier. Cette loi impose, notamment, à toute personne et entité voulant exploiter un guichet automatique l’obligation d’obtenir de l’AMF un permis à cet effet.

Conformément à la LESM, l’AMF analyse les demandes et délivre les permis aux entreprises qui démontrent, notamment, la probité et les bonnes mœurs requises. La loi prévoit que la Sûreté du Québec (« SQ ») et les différents corps de police municipaux doivent collaborer avec l’AMF afin que celle-ci puisse réaliser son mandat d’analyse. Cette collaboration se matérialise par la transmission d’un rapport d’habilitation sécuritaire à l’égard de l’entreprise ayant fait la demande. Ce rapport indique les motifs pour lesquels il est recommandé ou non de refuser la délivrance d’un permis.

Avant de refuser ou de révoquer un permis, l’AMF doit notifier un préavis à l’entreprise ayant fait la demande afin qu’elle puisse présenter ses observations par écrit et fournir toute documentation pertinente.

9192-6899 Québec inc. c. Autorité des marchés financiers

Dans l’affaire 9192-6899 Québec inc. c. Autorité des marchés financiers, la demanderesse s’est vu refuser l’octroi d’un permis d’exploitation d’un guichet automatique dans le but d’en faire l’installation dans son bar (la « Décision »). La Décision de l’AMF est fondée sur une recommandation de la SQ, laquelle était basée sur ses rapports d’habilitation sécuritaire. Lesdits rapports faisaient état d’événements survenus au bar et ayant nécessité l’intervention de policiers. Selon l’AMF, la demanderesse et son dirigeant ne satisfaisaient pas à l’exigence de bonnes mœurs. L’AMF reproche par ailleurs à la demanderesse de ne pas avoir fourni de déclaration sous serment visant à attester la véracité de ses observations écrites.

Le 9 mars 2018, dans le cadre d’un pourvoi en contrôle judiciaire, la Cour supérieure du Québec a annulé la Décision et renvoyée le dossier devant l’AMF afin qu’elle rende une décision conformément à la LESM. L’Honorable Suzanne Ouellet est d’avis que la Décision ne possédait pas « les attributs de la raisonnabilité eu égard à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ».

D’abord, la juge a rappelé qu’un rapport d’habilitation sécuritaire fourni par la SQ n’est qu’une recommandation et que l’AMF n’est pas liée par celle-ci. La juge a également rappelé que l’exigence de « bonnes mœurs » prévue à la LESM doit être analysée non pas de façon subjective ou selon une opinion générale, mais plutôt selon une analyse individualisée et caractérisée par des faits. Or, les rapports fournis par la SQ dans ce dossier ne faisaient l’objet d’aucun détail sur la nature, les circonstances et l’issue des événements survenus. Dans ces circonstances, il était impératif que l’AMF exerce ses pouvoirs d’enquête afin de vérifier l’information transmise par la SQ, chose qu’elle n’a pas faite.

Cette enquête de l’AMF était d’autant plus importante dans la mesure où le président de la demanderesse niait catégoriquement avoir quelque responsabilité que ce soit avec les événements survenus. La juge a d’ailleurs reproché à l’AMF d’avoir évacué sans justification réelle les observations écrites de la demanderesse. En effet, la juge a noté que les observations écrites ne sont ni discutées et ni approfondies dans le cadre du processus décisionnel de l’AMF.

Finalement, alors que l’AMF reprochait à la demanderesse de ne pas avoir fourni de déclaration sous serment au soutien de ses observations, la Cour supérieure était plutôt d’avis que ce motif n’était pas justifiable en droit. En effet, la loi ne prévoit en aucun cas l’obligation de fournir de la documentation ou une déclaration assermentée au soutien d’observations écrites.  

Commentaire

Ce jugement est important puisqu’il aura certainement des répercussions dans plusieurs domaines juridiques où avant de rendre une décision, le décideur administratif a l’obligation de (i) notifier un préavis mentionnant les motifs qui justifient ladite décision et (ii) permettre à la personne ou entité concernée de transmettre ses observations écrites afin de compléter le dossier. Ce jugement aura des répercussions plus directes dans les cas où un corps de police est impliqué dans le processus décisionnel.

Nous pouvons par exemple penser à la Loi sur les contrats des organismes publics où l’AMF peut refuser à une entreprise de lui accorder une autorisation lui permettant de contracter avec les organismes publics, ou encore à la Loi sur les assurances (qui sera remplacée le 13 juin 2019 par la Loi sur les assureurs) où l’AMF peut ordonner à une personne morale de cesser une conduite.

Ce jugement fait l’objet d’une demande de permission d’en appeler devant la Cour d’appel du Québec.