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L’arrêt partagé de la Cour suprême semble indiquer que le cadre de l’analyse relative à la norme de contrôle est incertain

Auteur(s) : Tommy Gelbman, Sean Sutherland

Le 21 juin 2018

Dans ce bulletin d'actualités

  • L’arrêt partagé rendu le 14 juin 2018 par la Cour suprême du Canada (CSC) dans l’affaire Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général) (l’« Arrêt ») semble indiquer que la CSC n’a pas fini de préciser l’analyse relative à la norme de contrôle établie dans l’arrêt Dunsmuir.
  • Contexte de l’Arrêt et répercussions pour les entreprises
  • Désaccord concernant la portée de l’analyse contextuelle
  • Autre désaccord concernant l’existence des questions touchant véritablement à la compétence

L’arrêt partagé rendu le 14 juin 2018 par la Cour suprême du Canada (CSC) dans l’affaire Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général) (l’« Arrêt ») indique que la CSC n’a pas fini de préciser l’analyse relative à la norme de contrôle établie dans l’arrêt Dunsmuir. Bien que les juges de la CSC soient arrivés à une conclusion unanime, dans les motifs des juges majoritaires et les motifs concordants de deux juges, ils ont appliqué des normes différentes en raison de leur point de vue divergent quant au cadre de l’analyse relative à la norme de contrôle. Cet Arrêt pourrait bien être un prélude à une future évolution du droit à laquelle on s’attend de la CSC à la suite d’appels qui devraient être entendus en décembre 2018.

Contexte

Cet Arrêt découle de deux décisions rendues par le Tribunal canadien des droits de la personne (le « Tribunal ») qui a conclu que les droits à l’inscription prévus dans la Loi sur les Indiens ne répondaient pas à la définition de « services » au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Saisies de demandes de contrôle judiciaire, la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont confirmé les décisions du Tribunal en appliquant la norme de la décision raisonnable.

Répercussions pour les entreprises

L’incertitude juridique entourant la norme de contrôle appropriée augmente le risque de litiges pour les entreprises assujetties à la réglementation et pour toute personne engagée dans la prise de décision du gouvernement ou des tribunaux. Un élargissement de la portée de la norme de la décision correcte incitera les plaideurs à contester les décisions du gouvernement au motif que les tribunaux contrôleront ces décisions sans faire preuve de déférence.

Pour l’instant, le ratio de six juges contre trois concernant la norme de contrôle adéquate peut rassurer les entreprises que l’arrêt Dunsmuir et sa présomption bien établie d’application de la norme de la décision raisonnable vont perdurer. Cet apaisement pourrait toutefois être de courte durée. Le 10 mai 2018, la CSC a en effet accueilli trois demandes d’autorisation d’appel au motif que « ces appels offr[ai]ent l’occasion d’examiner la nature et la portée du contrôle judiciaire de l’action administrative, telles que discutées dans Dunsmuir ». Ces appels seront entendus par la CSC plus tard cette année, et une décision devrait être rendue au cours de 2019.

L’Arrêt

La CSC a affirmé à l’unanimité le principe de la présomption d’application de la norme de la raisonnabilité lorsqu’un tribunal administratif interprète sa loi constitutive et que cette présomption peut être réfutée :

  1. lorsqu’il est possible d’établir que les questions en jeu relèvent de l’une des quatre catégories suivantes établies dans l’arrêt Dunsmuir, à savoir : (i) les questions touchant au partage constitutionnel des compétences; (ii) les questions touchant véritablement à la compétence; (iii) les questions touchant la compétence concurrente entre tribunaux administratifs; et (iv) les questions d’importance capitale pour le système juridique et qui échappent au domaine d’expertise du décideur (collectivement, les « catégories liées à la norme de la décision correcte »); et
  2. lorsqu’une analyse contextuelle révèle que le législateur avait clairement l’intention que la norme de la décision correcte s’applique.

Désaccord concernant la portée de l’analyse contextuelle

La CSC était partagée quant à la portée de l’analyse contextuelle.

Les motifs majoritaires, rédigés par le juge Gascon J., précisent que l’approche contextuelle devrait être appliquée « avec parcimonie » parce que la présomption d’application de la norme de la raisonnabilité et la jurisprudence depuis l’arrêt Dunsmuir visaient à simplifier le contrôle judiciaire en évitant d’interminables litiges sur la norme de contrôle applicable.

Dans leurs motifs conjoints concordants, les juges Côté et Rowe JJ. n’étaient pas d’avis que l’approche contextuelle devrait être appliquée « avec parcimonie ». Ils ont au contraire affirmé que les tribunaux « doivent » systématiquement effectuer une analyse contextuelle pour déterminer si la présomption d’application de la norme de la raisonnabilité devrait être réfutée ou non lorsque : (1) la norme de contrôle appropriée ne trouve pas appui dans la jurisprudence existante; et (2) qu’aucune des catégories liées à la norme de la décision correcte ne s’applique.

Le juge Brown J. a également exprimé des préoccupations quant à l’avis des juges majoritaires d’appliquer une analyse contextuelle « avec parcimonie » lors du choix de la norme de contrôle, soulignant que, si l’on tient compte des facteurs qui révèlent l’intention du législateur, on procède dans les faits à une analyse contextuelle.

Autre désaccord concernant l’existence des questions touchant véritablement à la compétence

Dans une opinion incidente, suivant les motifs majoritaires et concordants, les juges étaient partagés quant à la portée et à l’existence des questions touchant véritablement à la compétence en tant que catégorie de questions appelant la norme de la décision correcte. La majorité des juges a conclu que la catégorie des questions touchant véritablement à la compétence est « maintenue en vie artificiellement » et pourrait même ne pas exister. Les juges Côté, Rowe JJ. et Brown J. se sont en revanche dissociés de ces commentaires. Cette question est demeurée en suspens, et sera pleinement débattue dans l’avenir.