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Le régime d’offres publiques d’achat après deux ans

Auteur(s) : Jeremy Fraiberg, Douglas Marshall

Le 18 décembre 2018

Il y a maintenant plus de deux ans que le régime canadien des offres publiques d’achat a été remanié de manière à fixer le délai minimal de dépôt à 105 jours, à imposer une obligation de dépôt minimal de 50 % et à prolonger le délai de 10 jours après que la condition de dépôt minimal a été satisfaite.

Un certain nombre de questions à propos du nouveau régime sont restées sans réponses à la suite de son adoption. Les deux principales questions étant : i) le délai minimal de dépôt de 105 jours pourrait-il avoir un effet dissuasif sur les offres hostiles​; et ii) comment les régimes de droits seraient-ils traités par les organismes de réglementation des valeurs mobilières aux termes du nouveau régime​?

Des faits nouveaux qui se sont produits en 2018 ont apporté certains éléments de réponse à ces questions.

Moins d’offres hostiles​?

À ce jour en 2018, il n’y a eu que cinq offres publiques d’achat hostiles, et trois en 2017. Même s’il est encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives, notons que le nombre d’offres présentées en 2017 et 2018 est inférieur à la moyenne des dix dernières années. Le nouveau délai minimal de dépôt de 105 jours pourrait bien être l’un des facteurs, mais d’autres, comme la diminution du nombre de sociétés cotées en bourse et le ralentissement du secteur minier, sont possibles.

Des modifications aux régimes de droits​?

Au moment de l’adoption du nouveau régime, les organismes de réglementation des valeurs mobilières du Canada n’ont pas réussi à trouver un terrain d’entente pour la réforme de la réglementation sur les mesures de défense, y compris les régimes de droits des actionnaires. L’absence de consensus a laissé en suspens la question de savoir comment les organismes de réglementation des valeurs mobilières appelées à traiter les contestations aux régimes de droits des actionnaires disposeraient dorénavant de ces dossiers.

L’ensemble du marché s’attendait à ce que, sauf circonstances exceptionnelles, les régimes de droits ne soient plus nécessaires pour accorder aux sociétés cibles un délai supérieur au délai minimum prescrit de 105 jours pour répondre à une offre. De plus, les intervenants croyaient que les régimes de droits joueraient encore un rôle pour empêcher les prises de contrôle « rampantes » réalisables par le dépassement du seuil de 20 % – par exemple, en effectuant des achats dans le cours normal des activités jusqu’à hauteur de 5 % par année, des achats aux termes de contrats de gré à gré auprès de cinq vendeurs ou moins à un prix ne dépassant pas les 115 % du cours du marché, et l’achat de 5 % des actions en circulation dans le cadre d’une offre publique d’achat. Par ailleurs, plusieurs s’attendaient à ce que les régimes de droits puissent encore être utilisés, comme ils l’avaient été pendant des années, pour dissuader la conclusion de conventions de dépôt irrévocables entre l’initiateur et des actionnaires de la cible, en stipulant que les actions assujetties à une telle convention sont réputées détenues en propriété véritable par l’initiateur et qu’elles sont prises en compte pour déterminer si le seuil déclencheur de 20 % applicable aux OPA aux termes du régime de droits a été franchi.

Certaines de ces attentes ont été remises en question par la première décision, qualifiée de pilule empoisonnée, rendue en vertu du nouveau régime. Le 15 mars 2018, la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (la CVMO) et la Financial and Consumer Affairs Authority of Saskatchewan (la FCAAS et, avec la CVMO, les « Commissions ») ont publié leurs motifs au soutien de leur ordonnance d’interdiction d’opérations à l’égard du régime de droits des actionnaires tactique adopté par CanniMed Therapeutics Inc. (CanniMed) en réponse à une offre publique d’achat hostile de la part d’Aurora Cannabis Inc. (Aurora).

Aux termes du régime de droits, Aurora était réputée propriétaire véritable de toutes les actions faisant l’objet des conventions de dépôt, tant de nature révocable qu’irrévocable, la différence étant qu’une convention révocable peut être résiliée par l’actionnaire contractant en cas d’offre concurrente financièrement supérieure visant l’acquisition de la société cible. Même si Aurora ne détenait directement aucune action de CanniMed, elle était réputée, aux fins du régime de droits, être propriétaire véritable de 38 % des actions en circulation, et ses actions étaient assujetties aux conventions de dépôt irrévocables qu’elle avait conclues avec quatre actionnaires de CanniMed. Les Commissions ont jugé que le régime de droits avait été principalement conçu pour permettre à CanniMed de réaliser l’acquisition de Newstrike Resources Ltd. (Newstrike), opération qu’elle se proposait de faire, et pour faire échec à l’offre d’Aurora (qui était conditionnelle à la non‑réalisation de l’acquisition de Newstrike), et que le régime de droits n’avait pas été utilisé dans le but d’obtenir des offres plus élevées pour l’acquisition de CanniMed.

Une fois que le régime de droits a été frappé d’une interdiction d’opérations, Aurora a pu se prévaloir de la possibilité d’acquérir une tranche supplémentaire de 5 % des actions en circulation en effectuant des achats sur le marché pendant que son offre publique d’achat était en cours.

Les Commissions auraient pu mettre fin au régime de droits au seul motif que l’interdiction des conventions de dépôt, tant révocables qu’irrévocables, était inappropriée vu que CanniMed ne cherchait pas à obtenir une offre supérieure. Les Commissions ont plutôt tenu un discours qui soulève de plus vastes questions de principe.

Les Commissions ont déclaré que les régimes de droits tactiques « ne devraient généralement pas être utilisés pour établir que des initiateurs ont la propriété véritable d’actions assujetties à une convention de dépôt, dans des circonstances où ils ne seraient pas réputés être des personnes agissant de concert, aux termes des règles applicables ». Les Commissions ont statué qu’Aurora et les actionnaires assujettis à la convention de dépôt n’étaient pas des personnes agissant de concert. Les Commissions ont ajouté que « ce sera l’un des rares cas où il sera autorisé qu’un régime de droits tactique entrave les caractéristiques reconnues du régime d’offres publiques d’achat, telles que l’occasion, pour les initiateurs et les actionnaires, de prendre des décisions dans leur propre intérêt concernant le fait de céder leurs actions ou non en concluant une convention de dépôt du genre de celle dont il est question en l’espèce ».

Ces observations nous font nous demander si un régime de droits peut être utilisé pour restreindre le recours à des conventions de dépôt irrévocables ou si un initiateur est autorisé à acquérir une participation supplémentaire de 5 % des actions en circulation dans le cours de l’offre publique d’achat. Elles laissent également entendre que les régimes de droits tactiques adoptés en réponse à une offre pourraient se voir accorder moins de déférence que les régimes de droits stratégiques approuvés par les actionnaires préalablement à l’offre.

Aux termes du nouveau régime d’offres publiques d’achat, les conventions irrévocables sont moins menaçantes pour les cibles qu’elles ne l’étaient. Avant que des modifications aient été apportées au régime d’OPA, un initiateur pouvait renoncer à toute condition relative au dépôt minimal dans son offre et, à l’expiration de l’offre, prendre livraison des actions assujetties à la convention de dépôt. Cela avait un effet dissuasif à l’égard de toute offre supérieure, car elle était susceptible d’être entravée si l’initiateur hostile décidait d’acquérir, à l’expiration de son offre, les actions déposées aux termes d’une convention, ce qui empêchait l’offre supérieure de satisfaire à la condition relative au dépôt minimal ou d’atteindre le seuil de vote requis aux fins de son approbation.

Maintenant que le nouveau régime exige qu’une offre soit acceptée par 50 % de tous les actionnaires autres que l’initiateur et les personnes agissant de concert avec lui, le risque a été considérablement atténué, étant donné que l’initiateur ne peut pas acquérir les actions assujetties à la convention si la condition relative au dépôt minimal n’a pas été satisfaite. Néanmoins, les conventions irrévocables (qui comportent habituellement un engagement de voter contre toute opération concurrente) peuvent toujours limiter la capacité d’une cible à trouver des solutions de rechange à une offre hostile. Par exemple, si l’initiateur et les actionnaires assujettis à la convention de dépôt détiennent collectivement le tiers des actions, ils pourraient empêcher l’approbation d’une autre opération de valeur supérieure, au moyen d’un arrangement exigeant l’approbation des deux tiers des actionnaires. L’engagement de voter contre les opérations concurrentes peut également se prolonger pendant plusieurs mois, ce qui aurait un effet dissuasif sur les autres offres d’acquisition, même si l’offre initiale ne se réalise pas.

Par conséquent, il semble que les régimes de droits sont toujours permis pour restreindre le recours aux conventions irrévocables, du moins dans certains cas. Il sera intéressant de voir ce que les organismes de réglementation des valeurs mobilières décideront dans les dossiers subséquents. Il est possible que CanniMed devienne un cas d’espèce.

Les initiateurs pourraient adopter un régime de droits stratégique et le faire approuver par les actionnaires à l’assemblée annuelle, en espérant que ces régimes aient plus de chance de résister à un examen réglementaire qu’un régime stratégique.

Enfin, nous ignorons si tous les organismes de réglementation des valeurs mobilières aborderont ces questions de la même manière. Plus particulièrement, l’Autorité des marchés financiers a établi clairement, dans un document de consultation publié en 2013, qu’elle voit d’un œil beaucoup plus favorable le recours à des mesures de défense que d’autres membres des ACVM.

Nous rappelons que la décision CanniMed est la première qui porte sur un régime de droits et qui est rendue en vertu du nouveau régime. La question fondamentale qui reste encore sans réponses est de savoir si les organismes de réglementation des valeurs mobilières permettront que les régimes de droits traditionnels, et toutes les protections que ces régimes accordent, demeurent en vigueur pendant le délai de dépôt de 105 jours, ou si le nouveau régime a changé la façon dont ces organismes considèrent les régimes de droits et la façon dont ils devraient fonctionner, particulièrement une fois qu’une offre a été lancée.