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Modifications à la réglementation sur l’évaluation d’impact, sur la Régie de l’énergie et sur les voies navigables

Auteur(s) : Sander Duncanson, Martin Ignasiak, c.r., Martin Ignasiak, KC, Jessica Kennedy

Le 12 février 2018

Les 6 et 8 février 2018, le gouvernement canadien a déposé les projets de loi C-68 et C-69, respectivement, qui apportent plusieurs modifications importantes au régime fédéral canadien quant à l’évaluation de projets sous réglementation fédérale et à la réglementation des voies navigables. Ces projets de loi abrogent et remplacent la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) et la Loi sur l’Office national de l’énergie, tout en apportant d’importantes modifications à la Loi sur les pêches et à la Loi sur la protection de la navigation.

Nouveau régime fédéral d’évaluation d’impact

L’Agence canadienne d’évaluation d’impact évaluera les projets désignés

La nouvelle Loi sur l’évaluation d’impact (LEI) remplacera l’actuelle Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) (LCEE), ce qui instaurera un tout nouveau régime d’évaluation des impacts de certains projets sous réglementation fédérale. La LEI nomme l’Agence canadienne d’évaluation d’impact à titre d’organisme responsable des évaluations d’impact. L’Agence poursuit les fonctions de l’actuelle Agence canadienne d’évaluation environnementale et assume la responsabilité étendue des évaluations d’« impact », auparavant appelées « évaluations environnementales », de tous les projets désignés.

Le projet de LEI n’exige des évaluations d’impact fédérales que pour certains projets désignés. Bien que l’on ignore encore si la liste des projets désignés sera la même que la liste qui existe aux termes des règlements relatifs à la LCEE (ou semblable à celle-ci), le gouvernement prévoit tenir une liste des projets auxquels la LEI s’appliquera. Le gouvernement du Canada a entamé des consultations sur la détermination des projets qui devraient être des projets désignés. Les documents de consultation du gouvernement laissent entendre, notamment, que les mines de potasse, les grands parcs éoliens et les installations de production de sables bitumineux in situ (dans la mesure où il n’y a pas de quotas absolus qui sont imposés pour les émissions de gaz à effet de serre en ce qui concerne les sables bitumineux) pourraient être ajoutés à la liste courante des projets.

Un tout nouveau processus d’évaluation des impacts

La LEI établit un nouveau processus d’évaluation de projet qui, même s’il ressemble au régime d’examen environnemental en place jusqu’à un certain point, est un processus inédit, encore jamais mis à l’épreuve au Canada. Voici, du point de vue des promoteurs de projet, certains des éléments les plus importants du processus :

  • Il y aura un processus de mobilisation précoce avant que le processus d’examen officiel de l’Agence ne débute. Cette étape devrait allonger l’échéancier global du projet, en matière d’approbations.
  • Les évaluations d’impact se feront sous forme d’examen par une commission, dans les cas où le projet comporte des activités réglementées aux termes de la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, ou de la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires. Ces commissions seront composées de deux membres de l’Agence et d’un commissaire de la Régie canadienne de l’énergie (RCE), ou d’un membre de la Commission canadienne de sûreté nucléaire, respectivement.
  • La LEI établit les délais prescrits pour les principales étapes du processus d’examen. Cependant, ces délais (i) n’englobent pas le processus de mobilisation précoce; (ii) peuvent être suspendus par le ministre pour des raisons réglementaires (à déterminer); et (iii) peuvent être prolongés indéfiniment par le cabinet, à la demande du ministre. Dans l’ensemble, ces délais seront plus longs que les délais prescrits actuels.
  • Au moment de la prise de décisions dans l’intérêt public, le ministre devra tenir compte de certains facteurs particuliers, notamment les « solutions de rechange » à un projet et « l’interaction du sexe et du genre avec d’autres facteurs identitaires ». Ces facteurs rendent une évaluation d’impact semblable à un exercice d’établissement de politique, plutôt que de concentrer l’attention sur les mérites d’un projet particulier, ce qui devrait augmenter la portée des études que les promoteurs auront à réaliser et accroître les incertitudes quant à l’ensemble des projets.
  • La LEI ne prévoit pas de critères liés au droit de participation à une commission, ce qui permet donc à toute organisation et à toute personne physique d’y prendre part. Les commissions auront le pouvoir de diviser les organisations et les personnes physiques en différents groupes bénéficiant de différentes occasions de participation. Selon le mode de mise en œuvre adopté, cette approche pourrait atténuer la frustration précédemment exprimée par des membres du public désirant être entendus, tout en permettant au processus d’examen de se poursuivre.
  • Les rapports d’une commission ne contiendront pas de recommandations. Ils devront plutôt présenter les effets probables d’un projet et l’étendue de ses effets défavorables. Cela signifie qu’il incombera au gouvernement (plutôt qu’à un tribunal indépendant) de jauger les coûts et les avantages d’un projet et de décider s’il doit aller de l’avant. Cela haussera probablement la politisation des grands projets.

Application aux projets déjà présentés à l’heure actuelle

Les dispositions transitoires de la LEI exigeront que de nombreuses évaluations environnementales actuellement en cours aux termes de la LCEE passent au nouveau régime, ce qui pourrait faire augmenter la durée et les incertitudes relatives aux processus d’examen de ces projets. Les conséquences précises dépendront du moment où la LEI entrera en vigueur (ce devrait être en 2019) et du degré d’avancement d’un projet particulier au sein du processus de la LCEE.

Évaluation stratégique relativement aux changements climatiques

La LEI établit un cadre d’évaluation stratégique qui doit être pris en compte dans les examens et les approbations de projets fédéraux. La première évaluation stratégique aura trait aux changements climatiques. Cela pourrait avoir d’importantes répercussions sur tout nouveau projet, mais les détails n’en seront connus qu’une fois le processus achevé. Là encore, cela crée de l’incertitude quant à tout projet présenté entre-temps.

Modifications à l’Office national de l’énergie

Changement de nom et de structure

La nouvelle Loi sur la Régie canadienne de l’énergie (LRCE) remplacera l’actuelle Loi sur l’Office national de l’énergie (Loi sur l’ONÉ). Aux termes de la LRCE, la Régie canadienne de l’énergie (la Régie ou la RCE) fonctionnera, sous réserve de nos commentaires ci-dessous concernant l’évaluation des projets désignés, de façon très semblable au fonctionnement actuel de l’Office national de l’énergie.

La structure de la nouvelle Régie canadienne de l’énergie aura toutefois subi un remaniement. Un conseil d’administration sera responsable de la gouvernance de la Régie. Par ailleurs, la Régie sera dotée d’un président-directeur général. Les audiences de la Régie seront tenues par des commissaires dont le mandat sera limité à dix ans. À notre avis, cette limite de dix ans pose problème, car les commissaires les plus expérimentés en réglementation financière et technique devront quitter la Régie peu après avoir acquis cette précieuse expertise.

Reléguée à l’arrière-plan

Pour la première fois depuis l’établissement de l’ONÉ, l’agence responsable de la réglementation des projets énergétiques de compétence fédérale n’aura plus la responsabilité ou le pouvoir d’examiner et d’approuver de nouveaux grands projets. Le nouveau régime établi aux termes de la LRCE et de la LEI accorde plutôt le pouvoir d’examen à une commission en vertu de la LEI (l’un des trois commissaires devant provenir de la Régie de l’énergie), le rôle de décideur incombant au ministre ou au cabinet. Fait étonnant, contrairement à la LCEE, la LEI ne précise pas quand la décision doit être prise par le ministre plutôt que par le cabinet. Aux termes de la LCEE, cette distinction dépend du fait qu’il y a eu, ou non, d’importants effets environnementaux défavorables.

Même si la RCE sera en mesure de contribuer au processus d’examen de la LEI à l’égard de projets réglementés en vertu de la LRCE, elle aura essentiellement pour rôle de réglementer la durée de vie des projets approuvés, plutôt que d’examiner de nouveaux projets.

Autres modifications

Parmi les autres modifications apportées à la mission de la RCE, on compte l’ajout de la responsabilité de la réglementation des projets d’énergie renouvelable extracôtiers et la suppression des critères liés au droit de participation à une commission, ce qui permet donc à toute organisation et à toute personne physique d’y prendre part.

Modifications apportées à la Loi sur les pêches

Détérioration, destruction ou perturbation de l’habitat du poisson

Parmi les autres modifications à la Loi sur les pêches, l’adoption du projet de loi C-68 réinstaurerait le seuil de « DDPH » (détérioration, destruction ou perturbation de l’habitat du poisson) nécessitant une autorisation du gouvernement fédéral pour procéder à des travaux dans un cours d’eau. Une autorisation serait également exigée pour toute activité qui pourrait causer la mort du poisson. Ces exigences (y compris le célèbre seuil de DDPH) existaient dans la Loi avant que des modifications n’y soient apportées par le précédent gouvernement fédéral.

Cependant, le projet de loi C-68 propose des modifications qui permettraient la tenue de certaines catégories de travaux, d’entreprises ou d’activités sans autorisation fédérale, à condition qu’ils soient conformes aux codes de pratique établis aux termes de la Loi révisée. Jusqu’à la publication des règlements, on ignore presque totalement l’étendue de ces exceptions. Même si l’on s’attend à ce que le règlement s’applique aux propriétaires riverains privés, comme dans le cas de l’installation de petits quais privés, il pourrait permettre d’autres activités courantes entreprises par le secteur industriel, comme la construction d’ouvrages de franchissement de cours d’eau destinés aux pipelines, aux lignes électriques ou aux routes, sans qu’ils aient à obtenir d’autorisation fédérale.

Les activités, les projets et les zones ne sont pas encore désignés

S’il est adopté, le projet de loi ajouterait des exigences en matière d’approbation fédérale relativement à des travaux, des entreprises et des activités désignés qui sont « compris dans un projet désigné » ou qui se déroulent dans une « zone d’importance écologique » désignée. Même si cela semble un autre élargissement de la supervision fédérale, les conséquences de ces exigences supplémentaires et leur application à une activité donnée ne seront connues qu’une fois que seront publiés les règlements désignant les activités, les projets et les zones auxquels ces exigences s’appliquent.

Considérations autochtones

Même si les modifications susmentionnées seront probablement celles qui auront le plus de conséquences pour les promoteurs de projet, conformément aux thèmes que l’on retrouve dans les projets de LEI et de LRCE, le projet de loi C-68 propose, lui aussi, des modifications exigeant expressément que le ministre responsable prenne en compte les effets défavorables sur les peuples autochtones et le savoir traditionnel lorsqu’il prend des décisions en vertu de la Loi.

Modifications au réseau de voies navigables

Le projet de loi C-69 modifiera la Loi sur la protection de la navigation, qui sera dorénavant intitulée Loi sur les eaux navigables canadiennes. La Loi sur les eaux navigables canadiennes maintiendrait la liste des eaux navigables répertoriées qui figurait auparavant dans la Loi sur la protection de la navigation, ce qui signifie que les plans d’eau ne sont pas tous systématiquement des eaux navigables. Cependant, la Loi sur les eaux navigables canadiennes comporterait également un processus relatif aux travaux effectués dans des eaux navigables ne figurant pas dans les eaux navigables répertoriées. Ce processus permettrait à toute personne intéressée de déposer des commentaires relatifs à des projets de travaux dans des plans d’eau publics, et pourrait exiger l’approbation du ministre des Transports fédéral pour ces activités.

Conclusion

Même si le gouvernement du Canada laisse entendre que la nouvelle législation améliorera l’efficacité et le choix du moment des examens réglementaires fédéraux de projets, rien, dans la nouvelle législation, n’assurera l’atteinte systématique de ces résultats, et de nombreux aspects de la législation auront probablement l’effet contraire. Si l’on veut que la législation proposée donne lieu à plus de certitude et d’efficacité de la réglementation, il faudrait y apporter des modifications au cours de l’examen par le Parlement. De plus, la création de règlements qui établissent les projets désignés et les circonstances dans lesquelles les délais prévus par la Loi sont suspendus aura une forte incidence sur les processus réglementaires futurs. Nous recommandons que les acteurs du secteur participent activement à ces processus continus.

En conclusion, nous sommes d’avis que la législation proposée est affligée des mêmes problèmes que ceux qui ont été observés au cours des processus réglementaires de projets depuis un certain temps. Ces examens deviennent des forums où l’on s’attend à ce que toutes les sortes de problèmes sociaux et environnementaux soient traités, même lorsqu’ils dépassent la capacité d’un promoteur de projet à les atténuer. Il en résulte une augmentation des retards et des incertitudes en matière de réglementation, ce qui, ultimement, mine la compétitivité du Canada par rapport au reste du monde.