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Qu’est-ce qui constitue un CDI dans le cadre d’une opération de fusion-acquisition?

Auteur(s) : Jeremy Fraiberg, Alex Gorka, Amy Sigurdson

Le 17 octobre 2018

Le 1er octobre 2018, la Court of Chacery du Delaware a rendu sa décision dans l’affaire Akorn, Inc. v. Fresenius Kabi AG, ayant conclu pour la première fois qu’un acquéreur avait résilié à juste titre une entente de fusion d’une société ouverte en raison de la survenance d’un « effet défavorable important » ou « changement défavorable important » (« CDI »). La décision fournit des directives importantes concernant les circonstances dans lesquelles les acquéreurs peuvent faire valoir la survenance d’un effet défavorable important lors de la résiliation d’une entente de fusion-acquisition et peuvent éclairer le droit et la pratique du Canada.

La décision

Fresenius a convenu d’acheter Akorn dans le cadre d’une entente de fusion conclue le 24 avril 2017. Peu après, Fresenius a appris l’existence d’importants problèmes de conformité et d’intégrité des données, et le rendement financier d’Akorn s’est considérablement dégradé. Par la suite, Fresenius a résilié l’entente de fusion en raison du non-respect de :

  • la condition de détérioration concernant les déclarations et garanties d’Akorn (c’est-à-dire qu’il est raisonnable de s’attendre à ce que des inexactitudes dans la déclaration de conformité réglementaire d’Akorn, individuellement ou globalement, aient un effet défavorable important);
  • la condition de conformité aux clauses restrictives (c.-à-d. qu’Akorn ne s’était pas conformée à son obligation d’exercer ses activités à tous égards importants dans le cours normal des affaires).

De plus, Fresenius a affirmé que la condition générale visant les CDI n’avait pas été remplie (c.-à-d. qu’Akorn avait subi un effet défavorable important), de sorte que Fresenius pouvait refuser de conclure l’opération. Akorn a contesté le droit de Fresenius de résilier l’entente ainsi que la survenance d’un effet défavorable important, et a intenté une action en justice pour contraindre Fresenius à donner suite à l’opération.

Le tribunal a conclu que Fresenius avait mis fin à l’entente de fusion de façon appropriée et que Fresenius ne pouvait être contraint de conclure l’opération. Dans sa décision, la Cour a réaffirmé la jurisprudence actuelle du Delaware, notamment :

  • les acquéreurs ont un lourd fardeau de la preuve lorsqu’ils tentent d’invoquer un effet défavorable important pour se retirer de l’opération;
  • les soubresauts à court terme des bénéfices ne devraient pas suffire; l’effet défavorable important devrait plutôt être important sur le plan de la durée (en années plutôt qu’en mois);
  • les dispositions du CDI sont plutôt interprétées comme un filet de sécurité protégeant l’acquéreur contre la survenance d’événements inconnus qui menacent considérablement le potentiel général de bénéfices de l’entreprise ciblée d’une manière importante sur le plan de la durée.

En ce qui concerne les faits en cause, la Cour a conclu à l’existence d’un CDI général. La conclusion de la Cour a été étayée, entre autres, par des baisses du BAIIA d’un exercice à l’autre et du BAIIA ajusté de 86 % et de 51 %, respectivement. En bref, la Cour a conclu que le rendement d’Akorn avait dégringolé et que la baisse était importante sur le plan de la durée.

La Cour a ensuite examiné le non-respect de la condition de détérioration concernant les déclarations et garanties d’Akorn, estimant que la valeur d’Akorn avait diminué d’environ 900 millions de dollars, soit une baisse de 21 %. En vérifiant sa « croyance intuitive » selon laquelle une baisse de valeur de 21 % était importante, la Cour l’a comparée (i) à la définition d’un marché baissier étant une baisse de 20 % ou plus; (ii) aux données historiques indiquant que les négociations subséquentes après un CDI entraînent habituellement une réduction du prix d’achat de 15 %; (iii) aux limites supérieure et inférieure des tunnels dans les opérations comportant une contrepartie en actions qui sont d’environ 10 %; et (iv) à l’indemnisation moyenne en cas de rupture des négociations dans le cadre d’une entente d’acquisition qui est de 6,36 %.

Après avoir procédé à une analyse quantitative, la Cour a clairement indiqué que personne ne devrait avoir le regard rivé sur un pourcentage particulier qui tracerait une ligne claire. Elle s’est également engagée dans une analyse qualitative rigoureuse, notant que le propre expert d’Akorn avait cerné les problèmes d’intégrité des données de la société comme figurant parmi les trois pires des 120 sociétés pharmaceutiques et plus qu’il avait évaluées, un statut notoire étant donné que sa pratique concerne uniquement des sociétés qui ont des problèmes. La Cour a conclu que la situation réglementaire à Akorn était qualitativement importante du point de vue à long terme d’un acquéreur raisonnable.

Enfin, la Cour a conclu qu’Akorn avait manqué de façon importante à son engagement d’exercer ses activités dans le cours normal de ses activités en omettant d’effectuer des audits périodiques et de corriger les lacunes relevées, en omettant de maintenir des systèmes d’intégrité des données et en présentant des documents à la FDA fondés sur des données inventées.

Pertinence par rapport aux fusions et acquisitions canadiennes

Peu de décisions canadiennes ont porté sur l’interprétation de l’expression « effet défavorable important », et encore moins la capacité d’un acquéreur de résilier le contrat dans de telles circonstances. Dans les affaires qui ont fait l’objet d’une décision, les tribunaux ont examiné si les changements, s’ils avaient été connus, auraient raisonnablement influé sur la décision d’achat d’un acquéreur prudent et expérimenté. Comme au Delaware, les tribunaux canadiens ont souligné que l’importance relative dépend des faits de chaque affaire, de la nature du contrat, de l’identité des parties et de l’état de leurs connaissances sur l’objet du contrat.

La décision Fresenius nous rappelle que, bien qu’ils soient rares, les CDI peuvent survenir et surviennent, et qu’il est possible de résilier une entente d’achat pour cette raison. L’acquéreur doit démontrer de façon convaincante qu’il n’a pas que des remords de l’acheteur, et les faits doivent étayer la conclusion qu’un changement défavorable important sur le plan de la durée s’est produit dans les activités de l’entreprise ciblée. Pendant l’examen de ces questions, l’acquéreur doit continuer de respecter les engagements qu’il a pris aux termes de la convention d’achat. Il est également important de noter que lorsqu’un acquéreur se préoccupe d’un risque précis, il est généralement recommandé de traiter le risque directement dans la convention d’achat (p. ex. grâce à une condition particulière ou à un ajustement du prix d’achat), plutôt que de se fier à une clause de CDI pour se retirer du contrat si le risque se concrétise.

Akorn a annoncé son intention d’en appeler de la décision de la Cour.