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Brevet pour le système de détection de la sécheresse oculaire invalide, lorsqu’il est interprété avec le prisme approprié

Le 9 août 2019

Les revendications contenues dans un brevet canadien se trouvent aux paragraphes numérotés à la fin du document qui définissent la portée de l’exclusivité juridique conférée par le brevet. Les inventeurs font face à un dilemme au moment de rédiger leurs revendications. Celles qui possèdent une portée trop restreinte peuvent permettre à la partie défenderesse de contourner le brevet. Celles qui sont trop larges, quant à elles, peuvent permettre à la partie défenderesse de faire valoir l’invalidité de ces revendications parce qu’elles sont antérieures ou évidentes. Le titulaire de brevet marche parfois sur la corde raide.

À la suite de l’arrêt rendu en juin par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Tearlab Corp. v. I-MED Pharma Inc., [2019] F.C.J. No. 693, le titulaire de brevet a perdu pied. TearLab était titulaire d’un brevet relatif à un système de mesure de l’osmolarité pouvant détecter la sécheresse oculaire selon l’énergie électrique impartie par le fluide lacrymal. Les revendications du brevet étaient axées sur « une microplaquette réceptacle d’échantillon » qui reçoit les larmes et détecte les propriétés d’énergie de l’échantillon, lorsque soumis à un signal électrique. La mesure de l’osmolarité servant à diagnostiquer la sécheresse oculaire s’effectue à partir de ces propriétés d’énergie.

Dans une poursuite en contrefaçon de brevet, TearLab a tenté de se prévaloir de son brevet contre l’i-Pen de la défenderesse I-Med, comportant un capteur électrique à usage unique qui s’applique sur le tissu humide de la surface postérieure de la paupière. Contrairement au système de TearLab, qui exigeait que le fluide lacrymal soit déposé sur une microplaquette, l’i-Pen requérait que l’on place le capteur dans l’œil. La principale question était de savoir si les revendications du brevet pouvaient être interprétées de sorte à inclure l’invention d’I-Med.

La Cour s’est montrée réceptive à l’argument de TearLab selon lequel l’i-Pen contrevenait aux revendications de TearLab. Cependant, pour arriver à cette conclusion, le Tribunal a opté pour une interprétation si large des revendications du brevet qu’elle a fini par les exposer au risque d’être jugées invalides. La Cour a finalement conclu que plusieurs documents d’art antérieur expliquant la solution revendiquée existaient avant que TearLab ne dépose son brevet. Par conséquent, le brevet de TearLab a été jugé invalide par la Cour. TearLab en a appelé de la décision.

Devant la Cour d’appel fédérale, l’argument de TearLab était axé sur le terme employé dans la revendication : « une microplaquette réceptacle d’échantillon ». Elle soutenait que le juge de première instance a interprété trop largement ce terme, comme comprenant tout ce qui possède une surface qui peut recevoir un échantillon de fluide. TearLab plaidait que le juge aurait plutôt dû comprendre que cette microplaquette est une « micropuce » ayant les propriétés de planéité et de rigidité. Si une interprétation aussi étroite avait été adoptée, TearLab aurait pu surmonter l’existence de l’art antérieur.

La Cour d’Appel Fédérale a refusé de maintenir le brevet puisqu’une telle interprétation stricte du brevet n’appuie pas l’interprétation avancée par TearLab. La Cour a noté que les revendications faisaient référence à des puces et non à des micropuces, malgré le fait que le terme « micropuce » était utilisé ailleurs dans le brevet. Le brevet ne mentionnait pas, non plus, la rigidité de la puce et la planéité n’était mentionnée que dans le cadre d’une situation précise. Aucun de ces termes ne figurait parmi les revendications.

TearLab a par ailleurs tenté de justifier son interprétation en recourant au « concept inventif » du brevet, qui serait lié au fait que la mesure d’osmolarité est indépendante du volume. La Cour a rejeté cet argument. Cette dernière a souligné que le concept d’indépendance du volume n’était pas exprimé de façon explicite dans les revendications en cause, bien que ce concept figurait dans une revendication non alléguée. La Cour a réitéré que l’accent doit être mis sur le libellé de revendication et sur le concept inventif qui peut être tiré de sa formulation, plutôt que sur un concept plus général pouvant être déduit du mémoire descriptif dans son ensemble.

La mise en garde de la Cour concernant le concept inventif reflète la préoccupation croissante de la Cour d’appel fédérale selon laquelle les cas devraient être résolus en fonction du libellé des revendications plutôt que des concepts généraux desquels le brevet s’imprégnerait. Cette interprétation semble s’être affermie au cours des deux dernières années, à la suite d’une décennie au cours de laquelle la Cour a interprété de manière routinière les brevets sur la base des « promesses » qu’ils présentaient. Le Tribunal penche maintenant vers une interprétation plus littérale et potentiellement plus prévisible des revendications de brevet.

Dans ses conclusions contre TearLab, la Cour ne pouvait passer sous silence la myopie affectant l’analyse de la société. La conclusion de la Cour en matière de contrefaçon était fondée sur une interprétation large du brevet de TearLab. Si le brevet avait été interprété de façon plus restreinte, cette conclusion de contrefaçon serait remise en question. En fait, le juge de première instance avait expressément indiqué qu’une interprétation restrictive de la revendication n’aurait entraîné aucune conclusion de contrefaçon à l’égard des revendications.

Au Canada et ailleurs, les titulaires de brevets et ceux qui les contestent tentent depuis longtemps d’éblouir les juges au moyen d’arguments finement tricotés pour élargir et restreindre les revendications de brevets en recourant à des arguments fondés sur des promesses, des concepts inventifs, l’essence de l’invention et d’autres doctrines similaires. L’arrêt TearLab constitue un autre rappel qu’aucun de ces arguments n’est susceptible d’être aussi efficace que de simplement mettre l’accent sur les termes des revendications de brevet, c’est-à-dire sur les termes du marché initialement employés par le titulaire de brevet.

Cet article a été publié à l’origine dans le Lawyer’s Daily (www.thelawyersdaily.ca/), qui fait partie de LexisNexis Canada Inc.