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Le capital-investissement continue de stimuler les opérations

Auteur(s) : John Groenewegen, Emmanuel Pressman

Le 13 décembre 2019

Depuis le début de 2019, le niveau d’activité dans la sphère canadienne du capital-investissement est robuste, dépassant le niveau de 2018 pour la même période. Dans cet article, nous explorons un certain nombre de tendances clés observées.

Marché de capitaux privés robuste

D’après Refinitiv, un total de 35,3 G$ a été investi dans 377 opérations au cours des trois premiers trimestres de 2019. Il s’agit d’une augmentation de 41 % de la valeur des opérations par rapport à la même période en 2018. Les fonds de rachat et fonds connexes au Canada ont recueilli plus de 17 G$ au cours des trois premiers trimestres, une hausse de 169 % d’un exercice à l’autre.

Tendances en matière de financement

Le financement est demeuré actif en 2019. Selon Prequin, le capital sous gestion (réserves liquides) se chiffre actuellement à environ 2 T$ à l’échelle mondiale, plus de la moitié de ce montant visant l’Amérique du Nord. Même si les sociétés de capital-investissement ont besoin de déployer ce capital, les marchés des capitaux privés ont affiché une vigueur soutenue alors que les sociétés susmentionnées ont continué de prendre part à une gamme de placements privés et d’opérations de levée de capitaux. Plusieurs sociétés de capital-investissement sont retournées sur le marché, et un certain nombre de nouveaux placements ont permis de lever des capitaux frais auprès de fonds offerts par de nouveaux gestionnaires. Ce niveau élevé de financement indique que les sociétés de capital-investissement arrivent à déployer efficacement leur capital depuis quelques années, ce qui leur permet d’établir d’autres fonds. En outre, un nombre croissant de caisses de retraite et d’autres investisseurs institutionnels choisissent les fonds de capital-investissement pour augmenter la pondération des actifs non traditionnels au sein de leur portefeuille. On peut s’attendre à ce que la surabondance de capitaux nouvellement engagés et le besoin correspondant des sociétés de capital-investissement de déployer ce capital favorisent les marchés des fusions et acquisitions et l’activité d’investissement en 2020.

Aucun changement notable dans les modalités de mobilisation de capitaux. L’entente économique de base entre les commanditaires (investisseurs) et le commandité (sociétés de capital-investissement) est restée largement inchangée l’année dernière. Toutefois, de plus en plus de conditions favorisant les sociétés de capital-investissement sont intégrées aux ententes, une tendance déjà observée aux États-Unis.

De plus, certains des fonds les plus fructueux ont essayé d’assouplir les dispositions sur la mise en œuvre de leur programme d’investissement. À titre d’exemple, certains fonds de capital-investissement lancés récemment ont une durée de vie plus longue que par le passé. Les investisseurs paieront généralement des frais globaux plus élevés si la durée de vie du fonds est prolongée, mais on reconnaît qu’une vente d’actifs forcée au mauvais moment (en raison de la fin de la durée de vie d’un fonds) n’est pas souhaitable, en particulier dans les cycles économiques qui ne suivent pas les schémas historiques traditionnels. À l’occasion, les investisseurs bénéficieront de frais annuels réduits pour les années où la société de capital-investissement a choisi de prolonger la durée de vie du fonds. Les investisseurs institutionnels, comme les caisses de retraite, acceptent souvent des fonds dont la durée de vie est particulièrement longue, car ils s’alignent sur leur profil de passif à long terme.

Les droits de coinvestissement demeurent une priorité majeure pour de nombreux commanditaires institutionnels. Ces acteurs institutionnels cherchent à améliorer les rendements en investissant dans des actifs désirables aux côtés d’une société de capital-investissement de confiance. Les gestionnaires de fonds qui ont déjà offert des possibilités de coinvestissement peuvent utiliser la perspective d’un coinvestissement futur pour attirer des investisseurs qui  accordent de l’importance à ce facteur. Les sociétés de capital-investissement préfèrent souvent avoir une certaine souplesse pour déterminer à quels commanditaires ces droits seront offerts et aussi selon quelles conditions. Les coinvestisseurs doivent être en mesure d’agir rapidement pour respecter les échéanciers des opérations et, pour cette raison, nous avons constaté que les coinvestisseurs les plus actifs sont des investisseurs institutionnels sophistiqués ayant des poches bien remplies.

La divulgation accrue des frais et charges des fonds est une tendance générale. Cette transformation a été importée des États-Unis, où les frais et charges sont présentés de façon exhaustive étant donné que la SEC continue d’examiner de près les divulgations et aussi d’appliquer des mesures connexes en cas de non-conformité. Les longues définitions décrivant toutes les charges pouvant être engagées par un fonds ainsi que la présentation détaillée de l’affectation des charges, des dispositions sur la compensation des frais et des frais des parties liées pourraient bien devenir la norme pour les fonds au Canada. Dans l’ensemble, il sera intéressant de voir si l’étau réglementaire se resserrera dans le secteur du capital-investissement au Canada, étant donné que le capital-investissement occupe une part croissante de nos marchés financiers.

L’Institutional Limited Partners Association (ILPA) a produit un modèle de convention de société en commandite pour l’industrie. L’objectif déclaré de l’ILPA en publiant ce modèle est d’assurer la transparence et de réduire la complexité, les coûts et les ressources nécessaires à la négociation des modalités d’un fonds de capital-investissement. Le modèle est favorable aux investisseurs, ce qui n’est pas surprenant eu égard à sa source. Il reste à voir si le modèle de l’ILPA aura une incidence sur la mobilisation de fonds et les négociations entre les commandités et les commanditaires. Même si le modèle pourrait être utile à des fins de comparaison, son adoption, en tout ou en partie, prendra du temps (si elle finit par se produire), d’autant plus que les sociétés de capital-investissement réutilisent habituellement en grande partie les documents relatifs à ses fonds antérieurs, qui ont déjà été négociés avec les investisseurs.

Climat favorable aux opérations

Les opérations canadiennes dans le domaine du capital-investissement se sont multipliées sous l’effet de plusieurs facteurs, notamment les flux transfrontaliers de fusions et acquisitions canadiennes, les fermetures de capital, les opérations entre sociétés de capital-investissement, le déploiement actif de capitaux par les fonds de capital-investissement, les stratégies d’« achat et de « construction » par des sociétés de portefeuille financées par des sociétés capital-investissement, et les marchés des capitaux d’emprunt. En voici quelques exemples pour 2019 :

  • Blackstone a annoncé l’acquisition de Dream Global REIT pour 6,2 G$;
  • Onex Corporation a annoncé l’acquisition de WestJet Airlines pour 3,5 G$;
  • L’acquisition par BC Partners de GardaWorld de Rhône Capital pour 5,2 G$;
  • L’acquisition par Platinum Equity de Livingston International auprès de l’Office d’investissement du régime de pensions du Canada (OIRPC) et de Sterling Partners;
  • L’acquisition par KKR de Corel Corporation auprès de Vector Capital.

Une tendance digne de mention a également été la prolifération des coinvestissements, des équipes et des consortiums auxquels prennent part les caisses de retraite canadiennes et les sociétés mondiales de capital-investissement en vue de réaliser des opérations internationales à l’étranger. En voici quelques exemples pour 2019 :

  • La participation de l’OIRPC à un consortium dirigé par Hellman & Friedman, comprenant Blackstone, GIC et JMI Equity, pour acquérir Ultimate Software dans le cadre d’une opération évaluée à 11 G$;
  • Le Régime de retraite des enseignants et des enseignantes de l’Ontario et l’OIRPC ont fait équipe avec des fonds de capital-investissement, y compris Apax Partners et Warburg Pincus, pour acquérir Inmarsat plc dans le cadre d’une opération évaluée à 3,5 G$.

Les commanditaires sont toujours très attirés par l’infrastructure. Il y a longtemps que les investisseurs institutionnels et les caisses de retraite se tournent vers cette catégorie d’actif. Les actifs d’infrastructure sont généralement perçus comme moins risqués (ils sont souvent appuyés par un contrat de concession ou d’autres flux de revenus sûrs) et moins touchés par les cycles économiques, en plus de bien s’aligner sur le passif à long terme de nombreuses caisses de retraite. Les fonds de capital-investissement (ainsi que les caisses de retraite directement) ont saisi l’occasion de combler le manque de financement là où les gouvernements hésitent à investir des fonds publics.

Le temps d’exécution des opérations est souvent plus rapide que le temps réel. Étant donné l’environnement propice aux transactions, la compétitivité du marché et le niveau élevé des « réserves liquides » à la poursuite d’un nombre limité d’opérations, les acteurs sur la scène du capital-investissement doivent se différencier – par la rapidité de l’exécution, leur feuille de route et la certitude de réalisation des opérations, par exemple. Les vendeurs ont été en mesure de raccourcir la période de vente aux enchères et d’imposer des périodes d’exclusivité plus courtes, forçant les acheteurs à agir prestement. Dans le même ordre d’idées, les vendeurs veulent toujours avoir la certitude que l’opération aura lieu et que les recours seront limités. En effet, dans un nombre croissant d’opérations, les vendeurs n’ont aucune obligation d’indemnisation qui demeure en vigueur, même à l’égard des déclarations fondamentales, et les acheteurs devraient se tourner uniquement vers l’assurance des déclarations et des garanties pour être couverts. Comme la concurrence est féroce, les investisseurs sont prêts à accepter ces dispositions ainsi qu’à limiter les conditions exigeant des consentements de tiers uniquement aux conditions les plus importantes.

Le recours à l’assurance des déclarations et des garanties continue d’être répandu dans les opérations de capital-investissement. Bien que l’assurance des déclarations et des garanties devienne la norme comme principale méthode de protection des acheteurs à l’égard des fausses déclarations, des opérations se font toujours sans cette assurance sur le marché canadien. À mesure que l’assurance des déclarations et des garanties gagne en popularité, elle va en s’améliorant. Les assureurs sont de plus en plus à l’aise d’assurer des opérations « sans indemnisation ». Ils sont également plus disposés à assurer les risques qui ont traditionnellement fait l’objet d’exclusions des polices comme ceux qui sont liés à l’environnement, la fiscalité et la responsabilité du fait du produit, bien qu’ils soient particuliers à la situation. Cette tendance reflète la maturation du produit, ainsi que l’intensification de la concurrence au sein de l’industrie de l’assurance des déclarations et des garanties.

Le marché du financement demeure hautement concurrentiel. Les institutions bancaires canadiennes continuent de livrer concurrence à leurs pairs du Canada et des États-Unis pour le financement des fusions et acquisitions. Les opérations sont hautement concurrentielles, ce qui crée une compétition entre les institutions bancaires à l’égard des prix et des modalités générales des opérations. L’afflux de sources de crédit américaines sur le marché canadien, y compris les branches de financement des sociétés de capital-investissement, a également entraîné l’adoption de certains concepts américains dans les opérations canadiennes. Par exemple, les sociétés de capital-investissement tendent à limiter les conditions (ce qui est connu sous le nom de dispositions « SunGard ») et elles se donnent le droit de choisir l’avocat qui représentera les prêteurs à l’égard du financement. Étant données les conditions actuelles de financement sur le marché, nous nous attendons à ce que ces tendances se poursuivent en 2020.

Les fusions et acquisitions demeurent la méthode privilégiée pour se départir des investissements en capital-investissement, comme dans les années précédentes. Bien que certaines sociétés de capital-investissement aient suivi un processus de sortie à « double voie » (c.-à-d. préparer un appel public à l’épargne tout en commercialisant l’actif par le biais d’une vente aux enchères), très peu de PAPE canadiens ont été entrepris en 2019. Ce mouvement s’explique par le fait que les marchés organisés ne génèrent pas de prime sur les ventes d’entreprise et que les sociétés de capital-investissement veulent une sortie franche à un prix connu. 

Nous constatons plus d’opérations entre sociétés de capital-investissement. L’industrie du capital-investissement est en évolution; à mesure que des fonds prennent le marché d’assaut et arrivent à maturité, ils doivent trouver des façons de se départir de leurs sociétés en portefeuille. En plus des acheteurs stratégiques, les autres sociétés de capital-investissement représentent un bassin naturel d’acheteurs potentiels.  Cette tendance peut également indiquer que les actifs sont vendus avant que la société de capital-investissement en retire la pleine valeur, ce qui justifie la prolongation de la durée de vie des fonds.

Conclusion

Nous prévoyons une autre année très active en 2020 sur les marchés des capitaux privés. Un grand nombre d’opérations devrait avoir lieu, étant donné le capital imposant devant être déployé ainsi que les conditions favorables sur les marchés du crédit. Bien que le climat économique à moyen et à long terme demeure incertain, la capacité des investisseurs d’agir rapidement et de façon opportuniste, à toutes les phases du cycle économique, devrait soutenir un niveau élevé d’opérations.