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Où en est le Canada avec l’obligation d’information sur le changement climatique? Plus d’indications, mais de vieilles règles

Auteur(s) : Andrew MacDougall, Patrick G. Welsh

Le 21 août 2019

Comme les investisseurs et le grand public manifestent de plus en plus leur désir d’obtenir plus d’information sur les risques et les occasions liés au changement climatique, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont mis en œuvre, en mars 2017, un processus d’examen de l’information communiquée sur le sujet. Cet examen a entraîné la publication, en date du 1er août 2019, de l’Avis  51-358 du personnel des ACVM Information sur les risques liés au changement climatique (ci-après « l’Avis du personnel »). L’avis du personnel fournit des indications, mais les ACVM ont choisi de ne pas modifier les exigences de communication en place, bien qu’elles n’aient pas rejeté la possibilité de changements futurs. Nous mettons en lumière les principaux points à retenir de l’Avis du personnel.

Principaux points à retenir :

  • Les ACVM croient que la communication peut être améliorée.
  • Il n’y a aucun changement apporté aux obligations d’information actuelles.
  • L’« importance relative » est pertinente pour la communication liée au changement climatique.
  • Les ACVM présentent des indications sur l’appréciation de l’importance relative des risques à long terme qui sont difficiles à quantifier.
  • L’information communiquée volontairement devrait être établie avec la même rigueur que l’information devant obligatoirement être divulguée.
  • L’Avis du personnel ne comporte aucune indication concernant les conséquences de l’interdiction de fournir de l’information prospective sans fondement raisonnable sur la communication de l’information liée au changement climatique.

Améliorer la divulgation d’information

Les ACVM ont mis en œuvre leur processus d’examen en réaction à l’intérêt exprimé par les investisseurs institutionnels et aux diverses initiatives internationales visant l’amélioration de la qualité de l’information communiquée sur le changement climatique, dont le Climate Risk Technical Bulletin du Sustainability Accounting Standards Board et les recommandations finales du Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques du Conseil de stabilité financière. Les ACVM croient que de nombreux émetteurs, y compris ceux des secteurs autres qu’à forte émission de carbone, sont ou seront exposés aux risques liés au changement climatique, mais ils seront touchés différemment, même au sein d’un même secteur.  Tel qu’il avait été précédemment souligné dans l’Avis 51-354 du personnel des ACVM Rapport relatif au projet concernant l’information fournie sur le changement climatique (ci-après le « Rapport »), un examen de l’information présentée par 78 émetteurs a révélé que 22 % d’entre eux n’ont présenté aucune information sur les risques liés au changement climatique et 22 % ont uniquement présenté de l’information rédigée selon des formules toutes faites. 

Les ACVM ont souligné que la présentation d’information pertinente, claire et compréhensible qui est propre à l’entité aidera les investisseurs à saisir la manière précise dont tous les risques importants liés au changement climatique se répercutent sur l’entreprise de l’émetteur. Elle fournira par ailleurs une mise en contexte qui permettra aux investisseurs de comprendre la manière dont le conseil d’administration et la haute direction évaluent ces risques.

Il n’y a aucun changement apporté aux obligations d’information actuelles

Dans leur Rapport, les ACVM ont annoncé qu’elles comptent i) élaborer des indications et mettre sur pied des mesures de sensibilisation concernant les risques aux entreprises et les et occasions d’affaires ainsi que les répercussions financières possibles du changement climatique et ii) étudier de nouvelles obligations d’information proposées dans les domaines qui suivent :

  • l’information sur les processus de gouvernance des émetteurs en ce qui concerne les risques et les occasions importants, y compris la responsabilité du conseil en matière de surveillance et le rôle de la direction;
  • l’information sur la façon dont l’émetteur surveille la détermination, l’appréciation et la gestion des risques importants.

L’Avis du personnel présente des indications, notamment sur la façon dont la direction et le conseil devraient évaluer les risques et les occasions d’affaires de l’émetteur en lien avec le changement climatique, ainsi que sur les questions qu’ils doivent se poser concernant l’approche adoptée par l’émetteur en matière de communication de l’information sur ces risques et occasions.  Cependant, l’Avis du personnel ne préconise pas d’approche particulière et n’impose pas aux émetteurs la divulgation d’information sur leurs processus de gouvernance concernant les risques et les occasions, y compris ceux qui sont liés au changement climatique. L’Avis du personnel se penche plutôt sur l’application des indications présentées en 2010 dans l’Avis 51-333 du personnel de l’ACVM Indications en matière d’information environnementale.

La pertinence de l’« importance relative » pour la communication liée au changement climatique

L’Avis du personnel confirme que l’obligation de présenter de l’information doit être évaluée selon son importance relative pour l’émetteur. En d’autres termes, il faut se demander si l’information est susceptible d’influencer la décision d’un investisseur raisonnable d’acheter, de vendre ou de conserver des titres de l’émetteur.

Les ACVM ont formulé une indication essentielle en précisant que la direction est le conseil de l’émetteur doivent se concentrer sur l’information qui est importante pour la décision de placement d’un investisseur raisonnable dans cet émetteur. Les investisseurs institutionnels qui souhaitent évaluer les risques liés au changement climatique auxquels est exposé leur portefeuille de placements pourraient vouloir obtenir une information particulière de tous les émetteurs assujettis. Un certain nombre de services d’évaluation et de classement environnementaux et sociaux ont d’ailleurs été adaptés pour répondre aux besoins et intérêts divergents des investisseurs institutionnels dans l’évaluation de ces risques. Toutefois, si les mesures choisies ne sont pas importantes pour un ou plusieurs émetteurs assujettis, il ne sera pas possible d’obtenir l’information normalisée nécessaire pour évaluer correctement les risques dans l’ensemble du portefeuille et comparer les émetteurs.

Les ACVM présentent des indications sur l’appréciation de l’importance relative des risques à long terme qui sont difficiles à quantifier

Bien qu’il n’y ait pas eu de modification à la définition d’« importance relative » ni au critère permettant de déterminer si l’information sur les risques liés au changement climatique doit être divulguée, les ACVM craignent que certains émetteurs manquent de rigueur dans leur appréciation de l’importance relative lorsqu’ils concluent qu’ils ne sont pas exposés de façon importante aux risques liés au changement climatique. Afin de pallier la situation, les ACVM proposent des indications sur la méthode d’appréciation de l’importance relative en vue de tenir compte du fait que bon nombre de risques ou d’occasions sont incertains et pourraient ne se matérialiser qu’à long terme.

Selon les ACVM, l’émetteur ne devrait pas limiter son appréciation de l’importance relative aux risques à court terme, et devrait ainsi inclure les risques à plus long terme dans son évaluation. Dans la mesure du possible, il devrait également les quantifier et communiquer leurs répercussions potentielles, entre autres financières, y compris leur ampleur et leur horizon temporel. Les ACVM énoncent quatre principes directeurs de l’appréciation de l’importance relative :

  1. Absence de critère de démarcation précis – Il n’existe pas de seuil quantitatif unique ni de critère de démarcation précis à partir duquel on peut évaluer l’importance d’une information.
  2. Contexte – L’importance doit être évaluée de manière contextuelle. Bien que certains faits ne semblent pas importants en soi, ils peuvent se révéler l’être lorsqu’ils sont appréciés dans leur ensemble.
  3. Moment choisi – Dans son analyse, l’émetteur doit se demander si un fait révèle une éventuelle tendance qui pourrait faire en sorte que la divulgation rapide de l’information soit importante pour les investisseurs raisonnables, notamment lorsque le secteur d’activité de l’émetteur comporte un long cycle d’exploitation ou d’investissement ou lorsque l’émetteur devra se doter de nouvelles technologies.
  4. Tendances, besoins, engagements, événements et incertitudes – L’appréciation repose a) sur l’analyse de la probabilité qu’une tendance, qu’un besoin, qu’un engagement, qu’un événement ou qu’une incertitude se produise ou se concrétise et b) sur l’analyse de l’ampleur de son incidence.

Selon les ACVM, l’horizon temporel de la réalisation du risque ainsi que l’incertitude relative à sa matérialisation pourraient avoir une incidence sur la détermination de l’importance relative de l’information, mais non sur la nécessité d’en apprécier et d’en analyser l’importance relative.

Dans l’appréciation des risques liés au changement climatique, la direction et le conseil sont invités à considérer les répercussions financières des :

  • Risques physiques qu’entraîne le changement climatique, y compris les changements aigus (résultant d’événements) et les changements chroniques affectant la disponibilité des ressources et les régimes climatiques. On compte notamment leur impact sur l’approvisionnement, la sécurité, la chaîne d’approvisionnement, les activités d’exploitations et les actifs physiques;
  • Risques de transition découlant de changements graduels vers un environnement sobre en carbone, y compris les risques réputationnels, de marché, réglementaires, politiques, juridiques et technologiques.
  • Occasions créées par les efforts visant à atténuer les effets du changement climatique et à s’y adapter.

Les ACVM proposent par ailleurs à la direction des questions qu’elle peut se poser dans le cadre de son appréciation des risques liés aux changements climatiques et à leur incidence.

L’information communiquée volontairement devrait être établie avec la même rigueur que l’information devant obligatoirement être divulguée

En plus de l’information importante à fournir dans leurs documents d’information continue en vertu de la législation sur les valeurs mobilières, les émetteurs peuvent choisir de communiquer volontairement de l’information dans d’autres publications. Dans ce cas, les ACVM enjoignent aux émetteurs de prendre garde aux éléments qui suivent :

  • Les émetteurs doivent s’assurer que toute l’information importante est présentée dans les documents d’information continue.
  • Toute information communiquée volontairement devrait être conforme à celle figurant dans les documents d’information continue déposés.
  • L’information communiquée volontairement ne doit pas être fausse ou trompeuse; puisqu’elle peut engager la responsabilité civile de l’émetteur en vertu de la législation canadienne sur les valeurs mobilières pour cause de présentation inexacte, le conseil et la direction devraient appliquer un solide processus d’examen de cette information préalablement à sa publication afin d’en vérifier la fiabilité et l’exactitude.
  • L’information communiquée volontairement ne devrait pas obscurcir l’information importante.
  • Lorsque la communication des risques et des occasions d’affaires en lien avec le changement climatique constitue de l’information prospective, l’émetteur est tenu de se conformer aux obligations relatives à la communication de l’information prospective, et ce, même si elle est effectuée de façon volontaire (parmi ces obligations, les ACVM identifient notamment celle d’indiquer qu’il s’agit d’information prospective, d’inclure une mise en garde, d’énoncer les hypothèses ou les facteurs importants utilisés dans l’établissement de l’information prospective et de mettre à jour l’information prospective importante précédemment communiquée en décrivant la politique de l’émetteur à cet égard).

L’Avis du personnel ne comporte aucune indication concernant les conséquences de l’interdiction de fournir de l’information prospective sans fondement raisonnable sur la communication de l’information liée au changement climatique

La partie 4 A.2 du Règlement 51-102 interdit aux émetteurs de communiquer une information prospective sans fondement raisonnable, que ce soit dans leurs documents d’information continue ou dans leur communication volontaire. L’Avis du personnel ne mentionne pourtant pas expressément cette interdiction ni ses incidences sur la communication des risques et des occasions en lien avec le changement climatique. Il ne définit pas non plus ce qui constitue un fondement raisonnable de communiquer de l’information prospective en lien avec le changement climatique. Il ne reste aux émetteurs que l’affirmation, peu utile, selon laquelle les exigences des loi sur les valeurs mobilières concernant l’information prospective ne libèrent pas les émetteurs de l’obligation de communiquer les risques importants liés au changement climatique, même si ceux-ci devaient survenir ou se matérialiser sur une longue période. Si, dans le cadre de l’appréciation de l’importance relative, le processus de quantification des répercussions financières des risques physiques, des risques de transition et des occasions liés au changement climatique satisfait généralement à l’exigence de disposer d’un fondement raisonnable pour présenter de l’information prospective en lien avec le changement climatique, il n’en demeure pas moins nécessaire de se demander s’il existe un tel fondement raisonnable avant de communiquer cette information prospective.

Conclusion

Dans leur Rapport, les ACVM ont noté que l’intérêt des utilisateurs en ce qui concerne les risques et occasions en lien avec le changement climatique et les pratiques de communication d’information continueront d’évoluer. Les ACVM se sont engagées à continuer de surveiller les développements ainsi que l’information présentée, afin de déterminer si la législation sur les valeurs mobilières devrait également faire l’objet de modifications. L’Avis du personnel fournit une indication aux émetteurs sur la façon méticuleuse d’évaluer l’importance relative des répercussions du changement climatique sur les risques et occasions d’affaires touchant leur entreprise. Bien que l’Avis du personnel ne comprenne pas de nouvelles obligations d’information, les ACVM affirment qu’elles continueront de surveiller l’information présentée sur les questions en lien avec le changement climatique, laissant ainsi croire en la possibilité de modifications futures des règles en matière d’obligation d’information.