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L’Alberta accélérera et dépolitisera les approbations pour les sables bitumineux : Projet de loi 22

Auteur(s) : Sander Duncanson, Martin Ignasiak, c.r., Martin Ignasiak, KC, Jessica Kennedy

Le 24 juin 2020

Le 11 juin 2020, le gouvernement de l’Alberta présenta le Projet de loi 22, Loi de mise en œuvre de la réduction des formalités administratives, 2020 [PDF en anglais seulement] à l’Assemblée législative. Le Projet de loi 22 est la dernière tentative du gouvernement de l’Alberta pour « supprimer la bureaucratie » dans les processus gouvernementaux et, plus particulièrement, dans les processus requis pour l’approbation de nouveaux projets de sables bitumineux. Le Projet de loi 22 a été caractérisé par le gouvernement de l’Alberta comme réduisant le fardeau réglementaire, accélérant les approbations, encourageant l’investissement, augmentant la compétitivité de l’Alberta et aidant à relancer l’économie au milieu de la pandémie COVID-19 en cours.

Dans cette mise à jour, nous présentons un résumé des principales modifications proposées par le Projet de loi 22 qui intéressent les promoteurs de projets – à savoir, la suppression du rôle du Cabinet dans l’approbation des projets de sables bitumineux – et nous examinons leurs implications potentielles, notamment dans le contexte du droit autochtone et de l’obligation de consultation.

Dans l’ensemble, les modifications proposées par le Projet de loi 22 sont un effort bienvenu pour créer une plus grande efficacité et une plus grande rapidité dans les processus réglementaires, et les modifications proposées peuvent réduire le temps global nécessaire pour obtenir les approbations pour les développements des sables bitumineux. Toutefois, les récents développements judiciaires concernant l’obligation de la Couronne de consulter les communautés autochtones et de défendre l’honneur de la Couronne suggèrent que l’incertitude dans les processus d’examen réglementaire risque de persister.

Le Projet de loi 22 : un aperçu

Le Projet de loi 22 est un projet de loi omnibus qui propose des amendements à 14 textes législatifs qui sont administrés par six ministères différents. Les amendements proposés dans le Projet de loi 22 font partie des efforts du gouvernement de l’Alberta pour « réduire la bureaucratie » dans les processus gouvernementaux afin d’en accroître l’efficacité, d’accélérer les approbations réglementaires et d’attirer les investissements. Le Projet de loi 22, s’il est adopté, modifiera la législation suivante :

  • Loi sur la conservation des sables bitumineux
  • Loi sur les mines et les minéraux
  • Loi sur les droits de superficie
  • Loi sur les terres publiques
  • Loi sur l’efficacité énergétique de l’Alberta
  • Loi sur la commercialisation des produits agricoles
  • Loi sur les compagnies
  • Loi sur les sociétés en commandite
  • Loi sur les sociétés par actions
  • Loi sur les statistiques de l’état civil
  • Loi sur le développement des loisirs
  • Loi sur les testaments et les successions
  • Loi sur le gouvernement municipal
  • Loi sur les codes de sécurité

Cette mise à jour se concentre sur les modifications apportées à la Loi sur la conservation des sables bitumineux.

Loi sur la conservation des sables bitumineux

La section 12 du Projet de loi 22 modifie la Loi sur la conversation des sables bitumineux (Oil Sands Conservation Act ou OSCA) en supprimant l’obligation pour l’autorité de règlementation de l’énergie de l’Alberta (Alberta Energy Regulator ou AER) d’obtenir l’autorisation du lieutenant-gouverneur en conseil (le Cabinet) avant de délivrer l’approbation finale des nouveaux projets de sables bitumineux en Alberta. La section 12 du Projet de loi 22 modifie également OSCA en supprimant le pouvoir du Cabinet d’imposer des conditions à l’approbation d’un projet de sables bitumineux. Le résultat de cet amendement est que AER deviendra le décideur final, en vertu de OSCA, pour les nouveaux projets de sables bitumineux en Alberta.

Considérations pour les promoteurs de projets

Délais d’approbation des projets

L’obligation d’obtenir l’autorisation du Cabinet a historiquement entraîné des retards plus ou moins importants pour les promoteurs de projets. Comme nous l’avons indiqué dans notre précédente mise à jour concernant l’obligation pour le Cabinet de rendre une décision en vertu de OSCA dans un délai raisonnable, les autorisations du Cabinet délivrées en vertu de OSCA ont pris, en moyenne, quatre mois après une audience d AER, mais dans un cas récent, elles ont entraîné un retard exceptionnel. Par conséquent, en supprimant l’obligation d’obtenir l’approbation du Cabinet, le Projet de loi 22 devrait raccourcir les délais règlementaires. Le gouvernement de l’Alberta a déclaré qu’il prévoie que les modifications à OSCA réduiront le processus global d’examen règlementaire de dix mois au maximum. Bien que cette affirmation est très optimiste, ce qui est clair c’est que, après avoir terminé un processus réglementaire (parfois très long) devant un tribunal d’experts (AER), les promoteurs n’auront plus besoin d’attendre que le Cabinet autorise leurs projets.

Toutefois, pour les mines de sables bitumineux (par opposition au drainage par gravité au moyen de vapeur (SAGD) ou à d’autres projets de sables bitumineux in situ), les promoteurs seront toujours soumis au régime fédéral d’évaluation des incidences en vertu de la Loi sur l’évaluation d’impact (Canada) et aux exigences correspondantes d’autorisation du Cabinet au niveau fédéral. Pour ces projets, il est peu probable que le changement proposé par le Projet de loi 22 apporte de nombreux avantages, voire aucun, en ce qui concerne l’échéancier. Néanmoins, il s’agit d’un obstacle de moins à surmonter.

Réduction de l’incertitude politique

En vertu de OSCA, AER doit évaluer si un projet de sables bitumineux proposé est dans l’intérêt public. Cependant, ce n’est un secret pour personne, les projets de développement en amont – particulièrement les projets de sables bitumineux les plus importants – sont devenus l’objet d’un examen public et d’un débat importants à l’intérieur et à l’extérieur des frontières de l’Alberta. Cela signifie que tout projet proposé pourrait faire l’objet d’une opposition de la part des membres du public, quelle que soit sa taille ou son potentiel à causer des impacts importants. En vertu de la législation actuelle, cette opposition peut se traduire par des pressions publiques et des efforts de pression pour influencer le Cabinet qui, dans de nombreux cas, se traduisent par des discussions avec et entre les membres du Cabinet mais qui n’impliquent pas toutes les parties concernées (y compris le promoteur) et ne sont pas accessibles au public. Ce cadre crée des incertitudes et des problèmes d’équité procédurale.

En supprimant l’obligation d’obtenir l’autorisation du Cabinet pour les projets de sables bitumineux, le processus d’examen règlementaire pourrait devenir moins politisé et plus transparent, car le pouvoir décisionnel final sera placé entre les mains du tribunal d’experts, qui suit généralement des processus prévisibles et applique des mesures fondées sur des preuves pour minimiser les impacts sur l’environnement, les parties prenantes et les communautés autochtones, le tout dans un cadre ouvert et transparent.

La consultation des communautés autochtones et l’honneur de la Couronne

En Alberta, en plus de toute consultation menée par les promoteurs, trois entités gouvernementales ont un rôle à jouer dans l’accomplissement de l’obligation de la Couronne de consulter les communautés autochtones potentiellement touchées par les projets de sables bitumineux proposés :

  1. Aboriginal Consultation Office (ACO) est chargé de déterminer si et avec qui une consultation est nécessaire, d’établir le processus de consultation et d’évaluer la pertinence de la consultation avant qu’une décision ne soit prise sur un projet réglementé par ACO. ACO a également pour rôle de recommander des mesures d’atténuation pour répondre aux impacts potentiels sur les droits autochtones et les droits issus des traités.
  2. AER (qui a assumé les responsabilités de l’ancien Energy Resources Conservation Board en 2013) est l’organisme de réglementation du cycle de vie des projets énergétiques de l’Alberta, c’est-à-dire qu’il est chargé d’examiner, d’évaluer, d’imposer des conditions, d’approuver et de superviser le développement et la conformité des projets de développement des ressources énergétiques, y compris les projets de sables bitumineux. AER est chargée d’évaluer les impacts d’un projet sur les droits des autochtones et les droits issus des traités, de veiller à ce que les impacts soient raisonnablement évités ou minimisés, et de déterminer si un projet est dans l’intérêt public général de l’Alberta. Les processus d’examen de AER (y compris les audiences tenues, le cas échéant) peuvent également être utilisés pour accomplir l’obligation de consultation de la Couronne. Toutefois, AER n’est pas compétente pour évaluer le caractère adéquat de cette consultation. Ce pouvoir appartient plutôt à ACO, qui est chargé de conseiller AER sur ces questions. AER ne peut approuver un projet que si ACO a jugé la consultation des communautés autochtones adéquate.
  3. En vertu de OSCA, le Cabinet s’est largement abstenu d’intervenir dans les projets de sables bitumineux qui ont été jugés d’intérêt public par ARE (ou son prédécesseur). Cependant, il a toujours eu le pouvoir d’examiner un projet proposé à la lumière de ses impacts potentiels et des considérations d’intérêt public pertinentes, et d’évaluer si l’approbation serait conforme à l’honneur de la Couronne compte tenu de ses obligations envers les communautés autochtones. Le Cabinet a actuellement le pouvoir de refuser ou d’imposer des conditions aux approbations de projets afin de remédier à toute préoccupation en suspens, bien qu’il le fasse rarement (voire jamais). Si le Projet de loi 22 est adopté, le Cabinet ne détiendra plus cette autorité statutaire.

    Les modifications proposées à OSCA dans le Projet de loi 22 sont colorées par les développements récents dans les tribunaux, comme nous l’avons vu dans notre précédente mise à jour. En particulier, la Cour d’appel de l’Alberta a récemment jugé que le mandat de ARE de considérer l’intérêt public incluait l’obligation de prendre en compte les questions pertinentes de droit constitutionnel, telles que l’honneur de la Couronne, que la Cour a jugé distinctes et séparées de l’absence expresse de compétence de AER pour évaluer l’adéquation de la consultation de la Couronne.[1]  Essentiellement, la Cour estima qu’il n’était pas conforme aux devoirs statutaires de AER de reporter les questions relatives à l’honneur de la Couronne pour que le Cabinet puisse les examiner. Cette conclusion semble être conforme à la proposition du Projet de loi 22, qui supprimerait le rôle du Cabinet dans le processus décisionnel et donc, toute incertitude quant à savoir si ARE ou le Cabinet est le mieux placé à traiter les questions constitutionnelles (au-delà du caractère adéquat de la consultation) soulevées par les communautés autochtones : cela deviendrait la seule responsabilité de AER.

    Cependant, du point de vue du droit autochtone, le cadre proposé par le Projet de loi 22 est unique. Nous ne connaissons aucun autre régime réglementaire où le décideur final (AER, dans ce cas) est expressément privé de la compétence de considérer le caractère adéquat de la consultation de la Couronne. Bien que les gouvernements puissent s’appuyer sur des tribunaux d’experts pour accomplir leurs obligations constitutionnelles envers les communautés autochtones, ces tribunaux doivent être correctement équipés pour le faire.[2]  En tranchant la question du caractère adéquat de la consultation, en confiant cette évaluation à une entité distincte (ACO) et en supprimant le rôle de surveillance finale que le Cabinet pourrait autrement jouer, le Projet de loi 22 introduit une certaine incertitude quant à savoir si le régime qui en résultera répondrait aux exigences constitutionnelles du Canada envers les communautés autochtones et pourrait entraîner un risque d’appel pour les promoteurs. Nous notons que deux Premières nations de la région des sables bitumineux de l’Alberta ont récemment intenté un procès contre la province, alléguant que le régime actuel de AER/ACO nuit à l’efficacité de la consultation et est inconstitutionnel.[3]

    Pour ces mêmes raisons, bien que la suppression du pouvoir de décision ultime du Cabinet éliminera une étape du processus d’examen et pourrait réduire les délais d’examen règlementaire, elle pourrait amener AER et ACO à prendre des précautions (et des délais) supplémentaires lors de l’examen d’un projet proposé pour s’assurer que l’obligation de consulter a été accomplie et que l’honneur de la Couronne a été respecté.

Enfin, si une communauté autochtone touchée n’est pas satisfaite du résultat final, sa capacité à contester la décision de la « Couronne » sur un seul projet est double : une demande de révision judiciaire de la décision de ACO sur le caractère adéquat de la consultation devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta et un appel de la décision de AER devant la Cour d’appel de l’Alberta. Cette situation indésirable est présente dans le cadre du régime législatif actuel et a souvent donné lieu à de multiples actions en justice portant sur la même plainte sous-jacente. Le Projet de loi 22 tel qu’il est proposé ne changerait rien à cette situation et pourrait même donner lieu à des litiges supplémentaires de la part des communautés autochtones pour les raisons mentionnées ci-dessus.

 

[1] Fort McKay First Nation v. Prosper Petroleum Ltd., 2020 ABCA 163.

[2] Clyde River (Hamlet) c. Petroleum Geo-Services Inc., 2017 CSC 40.

[3] Mikisew Cree First Nation and Athabasca Chipewyan First Nation v. Her Majesty the Queen in Right of Alberta représenté par le ministre des relations avec les communautés autochtones : Demande introductive d’instance datée du 23 mars 2020 et demande de contrôle judiciaire initiale datée du 25 mars 2020 (Cour du Banc de la Reine de l’Alberta).