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La Cour d’appel du Québec clarifie le contexte de l’arrêt Jordan lorsqu’un nouveau procès est ordonné

Auteur(s) : Fabrice Benoît, Emily Lynch, Frédéric Plamondon

Le 4 juin 2020

Soyez avertis – la Cour d’appel du Québec a récemment décidé que le « pendule de l’arrêt Jordan » devrait être remis à zéro en cas de réouverture de procès, ce qui pourrait vous obliger à réviser votre stratégie de défense.

Le 25 mai 2020, la Cour d’appel du Québec rendit son jugement dans l’affaire R. c. J.F., où elle fut notamment appelée à décider quant au courant jurisprudentiel applicable afin de déterminer si l’accusé avait bénéficié d’un procès dans un délai raisonnable lors de la réouverture du procès. En calculant le délai dans ces circonstances, la Cour utilisa l’approche selon laquelle le délai dans les deux procès ne doit pas être calculé de façon cumulative mais plutôt remis à zéro une fois qu’un nouveau procès est ordonné.

Contexte

En 2011, l’intimé fut accusé d’avoir commis plusieurs délits sexuels. Lorsque l’affaire était en délibéré, la Cour suprême du Canada rendit son fameux arrêt Jordan en 2016. L’intimé fut acquitté en février 2017. Subséquemment, la Cour d’appel du Québec ordonna la tenue d’un nouveau procès en juin 2018. En février 2019, l’intimé soumit une requête en arrêt des procédures an argumentant que son droit d’être jugé dans un délai raisonnable avait été enfreint. Le 25 février 2019, le juge de première instance accueillit la requête et a ordonna l’arrêt des procédures. La Couronne a porté la décision en appel.

R. v. J.F. : résumé de la décision de la Cour d’appel

La Cour d’appel aborda premièrement l’un des arguments de la Couronne à l’effet que l’échec de l’intimé à soulever la question de la violation de son droit à un procès dans un délai raisonnable lors du premier procès vaut renonciation à ce droit. La Cour rejeta cet argument et jugea que l’accusé n’était pas empêché d’invoquer la violation de ses droits en vertu de l’article 11(b) de la Charte pour cause des contre-temps occasionnés lors du premier procès une fois qu’un nouveau procès est ordonné. Malgré qu’il soit toujours préférable pour l’accusé de soulever la violation de son droit constitutionnel d’être jugé dans un délai raisonnable le plus rapidement possible, la Cour d’appel souligna que dans certaines conditions il serait plus bénéfique pour l’accusé d’être acquitté au lieu d’être le sujet d’une ordonnance de suspension.

La Cour admit alors que la jurisprudence n’avait pas réglé de façon définitive le calcul du délai dans les cas où un nouveau procès est ordonné. Selon la Cour, deux principaux courants jurisprudentiels existent : (1) des approches qui traitent le délai dans les deux procès de façon cumulative ; et (2) des approches qui ne traitent pas le délai de façon cumulative, mais plutôt, « remettent le pendule à zéro » à partir de la date à laquelle le nouveau procès a été ordonné.

Malgré le fait que la première approche aurait été préférée en vertu de l’arrêt Morin (le cadre analytique précédant Jordan), la Cour d’appel choisit la deuxième approche, tout en jugeant cette dernière plus compatible avec les principes issus de l’arrêt Jordan. Notamment, la Cour jugea que les limites présumées établies dans l’arrêt Jordan ne considèrent qu’un premier procès et qu’il serait « pratiquement impossible » de conclure deux procès dans ces mêmes limites présumées. La Cour précisa que l’analyse devrait connaître deux étapes. Premièrement, le régime de l’arrêt Jordan devrait être appliqué au premier procès. Si le délai est jugé raisonnable, la Cour doit alors appliquer le régime de l’arrêt Jordan au deuxième procès, tout en remettant le pendule à zéro à partir de la date à laquelle le nouveau procès a été ordonné.

Dans le cas présent, le délai pour le premier procès, selon les calculs de la Cour d’appel, était de 62 mois, soit plus que deux fois la limite de 30 mois. Ce délai fut donc jugé déraisonnable. Par conséquent, la Cour n’a pas cru nécessaire d’appliquer le régime de l’arrêt Jordan au deuxième procès. Par conséquent, l’appel fut rejeté.

Commentaires

Cette décision marque un autre développement dans la jurisprudence grandissante qui interprète l’article 11(b) de la Charte canadienne des droits et libertés à la suite de l’arrêt Jordan, cette décision historique de la Cour suprême.

Si la controverse subsiste autour de la question de remettre ou non le pendule à zéro lors d’un deuxième procès, des précisions supplémentaires de la Cour suprême pourraient être requises, tel fut le cas lors d’une récente décision dans laquelle la Cour suprême s’est penchée sur la question à savoir si le droit d’un accusé d’être jugé dans un délai raisonnable avait été enfreint dans le contexte spécifique de la durée de délibération du verdict.