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Le délit de « divulgation publique de faits privés » est reconnu en Alberta dans un dossier de pornodivulgation

Auteur(s) : Brian Thiessen, Adam LaRoche

Le 27 septembre 2021

Introduction

Le 16 septembre 2021, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a rendu sa décision dans l’affaire ES v Shillington[1] [PDF] (Shillington), reconnaissant le délit civil de « divulgation publique de faits privés » et marquant une expansion des délits civils liés à la vie privée dans la province.

Contexte

La demanderesse avait fourni des images intimes au défendeur pour un usage privé. Le défendeur a publié les images intimes de la demanderesse sur Internet sans le consentement de cette dernière. La demanderesse avait subi de graves abus physiques, émotionnels et sexuels dans le cadre d’une relation avec le défendeur.

La demanderesse a été reconnue sur certaines photographies par son voisin, qui lui a ensuite parlé des photographies. Le psychologue de la demanderesse a fourni des preuves de l’anxiété qui en a résulté pour cette dernière et d’autres symptômes permanents importants qui ont affecté négativement sa vie.

Le défendeur a été reconnu en défaut, et la demanderesse a réclamé des dommages et intérêts pour l’acte délictueux de « divulgation publique de faits privés », en plus de l’abus de confiance, des voies de fait, de l’agression sexuelle, des coups et blessures et de l’infliction intentionnelle de détresse mentale. La demanderesse a également demandé une injonction exigeant du défendeur qu’il retire ses images privées du domaine public et qu’il ne les remette pas en ligne.

Décision

La juge Inglis, écrivant pour la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, a rédigé le premier jugement de l’Alberta reconnaissant le délit de « divulgation publique de faits privés ». Ce faisant, la Cour a adopté exactement le même critère en quatre parties pour le même délit reconnu en Ontario, dans l’affaire Jane Doe 72 511 v Morgan[2]  

  1. le défendeur a rendu public un aspect de la vie privée de la demanderesse
  2. la demanderesse n’a pas consenti à la publication
  3. ce qui a été rendu public ou sa publication serait très offensant pour une personne raisonnable, et
  4. la publication n’était pas d’un intérêt légitime pour le public.

Un jugement a également été rendu pour voies de fait, coups et blessures, agression sexuelle, infliction intentionnelle de détresse mentale et abus de confiance.

Dans le dossier Shillington, la Cour a tenu compte de la directive de la Cour suprême du Canada selon laquelle de nouveaux délits ne doivent pas être reconnus à moins de « refléter un tort qui été causé, être nécessaire pour redresser ce tort et pouvoir faire l’objet d’un examen judiciaire approprié », comme il a été décidé dans le dossier Nevsun Resources Ltd c. Araya[3]

Bien que la loi albertaine Protecting Victims of Non-Consensual Distribution of Intimate Images Act[4], adoptée en 2017, aurait pu par ailleurs prévoir un délit civil suffisant pour redresser le tort en l’espèce, la conduite du défendeur dans Shillington était antérieure à l’adoption de cette loi. Par conséquent, la règle interdisant l’application rétrospective des lois a laissé la porte ouverte à la Cour pour reconnaître le délit en common law, tel qu’il a été reconnu auparavant en Ontario.

La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a accédé à la demande d’injonction permanente de la demanderesse et a accordé des dommages-intérêts monétaires liés à la publication d’images intimes totalisant 185 000 $, soit 80 000 $ en dommages-intérêts généraux, 25 000 $ en dommages-intérêts majorés, 50 000 $ en dommages-intérêts punitifs et 30 000 $ en dommages-intérêts particuliers.

Points importants pour les entreprises

La Cour n’a pas limité l’application du délit de « divulgation publique de faits privés » aux images intimes ou pornographiques – en fait, la Cour a expressément noté que les intérêts de la vie privée peuvent se manifester dans les informations financières, relationnelles et de santé, et qu’une personne raisonnable pourrait être fortement offensée par leur publication sans consentement.

Il reste à voir si les avocats-conseils des entrepreneurs tenteront d’étendre l’application du plus récent délit civil reconnu en Alberta. Si l’on se fie à l’histoire, des recours collectifs alléguant la responsabilité du fait d’autrui des employeurs pour le délit d’« intrusion dans la vie privée » ont été autorisés (par exemple, dans l’affaire Evans v Bank of Nova Scotia)[5], et des recours similaires en responsabilité du fait d’autrui contre des entreprises pour « divulgation publique de faits privés » pourraient donc se profiler à l’horizon en Alberta.

Cependant, selon les auteurs, le délit doit être interprété de manière restrictive, afin d’éviter que les plaintes pour divulgation involontaire ou inoffensive d’informations contre les entreprises ne deviennent la norme. De telles divulgations seraient traitées de manière plus appropriée et plus efficace par la législation et l’organisme de réglementation de la protection de la vie privée existants dans le secteur privé en Alberta. Le délit de « divulgation publique de faits privés » devrait être réservé aux situations réellement « hautement offensantes » et intentionnelles, comme c’était le cas dans l’affaire Shillington.


[1] 2021 ABQB 739

[2] 2018 ONSC 6607.

[3] 2020 SCC 5.

[4] RSA 2017, c P-26.9.

[5] 2014 ONSC 2135.