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Modifications proposées à la Charte de la langue française du Québec – incidences sur les relations de travail

Auteur(s) : Alexandre Fallon, Sven Poysa, Julien Ranger

Le 9 septembre 2021

Le 13 mai 2021, le gouvernement du Québec a présenté le projet de Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français [PDF] (la « Loi ») qui propose des modifications importantes à la Charte de la langue française (la « Charte »).

Le 17 mai 2021, Osler publiait un article relatif aux nouvelles obligations qui en découleraient pour les exploitants d’entreprises au Québec si ces modifications étaient adoptées, lequel se trouve ici.

Le présent bulletin d’actualités traite, en particulier, des incidences de ces modifications sur le droit du travail.

Offres d’emploi, mutations ou promotions

À l’heure actuelle, toutes les annonces de postes au Québec doivent être publiées en français. Les formulaires de demandes d’emploi associés à ces postes doivent également être disponibles en français. Néanmoins, les employeurs ont une grande latitude à cet égard.

La Loi restreindrait quelque peu cette latitude en exigeant que, lors de la publication d’une offre d’emploi en anglais (par exemple sur le site Web d’un employeur ou sur un site de recherche d’emploi), cette offre soit publiée simultanément en français « par des moyens de transmission de même nature et atteignant un public cible de taille comparable, toutes proportions gardées. »

Cette nouvelle obligation demanderait de modifier le processus de publication d’une offre d’emploi, car il faudrait assurer la publication simultanée des versions française et anglaise des offres d’emploi sur des médias comparables. De plus, les employeurs seraient tenus de documenter leur conformité à cette obligation afin de se prémunir contre toute responsabilité.

Contrats de travail

En principe, le contrat de travail d’un employé québécois doit être rédigé en français. Toutefois, à l’heure actuelle, un employé peut demander que son contrat de travail soit rédigé en anglais.

Selon la Loi, si le contrat de travail est un contrat d’adhésion (c’est-à-dire, si les dispositions essentielles du contrat sont imposées ou rédigées par l’employeur et ne sont pas négociables), ou si le contrat contient des clauses standard ou renvoie à de telles clauses, une version française du contrat ou des clauses standard, selon le cas, devra être remise à l’employé aux fins d’examen avant que l’employé puisse demander que le contrat d’emploi soit rédigé en anglais. Les entreprises qui embauchent des employés au Québec devront déterminer le processus qu’elles mettront en place afin de pouvoir démontrer leur conformité avec cette obligation.

Dans ce contexte, il faudra porter un soin particulier à l’exactitude de la traduction d’un contrat de travail, car l’employé pourra invoquer l’une ou l’autre des versions en cas de divergence entre la version française et la version anglaise.

Les employés existants, dont le contrat de travail est rédigé en anglais, auraient le droit d’exiger une version française de celui-ci dans l’année suivant l’entrée en vigueur de la Loi.

Communications écrites avec les employés québécois

L’article 41 de la Charte prescrit que les communications écrites destinées au personnel doivent être rédigées en français, bien que la jurisprudence et les lignes directrices administratives aient clairement établi que seules les communications portant sur les conditions d’emploi étaient visées.

La Loi modifie le libellé de cette disposition de façon, semble-t-il, à élargir la portée de cette exigence pour qu’elle s’applique à toutes les communications écrites. Ainsi, les communications destinées aux employés québécois, qu’elles s’adressent à des groupes du personnel ou à un employé, devraient être rédigées en français, à moins que l’employé ne demande qu’elle soit dans une autre langue.

Cette exigence n’est pas précisée et nous espérons que le processus législatif viendra clarifier l’intention du législateur. Pour l’instant, nous supposons que cette exigence s’appliquerait à toute communication « officielle » provenant de « l’employeur », notamment les notes de service et les avis remis aux employés en général, ainsi que les communications de l’employeur destinées à des employés en particulier en lien avec leur emploi (par exemple, les évaluations de rendement, les avis d’aspects à améliorer, les lettres d’augmentation de salaire et de primes), et non toutes les communications entre employés.

La Loi précise également que les documents portant sur les conditions d’emploi (les politiques et les modalités des avantages sociaux, entre autres) devront être disponibles en français. De plus, elle impose une nouvelle exigence selon laquelle tous les documents de formation destinés aux employés québécois qui, à l’heure actuelle, ne doivent pas nécessairement être rédigés en français (du moins pour les employeurs de moins de 50 personnes au Québec) devraient dorénavant être mis à la disposition des employés du Québec en français.

Les documents existants portant sur les conditions d’emplois qui ne sont pas disponibles en français devraient l’être dans l’année suivant l’entrée en vigueur de la Loi.

Enfin, les employés québécois auraient le droit de recevoir les contrats d’assurances collectives et les attestations d’assurance en français. De même, les documents existants qui ne sont pas disponibles en français devraient être mis à la disposition des employés en français dans l’année suivant l’entrée en vigueur de la Loi.

Pratiques interdites à l’égard des employés francophones

La Loi augmente substantiellement la protection contre la discrimination à l’égard des francophones unilingues. En effet, alors qu’il est interdit aux employeurs de congédier, de rétrograder ou de muter un employé francophone unilingue pour ce motif et de sanctionner un employé qui exigerait que la Charte soit appliquée, l’interdiction s’étendrait à toute forme de représailles ou de pénalité imposée à un francophone unilingue dans les cas suivants :

  • l’incitation auprès d’un employé à ne pas exercer ses droits en vertu de la Charte ;
  • l’employé a une connaissance insuffisante d’une autre langue que le français, alors que cette connaissance n’est pas nécessaire pour l’exécution de ses tâches ;
  • l’employé participe à des réunions du comité de francisation ;
  • les tentatives d’influencer l’approbation ou le rejet d’un programme de francisation ;
  • le fait pour un employé de communiquer avec l’Office québécois de la langue française (OQLF) relativement à une violation alléguée de la Charte, ou de collaborer à une enquête de l’OQLF ;
  • l’exigence selon laquelle un employé doit acquérir la connaissance d’une autre langue que le français afin de conserver son poste ou d’accéder à un poste, à moins qu’il puisse être démontré que l’acquisition de cette connaissance est nécessaire à l’exécution des tâches et que toutes les mesures raisonnables aient été prises pour éviter d’imposer cette exigence.

En outre, la Loi imposerait une nouvelle obligation aux employeurs, soit de prendre des mesures afin d’empêcher la discrimination ou le harcèlement envers les employés francophones unilingues, les employés qui se prévalent de leur droit de s’exprimer en français, ou les employés qui demandent que leurs droits en vertu de la Charte soient respectés.

Sévérité accrue en ce qui concerne l’exigence de la connaissance de l’anglais comme condition d’emploi

La Charte interdit déjà de faire de la connaissance de l’anglais (ou de toute autre langue que le français) une condition d’emploi « à moins que l’accomplissement de la tâche ne nécessite une telle connaissance. » Autrement dit, la connaissance de l’anglais peut être requise si elle est nécessaire du point de vue opérationnel. La Loi ne modifierait pas cet aspect. Toutefois, elle est plus prescriptive au regard de ce que l’employeur doit être en mesure de démontrer avant de faire de la connaissance de l’anglais une condition d’emploi. En vertu de la Loi, l’employeur serait tenu de démontrer ce qui suit :

  • il a évalué les besoins linguistiques réels liés aux tâches qui doivent être accomplies ;
  • d’autres employés qui sont déjà tenus d’avoir une bonne connaissance de l’anglais ne seraient pas en mesure d’effectuer les tâches liées au poste qui exigent la connaissance de l’anglais ;
  • les tâches pour lesquelles une bonne connaissance de l’anglais est requise ont été regroupées le plus possible dans certains postes de manière à limiter le plus possible le nombre de postes exigeant cette connaissance.

Les entreprises devront considérer la façon d’effectuer cette analyse et de la documenter afin d’éviter d’engager leur responsabilité.

Droit d’action et de recours privés

À l’heure actuelle, le droit privé d’action est limité au droit de l’employé de s’adresser aux tribunaux administratifs ayant compétence en droit du travail si l’employé se voit refuser un poste ou une promotion, rétrograder, muter ou congédier au motif qu’il a une connaissance insuffisante d’une langue autre que le français. Autrement, le seul recours en cas de violation de la Charte était de déposer une plainte auprès de l’OQLF.

C’était un aspect rassurant et important pour les entreprises étant donné qu’au Québec, divers activistes linguistiques déposent de nombreuses plaintes en vertu de la Charte. Ces questions pouvaient être traitées directement avec l’OQLF, de façon collaborative, sans le risque d’un litige privé, ce qui était pratique. Les contrats conclus en anglais pouvaient être considérés comme non conformes à la Charte, mais étaient néanmoins exécutoires.

La Loi ferait disparaître cette protection. Un employé pourrait obtenir une injonction du fait que l’employeur contrevient à son droit de travailler en français. De plus, le contrat type qui n’est pas remis en français à l’employé pourrait être réputé non exécutoire pour l’employeur contre l’employé, mais exécutoire pour l’employé contre l’employeur. Un contrat type rédigé en anglais, qui n’aurait pas été présenté d’abord en français à l’employé, serait réputé « incompréhensible », donc nul.

L’application des dispositions de la Charte ne serait plus du ressort de l’OQLF et serait de la compétence exclusive de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST – la commission des normes du travail), comme l’est l’application de toutes les autres normes du travail. Ceci signifie qu’un employé aurait le droit de déposer une plainte fondée sur une violation de la Charte auprès de la CNESST, cette plainte donnant lieu au processus de médiation de la CNESST et à des procédures devant le tribunal administratif du travail, faisant en sorte que l’employé aurait le droit d’être représenté gratuitement par un procureur de la CNESST. En cas d’allégation de discrimination dans la plainte, la CNESST pourrait la transmettre à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (un tribunal des droits de la personne).

Enfin, la Loi créerait un nouveau droit en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec de « vivre en français dans la mesure prévue par la Charte de la langue française ». Les particuliers auraient alors un droit d’action devant les tribunaux en cas de violation de la Charte, ce qui comprendrait le droit de réclamer des dommages-intérêts punitifs dans les cas d’« atteinte illicite et intentionnelle ». De tels dommages-intérêts punitifs pourront être accordés si le préjudice n’est pas en mesure d’être compensé.

Osler commandite deux webinaires sur le sujet. La partie 1, le lundi 13 septembre à 12 h 30 et la partie 2, le jeudi 23 septembre à 12 h 30. Vous êtes invité à vous y inscrire.