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Recherche scientifique et développement expérimental : L’amélioration de la rentabilité est-elle pertinente?

Auteur(s) : Joanne Vandale, Jennie Han

Le 13 juillet 2021

Dans l’affaire 6398316 Canada Inc. c. La Reine (2021 TCC 17), la question à trancher était de savoir si les préoccupations relatives aux coûts pouvaient constituer une incertitude technologique aux fins du crédit d’impôt pour la recherche scientifique et le développement expérimental (RS&DE). En concluant que la construction d’une maison exceptionnellement écoénergétique à un prix comparable à celui d’une « maison ordinaire » ne constituait pas de la RS&DE, la Cour a souligné l’importance de mettre en évidence les aspects technologiques de l’incertitude que les travaux de RS&DE cherchent à surmonter, même si la rentabilité est un élément essentiel du progrès recherché.

En 2012 et 2013, 6398316 Canada Inc. a conçu et construit avec succès, au même coût que celui d’une maison ordinaire, une maison ne nécessitant aucune source d’énergie raccordée au réseau pour le chauffage et la climatisation (comme l’électricité ou le gaz naturel). La maison a été conçue et construite de manière à exploiter la température et les autres fluctuations de l’environnement naturel afin de maintenir une température intérieure constante. La maison a été achevée à la fin de 2013, et l’appelant a réclamé certaines dépenses de construction à titre de frais de RS&DE. Le ministre a refusé toutes les dépenses de l’appelant liées au projet.

Décision de la CCI

Pour rendre sa décision, la Cour a appliqué le processus à cinq étapes établi par le juge Bowman dans l’affaire Northwest Hydraulic Consultants Ltd. c. La Reine (1998 CanLII 553 (CCI)) pour déterminer s’il s’agit d’activités de RS&DE, en se concentrant sur la question de savoir si le projet satisfaisait au critère d’« incertitude scientifique ou technologique ». L’appelant a fait valoir que l’incertitude technologique consistait à savoir s’il pouvait construire, à un prix similaire à celui d’une maison traditionnelle, une maison ne nécessitant pas de fournaise; ainsi, l’incertitude technologique telle que formulée par l’appelant était le coût.

En concluant que le travail ne constituait pas de la RS&DE, la Cour a déclaré que [traduction] « [c]onceptuellement, il n’y a pas d’aspect technologique implicite dans la notion voulant que le coût ou le prix d’un article soit de “x” plutôt que de “y” dollars » : la formulation de l’incertitude technologique comme étant uniquement une question de coût « n’atteint pas l’objectif de Northwest Hydraulic » qui exige une hypothèse visant directement une incertitude technologique (paragraphe 31). La Cour a déclaré que, bien que la RS&DE puisse également donner lieu à une baisse de prix ou à une rentabilité, la rentabilité ne peut en soi constituer une incertitude technologique.

À notre avis, lorsque lu dans son contexte, le rejet par le juge Russell de la position de l’appelant dans l’affaire 6398316 Canada Inc. n’est pas tant un rejet de la proposition selon laquelle le coût ou l’établissement du prix peut être pertinent dans un projet de RS&DE qu’un refus d’accepter que les préoccupations relatives au coût, sans plus, indiquent qu’il y a une incertitude technologique à résoudre. Cela est conforme à la récente décision rendue dans l’affaire National R&D Inc. c. La Reine (2020 CCI 47) qui portait sur le développement d’un programme informatique permettant d’automatiser certaines parties du dépôt des demandes de RS&DE auprès de l’ARC. Dans cette affaire, le juge Lafleur affirme que les « facteurs économiques » ont imposé une certaine incertitude et que « [l]es contraintes commerciales et le contexte commercial du contribuable qui demande la déduction et le crédit pour la RS&DE sont des facteurs pertinents à prendre en compte lors de l’examen du critère de l’incertitude technologique » (paragraphe 44).

Messages clés de l’affaire

À notre avis, l’affaire 6398316 Canada Inc. comporte trois messages clés :

  1. Les contribuables doivent veiller à formuler l’hypothèse et l’incertitude technologique de manière à mettre en évidence des obstacles technologiques plutôt qu’économiques. Bien qu’il ne soit pas nécessaire de nier que le coût ait pu motiver le travail de RS&DE ou qu’il ait été un facteur pertinent à prendre en compte, comme cela a été mis en évidence dans l’affaire 6398316 Canada Inc., le fait de mettre l’accent sur le coût peut permettre à la Cour de ne pas tenir compte des obstacles présents dans les technologies elles-mêmes et, dans bien des cas, cela ne rend pas justice aux progrès technologiques recherchés dans les projets de RS&DE.
  2. Les contribuables doivent fournir une description claire de l’incertitude technologique et du progrès technologique qui caractérisent le projet. L’ARC (et parfois la Cour) a tendance à appliquer les facteurs de Northwest Hydraulic aux activités individuelles entreprises pour faire avancer un projet. Cette tendance s’est manifestée pleinement dans l’affaire 6398316 Canada Inc. où la décision de la Cour s’est concentrée sur le fait que des activités ou des matériaux particuliers utilisés dans le cadre du projet étaient connus, plutôt que sur le caractère novateur du projet dans son ensemble (c’est-à-dire, comment ces activités ont permis de réaliser le progrès technologique recherché dans le cadre du projet). Ce faisant, la Cour a invalidé sa propre reconnaissance du fait que la RS&DE peut s’appuyer sur des technologies existantes. Une formulation claire de l’incertitude technologique et du progrès technologique au niveau du projet est essentielle pour éviter que l’analyse devienne une dissection des activités constitutives ne tenant pas compte d’un contexte plus large.
  3. L’affaire montre l’importance des témoignages d’expert, dont le juge Russell a noté l’absence tout au long de la décision. Les appels en matière de RS&DE impliquent souvent des questions scientifiques ou technologiques complexes, et il est essentiel que les contribuables fassent appel à des témoins experts qui peuvent s’exprimer sur la validité du prétendu progrès technologique. Ces témoignages sont essentiels pour permettre au juge d’évaluer si le projet implique la résolution d’une incertitude scientifique ou technologique.

Lorsque les entreprises entreprennent de développer des processus ou procédés technologiques nouveaux ou améliorés, elles tiennent nécessairement compte du coût. L’inclusion du « développement expérimental » (souvent appelé « RS&DE en usine ») dans le paragraphe (c) de la définition de la RS&DE illustre la reconnaissance législative du fait que les activités de RS&DE ne se déroulent pas dans n’importe quelles circonstances. Conclure que la rentabilité n’est pas un facteur pertinent ou qu’elle empêche d’une manière ou d’une autre un travail de constituer un projet de RS&DE valide serait incompatible avec l’intention du régime de RS&DE qui est d’encourager les entreprises canadiennes à entreprendre de la recherche et du développement au Canada. La législation vise à rendre les entreprises canadiennes compétitives au niveau international en matière de recherche et d’innovation. Lors de l’examen des demandes de RS&DE, l’ARC et les tribunaux devraient toujours tenir compte des avantages découlant de la recherche et du développement au Canada, éléments essentiels à la croissance économique de notre pays.

Cet article a été publié pour la première fois dans « Tax for the Owner-Manager » par la Fondation canadienne de fiscalité et le rédacteur Thomas E. McDonnell, c.r.