Passer au contenu

La Cour d’appel de l’Ontario clarifie les obligations des parties à un droit de premier refus

Auteur(s) : Mark Gelowitz, Sandy Hay

Le 6 décembre 2022

Le récent jugement de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Greta Energy Inc. et al. c. Pembina Pipeline Corporation et al., 2022 ONCA 783 (en anglais seulement), clarifie les limites de l’obligation des parties prenantes dans la vente d’un actif lié par un droit de premier refus. Cette décision intéresse toute partie ayant un intérêt dans des actifs assortis d’un droit de premier refus, que ce soit l’acheteur, le vendeur ou le titulaire du droit de premier refus.

Le 17 novembre 2022, la Cour d’appel a rejeté l’appel, formé par les demandeurs, de la décision antérieure de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, accueillant la requête en jugement sommaire en faveur des défendeurs Pembina Pipeline Corporation (Pembina) et BluEarth Renewables Inc. (BluEarth). Dans cette décision, la Cour a rejeté les allégations des demandeurs selon lesquelles les défendeurs auraient manipulé les prix attribués à un ensemble d’actifs pour tenter, et ce, de mauvaise foi, d’empêcher les demandeurs d’exercer leur droit de premier refus sur deux des actifs. La Cour a ensuite clarifié le sens de l’obligation de bonne foi qu’a le vendeur d’un actif envers le titulaire d’un droit de premier refus, insistant sur le fait que le processus suivi était légitime, indépendamment de ce que le titulaire de ce droit pouvait estimer être un prix « à la juste valeur marchande ».

Contexte

Avant la vente d’actifs objet du litige, Veresen Energy Infrastructure Inc. (Veresen), par la suite fusionnée à Pembina, possédait des intérêts majoritaires dans trois parcs éoliens. Deux de ces parcs éoliens (GV1 et GV2) étaient détenus par des sociétés en commandite avec les demandeurs, Greta Energy Inc. (Greta) et Great Grand Valley 2 Limited Partnership (« GGV2 »), respectivement. Bien que la structure de la société en commandite de Veresen était différente pour chaque demandeur, chaque contrat prévoyait un droit de premier refus pour le demandeur respectif dans le cas où Veresen vendait son intérêt dans l’actif. Le troisième parc éolien de Veresen (SCELP) était aussi détenu en vertu d’un contrat de société en commandite, dans ce cas avec 2177958 Ontario Inc., qui avait un droit de consentement à la vente de l’intérêt de Veresen.

En août 2016, Veresen a annoncé son intention de vendre plusieurs actifs du secteur de l’énergie, dont son intérêt dans les trois parcs éoliens. Veresen préférait vendre tous ces actifs ensemble, plutôt qu’un par un.

En janvier 2017, BluEarth a fait une offre de 599 millions de dollars pour acquérir un portefeuille de plusieurs actifs de Veresen, dont les trois parcs éoliens, à la suite de laquelle les parties ont commencé à négocier une convention d’achat et de vente (la Convention de vente). Les conditions de la Convention de vente imposaient à BluEarth de donner, de bonne foi, la répartition du prix entre chaque actif du portefeuille afin d’aviser les demandeurs de leur droit de premier refus.

En février 2017, BluEarth a donné une première répartition, indiquant qu’elle serait susceptible d’être modifiée. Deux jours après, BluEarth a réaffecté cinq millions de dollars du parc éolien SCELP au GV2. BluEarth et Veresen ont alors signé la Convention de vente avec les prix répartis définitifs.

Veresen a envoyé les avis informant les demandeurs de leur droit de premier refus en temps voulu. Greta et GGV2 ont ensuite envoyé à Veresen des avis pour déclarer qu’ils exerçaient leur droit de premier refus sur GV2 et qu’ils renonçaient à ce droit sur GV1. Elles ont intenté peu après une action à l’encontre de Veresen et de BluEarth, affirmant que la répartition du prix avait été manipulée abusivement dans la Convention de vente, enfreignant les droits de premier refus des demandeurs.

Dans le cadre de cette action, les demandeurs ont demandé des dommages-intérêts pour violation du contrat et pour manquement à l’obligation fiduciaire à l’encontre de Veresen, des dommages-intérêts pour incitation à la violation de contrat à l’encontre de BluEarth et des dommages-intérêts pour complot à l’encontre des deux défendeurs. Les demandeurs et les deux défendeurs ont déposé des requêtes en jugement sommaire. Les défendeurs ont demandé le rejet des prétentions des demandeurs.

La décision de la Cour supérieure de justice

Le 17 novembre 2021, la juge Gilmore a fait droit aux requêtes en jugement sommaire (en anglais seulement) et a rejeté l’intégralité des prétentions des demandeurs. Elle a statué que Veresen avait mis en place un processus légitime pour vendre ses actifs et que, par conséquent, la société s’était acquittée de son obligation de bonne foi et d’exécution honnête envers les demandeurs. Veresen était en droit de solliciter des offres portant sur un ensemble d’actifs, de chercher à obtenir un prix de répartition de bonne foi et d’accepter la meilleure offre.

La juge Gilmore a clarifié que, tandis que le titulaire d’un droit de premier refus doit avoir la possibilité de payer le prix offert par un tiers et accepté par le vendeur, cela ne lui donne pas droit à un prix coïncidant avec ce qu’il estime être la « juste valeur marchande ». La juge Gilmore a accepté l’argument de Veresen selon lequel il n’y a pas de prix correct pour un droit de premier refus et que le prix légitime est « ce que le vendeur offre et que l’acheteur est disposé à accepter » [traduction]. La juge Gilmore a en outre fait remarquer que, sur le plan commercial, il n’était pas déraisonnable pour un acheteur d’offrir un prix qui fasse pression sur un titulaire d’un droit de premier refus pour que ce dernier n’exerce pas ses droits, à condition que le prix de cet actif lie l’acheteur. D’après les conditions de la Convention de vente, même si la vente de certains actifs n’était pas conclue, BluEarth aurait dû acheter les actifs restants aux prix qu’elle avait attribués à chaque actif.

La juge Gilmore a rejeté les arguments des demandeurs selon lesquels Veresen avait une obligation fiduciaire ad hoc envers eux, concluant que rien ne démontrait que Veresen se soit engagée à renoncer à ses propres intérêts en faveur de ceux des demandeurs.

La juge Gilmore a également rejeté l’argument des demandeurs selon lequel les défendeurs avaient comploté pour entraver leur exercice du droit de premier refus. En l’espèce, il n’y avait pas d’éléments de preuve factuels qui auraient pu relever d’un complot pouvant faire l’objet de poursuites.

Par ailleurs, la juge Gilmore a rejeté l’affirmation des demandeurs selon laquelle BluEarth avait incité Veresen à violer son contrat. Celle-ci reposait essentiellement sur l’allégation selon laquelle BluEarth avait une obligation de bonne foi envers Greta. La juge Gilmore a conclu qu’une telle obligation n’existait pas et que BluEarth avait le droit d’agir en son propre intérêt.

La décision de la Cour d’appel

En appel, les demandeurs ont soutenu que la juge Gilmore s’était trompée sur différents points, notamment qu’elle leur avait appliqué « une norme trop stricte en exigeant d’eux qu’ils prouvent une intention concrète “d’éviscérer” le droit de premier refus » [traduction], selon le test mentionné dans le jugement GATX Corp. c. Hawker Siddeley Canada Inc., [1996] OJ no 1462 (en anglais seulement). En outre, les demandeurs ont soutenu que la juge Gilmore n’avait pas « apprécié comme il se doit les éléments de preuve » [traduction].

Des juges unanimes de la Cour d’appel ont maintenu les conclusions de la juge Gilmore, déclarant que « ce n’[était] pas le rôle de la cour de revoir ces conclusions en appel » [traduction]. La Cour a notamment observé que la juge Gilmore « n’avait trouvé aucun élément de preuve indiquant que le prix avait été manipulé délibérément pour empêcher l’exercice des droits de premier refus ou pour nuire aux appelants » [traduction] et que les appelants n’avaient pas pu établir « d’erreur manifeste et prépondérante dans les conclusions [de la juge Gilmore] » [traduction]. Ainsi, l’appel a été rejeté.

Principaux points à retenir

Cette affaire représente une évolution notable du droit relatif aux droits de premier refus dans le contexte d’une vente d’un ensemble d’actifs. Lorsqu’un avis de droit de premier refus est donné, il est question d’une compétition entre l’acheteur éventuel et le titulaire du droit de premier refus, et il n’existe pas de prix objectivement « correct » ou « à la juste valeur marchande » pour l’actif. Comme cela peut survenir, en particulier dans le cadre de la vente d’un ensemble d’actifs, lorsqu’un acheteur souhaite s’engager sur un prix de bonne foi qui est susceptible (selon le titulaire du droit de premier refus) de surévaluer l’actif assorti d’un droit de premier refus, ce titulaire devra soit payer le prix offert, soit renoncer à exercer son droit.

Mark A. Gelowitz et Sandy Hay du cabinet Osler ont représenté Pembina/Veresen dans ce litige.