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Les modifications proposées au régime de sécurité nationale du Canada élargissent, entre autres, les pouvoirs d’application de la loi

Auteur(s) : Shuli Rodal, Michelle Lally, Kaeleigh Kuzma, Danielle Chu, Chelsea Rubin, Reba Nauth, D’Arcy White

Le 12 décembre 2022

Le 7 décembre 2022, l’honorable François-Philippe Champagne, ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie du Canada (le ministre), a présenté à la Chambre des communes le projet de loi C-34 [PDF], désigné Loi sur la modernisation de l’examen des investissements relativement à la sécurité nationale. Le projet de loi C-34 propose un vaste ensemble de modifications à la Loi sur Investissement Canada (la LIC). La plus importante de ces modifications est l’établissement d’un régime obligatoire de dépôt préalable à la clôture visant les investissements effectués par des non-Canadiens dans des secteurs d’activité considérés comme particulièrement sensibles du point de vue de la sécurité nationale. Compte tenu de l’ampleur et de l’importance des modifications proposées, le gouvernement a l’intention d’engager un processus de consultation sur le régime proposé avant sa mise en œuvre, notamment à l’égard du contenu des projets de règlement définissant les secteurs d’activité considérés comme sensibles, ainsi que des implications en termes de calendrier. D’autres détails concernant le processus de consultation sont attendus sous peu, d’ici le printemps ou le début de l’été 2023, selon les prévisions.

Tandis que cette proposition constitue un changement important dans la réglementation des investissements étrangers au Canada et les modifications les plus importantes qu’on propose d’apporter à la LIC depuis plus d’une décennie, le nouveau régime permettra d’harmoniser le régime canadien à celui d’autres pays comme les États-Unis et le Royaume-Uni. En effet, ces pays ont pris des mesures ces dernières années pour exiger la notification préalable à la clôture des investissements sensibles. En annonçant les modifications, le ministre a souligné l’importance de l’investissement étranger pour l’économie canadienne et le désir du gouvernement de trouver un équilibre approprié entre continuer à accueillir les investissements et protéger la sécurité nationale du Canada.

Objectifs des modifications proposées

Le ministre a déclaré que la modernisation proposée vise à atteindre trois objectifs principaux :

  • rendre le régime d’examen relatif à la sécurité nationale (l’ESN) du Canada plus efficace et plus solide;
  • renforcer la flexibilité de l’ESN pour répondre à d’éventuelles atteintes à la sécurité nationale;
  • permettre des échanges plus sophistiqués avec les alliés étrangers du Canada afin de mieux relever les défis communs en matière de sécurité nationale.

Le projet de loi C-34 fait suite à la publication, le 27 novembre, de la très attendue Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique [PDF], dont l’annonce comprenait une brève référence aux projets d’examen et de modernisation de la LIC afin de protéger les intérêts nationaux du Canada.

Nouvelle obligation de dépôt préalable à la clôture visant les investissements dans les secteurs sensibles

Tous les investissements étrangers au Canada, quelle que soit leur taille ou leur portée, peuvent être examinés dans le cadre de l’ESN aux termes de la LIC. Ces investissements ne sont toutefois soumis à une obligation de dépôt préalable à la clôture que dans un faible pourcentage de cas. Actuellement, seules les acquisitions du contrôle (une expression définie dans la LIC) directes par des investisseurs non canadiens d’entreprises au Canada satisfaisant aux seuils financiers applicables sont soumises à l’approbation ministérielle obligatoire préalable à la clôture. Les acquisitions du contrôle directes en dessous de ces seuils, les acquisitions du contrôle indirectes et les constitutions de nouvelles entreprises canadiennes sont uniquement soumises à une obligation de notification, et l’investisseur a la possibilité de soumettre cette notification après la clôture (dans les trente jours suivant la mise en œuvre de l’investissement). Les investissements qui ne constitueraient pas une acquisition du contrôle ne sont pas soumis à la notification obligatoire (bien que depuis août 2022, il existe une option de dépôt volontaire). Par conséquent, de nombreux investissements réalisés par des non-Canadiens ne sont pas portés à l’attention du gouvernement avant leur clôture.

Le nouveau régime de dépôt proposé dans le projet de loi C-34 porterait à l’attention du gouvernement une plus grande proportion d’investissements étrangers au Canada avant qu’ils ne soient mis en œuvre, améliorant ainsi la robustesse de l’ESN du Canada. Lorsque le nouveau régime de dépôt entrera en vigueur, les investissements soumis à l’obligation de dépôt préalable à la clôture ne pourront être conclus avant qu’une période d’attente prescrite ne se soit écoulée ou que le ministre n’ait indiqué que l’examen de l’investissement est terminé.

Selon la version actuelle des modifications, les investissements passifs dans les secteurs sensibles énumérés ne seront pas soumis au nouveau régime. À cette fin, les investissements passifs sont ceux qui ne confèrent pas à un investisseur le pouvoir de nommer des personnes pouvant diriger les activités de l’unité ou de conférer des droits de vote spéciaux. Toutefois, le régime s’appliquera de manière générale à un non-Canadien qui propose d’acquérir (directement ou indirectement), en tout ou en partie, une unité qui est exploitée au Canada, a des employés ou des travailleurs à leur compte au Canada ou dispose d’actifs au Canada utilisés pour l’exploitation de l’unité si les trois critères suivants sont respectés :

  1. l’unité exerce une activité commerciale réglementaire;
  2. le non-Canadien pourrait avoir accès à des renseignements techniques importants qui ne sont pas accessibles au public ou à des actifs importants, ou en contrôler l’utilisation;
  3. le non-Canadien obtiendrait le pouvoir de nommer ou de recommander la nomination de personnes comme des membres du conseil d’administration ou de la haute direction de l’unité, ou certains droits particuliers visés par règlement.

Lorsque les critères ci-dessus sont remplis, l’investisseur non canadien sera tenu de déposer une notification préalable à la clôture et d’observer une période de non-clôture.

Les principaux éléments de définition du nouveau régime, notamment la définition d’une « activité commerciale réglementaire », doivent encore être établis par règlement. En annonçant les modifications, le ministre a souligné que les secteurs sensibles suivants seront protégés par les modifications : les activités commerciales liées aux minéraux critiques, aux vaccins, aux semi-conducteurs, à l’informatique quantique, à la cybersécurité, à l’intelligence artificielle, aux technologies de l’information et à la collecte de données personnelles. En outre, la liste non exhaustive de technologies sensibles établie dans les lignes directrices sur les examens relatifs à la sécurité nationale est susceptible de servir d’illustration. Cette liste comprend les matériaux et la fabrication de pointe, la détection et la surveillance avancées, l’armement perfectionné, l’aérospatiale, l’intelligence artificielle, la biotechnologie, la production, le stockage et le transport d’énergie, les technologies médicales, la neurotechnologie et l’intégration homme-machine, l’informatique de nouvelle génération et l’infrastructure numérique, les systèmes de positionnement, de navigation et de synchronisation, la science quantique, la robotique et les systèmes autonomes et les technologies spatiales.

Compte tenu de l’importance de la certitude des délais d’investissement et des pénalités importantes nouvellement proposées en cas de défaut de dépôt (voir ci-dessous), nous prévoyons un processus de consultation détaillé visant à assurer un champ d’application approprié de ce qui sera pris en compte dans le nouveau régime, ainsi que des éléments de processus appropriés comme des lignes directrices et d’autres mécanismes de gestion de la conformité. La Division de l’examen des investissements (la DEI) devrait publier des orientations qui aideront les investisseurs à déterminer si une unité exerce une « activité commerciale réglementaire » lorsque cette définition aura été établie. Il est important de noter que la DEI a indiqué que la liste des activités commerciales réglementaires sera probablement amenée à changer au fil du temps. Le processus de mise à jour de la liste et le délai de préavis des changements ne sont pas encore clairement définis.

Augmentation des pénalités

Les modifications proposées consistent à augmenter les pénalités en cas de non-respect de la LIC. Les actes de non-conformité comprennent notamment le défaut de soumettre un dépôt requis et le défaut de se conformer à un engagement pris envers le ministre. Le non-respect des conditions provisoires imposées aux termes du nouveau pouvoir ministériel fera également l’objet de pénalités. Comme c’est le cas actuellement, l’imposition de pénalités pour non-conformité nécessitera que le ministre présente une demande à un tribunal supérieur.

En général, les pénalités passeraient d’un maximum de 10 000 $ pour chaque jour de non-conformité et par infraction, à 25 000 $ par jour et par infraction. Une nouvelle pénalité discrétionnaire pouvant aller jusqu’à 500 000 $ serait également introduite en cas de non-respect de la nouvelle obligation de notification préalable à la clôture décrite ci-dessus. Le ministre aurait également le pouvoir d’actualiser ces pénalités à l’avenir sans modification législative.

Amélioration de la flexibilité de l’ESN en renforçant les pouvoirs du ministre

Les modifications proposées visent à accroître la souplesse et l’efficacité de l’ESN en donnant au ministre le pouvoir de prendre certaines mesures qui doivent actuellement être prises par le Cabinet. Les modifications donneraient au ministre, après consultation du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre de la Sécurité publique), le pouvoir de lancer un ESN au niveau du Cabinet (c.-à-d. sans avoir à obtenir l’approbation du Cabinet pour l’examen, comme c’est actuellement le cas).

Les modifications proposées autoriseraient également le ministre à court-circuiter le Cabinet et, après avoir consulté le ministre de la Sécurité publique, à accepter des engagements contraignants de la part d’un investisseur non canadien comme condition d’approbation eu égard à la sécurité nationale et à modifier ou à libérer l’investisseur non canadien de ses engagements lorsque les circonstances changent. En réduisant la barrière administrative permettant au ministre d’imposer des engagements, nous pourrions voir une autorisation conditionnelle soumise à des engagements comme fondement d’approbation dans le cadre de l’ESN plus fréquemment que ce n’est le cas actuellement.

Les modifications proposées prévoient également un nouveau pouvoir ministériel d’ordonner des conditions provisoires dans le cadre de l’ESN. Le ministre, après consultation du ministre de la Sécurité publique, serait habilité à imposer des conditions provisoires à tout investissement au cours du processus de l’ESN. Ces conditions pourraient être imposées à tout moment entre le moment où le ministre a connaissance de l’investissement et la fin de la période d’examen, après quoi elles pourraient être transformées en engagements permanents ou supprimées. L’objectif des mesures provisoires est de prévenir tout préjudice irréparable à la sécurité nationale au cours du processus de l’ESN qui pourrait se produire si, par exemple, l’investisseur étranger a accès à la propriété intellectuelle ou aux secrets commerciaux de l’entreprise canadienne dans le cadre du processus de vérification diligente commerciale.

Lorsqu’une demande de contrôle judiciaire d’un arrêté ou d’une décision à l’égard d’un ESN est présentée, les modifications permettraient également au ministre (et non au demandeur) de demander à la Cour fédérale de rendre une ordonnance de clôture de la procédure au public ainsi qu’au demandeur et à son avocat si la divulgation des éléments de preuve relatifs à la procédure risque de porter atteinte aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale ou de mettre en danger la sécurité d’une personne.

Faciliter une collaboration renforcée avec les alliés du Canada

Les modifications proposées permettraient au ministre de divulguer des renseignements autrement protégés au gouvernement d’un État étranger dans le but de faciliter l’examen d’un investissement par le gouvernement canadien en matière de sécurité nationale. Cela pourrait permettre à la DEI de développer des théories d’atteinte à la sécurité nationale qui s’appuient sur les actions d’un investisseur particulier dans plusieurs pays.

Prochaines étapes

Le projet de loi C-34 a fait l’objet d’une première lecture à la Chambre des communes le 7 décembre 2022. Après une deuxième lecture à la Chambre des communes, les parlementaires voteront sur l’opportunité de soumettre le projet de loi à un comité parlementaire pour un examen plus approfondi. Après l’examen du comité, le projet de loi doit passer des processus de vote supplémentaires devant la Chambre des communes et le Sénat avant de recevoir la sanction royale et d’avoir force de loi. Même dans ce cas, l’entrée en vigueur de toutes les modifications proposées (qui peuvent être modifiées au cours de ce processus) peut prendre beaucoup de temps et certaines modifications peuvent entrer en vigueur avant d’autres. Les consultations sur les modifications proposées et les projets de règlement d’application prévus devraient avoir lieu à la fin du printemps ou au début de l’été 2023.

Pour obtenir d’autres renseignements sur les modifications proposées ou si vous avez d’autres questions sur le régime juridique des investissements étrangers du Canada, veuillez communiquer avec les membres du Groupe Droit de la concurrence et investissement étranger d’Osler.