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Les services juridiques frauduleux prospèrent; le Barreau de l’Ontario supprime l’agrément des spécialistes

Le 30 novembre 2022

Il est rare que l’on entende parler d’une condamnation au criminel pour fraude dans le domaine de l’offre de services de propriété intellectuelle, mais c’est précisément l’objet de la décision sur la détermination de la peine qu’a rendue la Cour du Québec le 21 septembre 2022 dans l’affaire R. c. Varin, 2022 QCCQ 6675.

Les faits entourant le système frauduleux concernent un particulier, sans antécédents judiciaires, qui a réussi à persuader des centaines de victimes innocentes de payer pour des services de propriété intellectuelle qu’elles n’ont jamais reçus. La manière dont l’accusé, Christian Varin, a pu agir pendant des années sans être démasqué est remarquable et rappelle la fraudeuse d’origine russe Anna Sorokin, dite Anna Delvey, dont l’affaire a fait l’objet de livres et d’une minisérie en 2022.

Christian Varin a créé une présumée « Fédération des inventeurs du Québec » sans but lucratif, pour laquelle il a développé un site Web afin d’attirer des clients pour ses prétendus services professionnels de dépôt de demande de brevets et de marques de commerce. Malheureusement, M. Varin n’était absolument pas qualifié pour assurer de tels services, n’étant pas agréé et n’ayant aucune expérience professionnelle en matière de marques de commerce ou de brevets. Dès le départ, l’objectif de M. Varin était de créer un prétexte pour escroquer les inventeurs et les entreprises en démarrage en leur proposant des services de propriété intellectuelle. Pour y parvenir, ce dernier a appris suffisamment de jargon juridique pour pouvoir duper les inventeurs. Il a également exploité un créneau lucratif manifestement mal desservi : les services de propriété intellectuelle à faible coût. 

Le procès pénal a abouti à une condamnation pour fraude qui a révélé que les prétendus services offerts par M. Varin moyennant des honoraires substantiels n’étaient rien d’autre que des mensonges et de fausses assurances pour faire croire qu’il fournissait des services, vraisemblablement pour l’enregistrement de marques de commerce et la délivrance de brevets, alors qu’en réalité, il n’en faisait rien.

Lorsqu’il a été condamné, M. Varin avait 65 ans et était marié depuis 25 ans. Son expérience professionnelle antérieure était sporadique et ne révélait aucune connaissance préalable de la propriété intellectuelle. Pour les victimes, M. Varin s’est présenté comme une personne indépendante et fortunée ayant réussi dans des entreprises commerciales. Il prétendait vivre de l’argent qu’il avait reçu en héritage, mais cela n’a jamais été prouvé lors du procès. M. Varin n’était rien d’autre qu’un escroc, mais il se présentait faussement comme un « expert » en protection de la propriété intellectuelle.

Jusqu’à 1 000 victimes ont cru au mensonge de M. Varin grâce au marketing astucieux qu’il avait déployé sur le site Web, notamment en copiant des sites légitimes de cabinets d’avocats qui offraient des services similaires, le tout ayant ainsi créé l’illusion d’une entreprise légitime. Le tribunal a décrit la fraude comme une mine d’or pour M. Varin, l’une des victimes la décrivant en ces termes : « Lorsqu’on a une invention en tête, c’est un rêve. Peu de gens nous croient capables de le réaliser. Quand quelqu’un nous dit exactement ce que l’on souhaite entendre, nous sommes vulnérables à la manipulation, à l’abus et à la fraude ».

M. Varin a pu recueillir environ trois millions de dollars auprès de clients au moyen de ce système frauduleux. Entre-temps, il a dépensé la majeure partie de cet argent pour construire et meubler une propriété de vacances sur un terrain appartenant à son épouse, dont la valeur est estimée à deux millions de dollars. Il s’est également livré à une forme de blanchiment d’argent pour mettre la propriété de la résidence secondaire au nom de son épouse. À la suite de sa condamnation, M. Varin a consenti à la confiscation du produit de la criminalité et a accepté que le produit de la vente soit utilisé pour dédommager les victimes de la fraude.

Au total, 36 victimes se sont présentées au procès avec des témoignages par affidavit à l’appui des accusations portées contre M. Varin, certaines d’entre elles ayant également témoigné en personne au procès. Les victimes étaient principalement des inventeurs, des entrepreneurs et des jeunes cherchant à lancer leur entreprise. Parmi les victimes figuraient des personnes à la santé mentale fragile ou avec des idées qui n’auraient jamais pu être brevetées, mais M. Varin en a profité en leur prenant leur argent avec de fausses promesses de succès.

Le tribunal qui a déterminé la peine a souligné que de vrais professionnels consciencieux et intègres auraient refusé les mandats de clients aussi vulnérables. Parmi les déposants potentiels de brevets, les pertes peuvent se chiffrer en dizaines de milliers de dollars, mais, plus important encore, bon nombre de ces brevets proposés ont maintenant dépassé le délai de grâce de la divulgation publique et il n’y a aucune possibilité de faire rétablir les droits des brevets potentiels. Ces parties ont été plus gravement lésées en ce qui concerne leur investissement, puisque les pertes pourraient largement dépasser la valeur des sommes payées pour les dépôts. Aucune restitution n’a été envisagée lors de la condamnation pour ces pertes.

Lors de l’audience de détermination de la peine, M. Varin a pleuré en lisant une déclaration préparée à l’intention des victimes présentes à l’audience. Le tribunal a toutefois souligné que les larmes de l’accusé ne semblaient être que des « larmes de crocodile », étant donné que tout ce qu’il avait dit auparavant était très peu crédible. Pendant les nombreuses années au cours desquelles il a fraudé, M. Varin n’a jamais engagé une seule personne afin d’offrir les services pour lesquels il percevait des honoraires, tout en prétendant aux victimes qu’une équipe de personnes compétentes travaillait pour la fédération sans but lucratif.

M. Varin a été condamné à cinq ans de prison, en tenant compte des facteurs aggravants, comme le grand nombre de victimes, et par comparaison aux remords formulés, notamment la restitution de 300 000 $ versés aux victimes à ce jour outre la vente de la propriété qui sera utilisée à titre de restitution supplémentaire. M. Varin s’est également vu interdire à perpétuité toute possibilité d’accepter un emploi futur, même un travail bénévole pour une organisation où il pourrait se voir confier des biens ou de l’argent appartenant à des tiers. Cette interdiction perpétuelle a peu de conséquences étant donné que M. Varin a déjà l’âge de la retraite.

Cette affaire met réellement en lumière la vulnérabilité des clients des services juridiques qui confient de l’argent aux avocats et aux agents pour protéger leur propriété intellectuelle. La fraude a eu lieu au Québec, mais une escroquerie similaire aurait pu facilement se produire en Ontario, où le Barreau de l’Ontario a décidé d’abolir le programme d’agrément des spécialistes.

Le programme d’agrément des spécialistes existe depuis des décennies et permet aux avocats qualifiés de demander une autorisation spéciale les désignant comme « spécialistes » par l’intermédiaire d’un processus d’agrément rigoureux. L’agrément pouvait être obtenu dans une variété de domaines juridiques, notamment le contentieux, le droit de la famille, les testaments et les successions et le droit de la propriété intellectuelle. Plus récemment, l’agrément a été étendu au droit et à la fiscalité des Autochtones.

Le programme d’agrément prévoyait l’obligation, pour les avocats agréés, de payer des cotisations annuelles supplémentaires et de suivre une formation professionnelle continue (FPC) admissible. La décision de mettre fin au programme a été prise par le Conseil du Barreau sans que les conseillers bénévoles du conseil d’administration qui aidaient à gérer le programme en soient informés. Alors que la décision initiale du Barreau semblait prévoir que ceux qui avaient cherché à obtenir l’agrément pouvaient continuer d’utiliser une telle désignation, cette décision a été modifiée afin de supprimer purement et simplement les désignations dès la fin de l’année 2022, de sorte que même ceux qui ont déjà obtenu l’agrément ne peuvent plus y faire référence. Cette décision aura également pour conséquence de démanteler les pages dédiées du site Internet du Barreau qui permettaient au public de trouver des spécialistes qualifiés et agréés dans différents domaines, ce qui constitue de toute évidence la meilleure forme de protection des consommateurs.

À l’heure où il faudrait augmenter les mesures de protection des consommateurs au lieu de les éliminer, on accorde trop peu d’importance à la valeur de cette protection, ayant laissé des inventeurs et des entreprises en démarrage du Québec se faire escroquer de plus de trois millions de dollars. Il serait peut-être opportun de prévenir plutôt que de guérir.

Cet article a initialement été publié dans le quotidien Lawyer’s Daily (en anglais seulement), qui fait partie de LexisNexis Canada.