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Lois canadiennes sur les sanctions : éléments clés à prendre en considération pour les opérations de prêt

Auteur(s) : Joyce M. Bernasek, Alan Kenigsberg, Joyce Bernasek, Alan Kenigsberg et Malcolm Peck-McQueen

Le 30 juin 2022

En réponse à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, de nombreux pays, dont le Canada, ont rapidement imposé des sanctions à la Russie. Un élément clé des sanctions est l’interdiction de fournir des services financiers aux personnes ou entités désignées dans les territoires sanctionnés. Cette interdiction soulève des risques de non-conformité des opérations de prêt auxquelles prennent part des entités dont les activités peuvent être soumises à ces sanctions. Dans cet article, nous abordons les lois canadiennes sur les sanctions et les questions pouvant avoir une incidence sur les parties à une opération de prêt. Les exigences canadiennes en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et la corruption en vertu de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers seront également pertinentes, mais elles sortent du cadre du présent article.

Aperçu des lois canadiennes sur les sanctions

Le Canada s’est doté d’un large éventail de lois sur les sanctions économiques visant les territoires, les individus et les groupes terroristes désignés. Ces lois s’appliquent à toute personne au Canada (particuliers et entreprises) et à l’ensemble des citoyens canadiens et des sociétés constituées sous le régime canadien exerçant des activités à l’étranger. Les principales composantes des lois canadiennes sur les sanctions sont les suivantes :

  • interdictions visant la conclusion d’opérations avec des personnes désignées ou avec certains territoires ou dans des secteurs particuliers de certains territoires (par exemple, dans la région de Crimée en Russie, ou avec certains pays en lien avec des équipements pétroliers et gaziers, etc.)[1];
  • obligations en matière de contrôle, de déclaration et de gel des actifs imposées aux entités définies par règlement (qui peuvent comprendre les banques, les compagnies d’assurance, les sociétés de fiducie et de prêt et les gestionnaires de placements);
  • exemptions par voie de permis et certificats discrétionnaires et exemptions générales pour la fourniture de biens et de services autrement soumis à des restrictions, s’ils sont destinés à certaines fins (par exemple, l’aide humanitaire);
  • sanctions, y compris des amendes et des peines d’emprisonnement.

Les sanctions canadiennes sont mises en œuvre en vertu de cinq lois principales : la Loi sur les Nations Unies, la Loi sur les mesures économiques spéciales (LMES), la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus (Loi sur la JVDEC), la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus (Loi sur le BBDEC) et le Code criminel.

En outre, bien qu’il ne s’agisse pas strictement de lois sur les sanctions, d’autres lois canadiennes liées aux sanctions peuvent restreindre ou être autrement pertinentes pour une opération de prêt, notamment:

  • la Loi sur les licences d’exportation et d’importation, qui permet au gouvernement du Canada de restreindre l’exportation et l’importation de marchandises spécifiques et de marchandises provenant de certains territoires en particulier
  • la Loi sur les mesures extraterritoriales étrangères (LMEE), qui est la « loi de blocage » du Canada en ce qui concerne l’application extraterritoriale de certaines lois de pays étrangers

Considérations d’ordre pratique

Les prêteurs doivent s’assurer que la conclusion d’une opération de prêt ne violera pas les lois canadiennes sur les sanctions. Compte tenu de l’application généralement large des sanctions canadiennes, cette préoccupation sera particulièrement pertinente lorsque l’opération de prêt fait intervenir (i) un emprunteur qui est, ou dont le groupe de sociétés comprend, une personne canadienne ou une personne non canadienne exerçant des activités au Canada ou (ii) un prêteur qui est une personne canadienne ou une personne non canadienne exerçant des activités au Canada.

Contrôle préalable

Pour s’assurer qu’une transaction de prêt ne viole aucune sanction (en particulier, les interdictions applicables à la prestation de services financiers à des personnes sanctionnées), les prêteurs devront effectuer un contrôle préalable attentif dans le cadre de leurs procédures de « connaissance du client » et de lutte contre le blanchiment d’argent. Il s’agit au minimum de consulter les listes de personnes sanctionnées en vertu des diverses lois canadiennes sur les sanctions[2].

Déclarations, garanties et engagements liés aux sanctions

Outre les obligations en matière de contrôle préalable, la conformité aux lois sur les sanctions est généralement réalisée par le biais des déclarations, garanties et engagements habituels dans les documents de prêt. Les déclarations de l’emprunteur concernant les sanctions confirment généralement que :

  •  (i) l’emprunteur et toutes les autres entités pertinentes de son groupe de sociétés respectent les sanctions applicables et (ii) aucune de ces entités et aucun de leurs administrateurs ou dirigeants respectifs ou, à la connaissance de la partie qui fait la déclaration, aucun de ses employés ou mandataires n’est une personne ou une entité soumise à des sanctions ou constituée ou résidant dans un territoire sanctionné;
  • pour les facilités assorties d’avances continues où les déclarations et les garanties sont répétées à chaque tirage, l’emprunteur n’a pas utilisé le produit d’une avance en violation d’une quelconque sanction.

Les engagements relatifs aux sanctions peuvent inclure des clauses comportant obligation de faire ou de ne pas faire, et notamment de :

  • se conformer à toutes les lois applicables en matière de sanctions et maintenir des politiques et procédures internes de conformité aux sanctions;
  • ne pas devenir une personne sanctionnée;
  • s’assurer que le produit du prêt n’est pas utilisé pour violer les sanctions applicables;
  • fournir les attestations ou autres preuves que le prêteur pourrait demander pour confirmer le respect des clauses relatives aux sanctions.

Pour s’assurer que les déclarations, garanties et engagements liés aux sanctions sont suffisamment solides pour assurer le respect des sanctions canadiennes, les définitions de « sanctions », « lois sur les sanctions » ou de tout autre terme équivalent devraient inclure « les lois canadiennes sur les sanctions applicables, y compris le Code criminel, la Loi sur les Nations Unies, la Loi sur les mesures économiques spéciales, la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus, la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus ainsi que l’ensemble des règlements, ordonnances, règles et interprétations qui en découlent ou qui s’y rattachent ». Toute référence aux autorités chargées de l’application des sanctions doit également inclure le gouvernement du Canada et, en particulier, Affaires mondiales Canada, qui sont les principales autorités canadiennes chargées de l’application des sanctions.

Exemptions à la LMES pour certaines opérations de prêt

Les règlements pris en vertu de la LMES prévoient de manière générale des exemptions pour certaines opérations liées à des opérations de prêt.[3] Les exemptions les plus courantes comprennent les suivantes :

  • les paiements devant être effectués par une personne désignée sur la liste ou en son nom aux termes d’un contrat que la personne désignée a conclu avant qu’elle ne devienne une personne désignée, à condition que le paiement ne soit pas fait à une personne désignée ou à une personne agissant au nom d’une personne désignée (par exemple, les paiements de frais et d’intérêts préexistants);
  • les transactions avec une personne désignée (par exemple, un garant sanctionné) requises pour les remboursements de prêts accordés à toute personne au Canada, ou à tout Canadien à l’extérieur du Canada, pour des prêts conclus avec toute personne autre qu’une personne désignée (c’est-à-dire un emprunteur non sanctionné), et pour l’exécution et la réalisation d’une garantie à l’égard de ces prêts, ou les paiements effectués par les garants garantissant ces prêts;
  • les opérations conclues avec une personne désignée (par exemple, un emprunteur ou un garant sanctionné) requises pour le remboursement de prêts consentis à toute personne au Canada, ou à tout Canadien à l’extérieur du Canada, pour les prêts conclus avec cette personne désignée avant qu’elle ne devienne une personne désignée (c.-à-d., seulement en ce qui concerne les obligations de prêt préexistantes), et pour l’exécution et la réalisation de la sécurité à l’égard de ces prêts, ou les paiements des garants garantissant ces prêts.

Dispositions relatives au gel des actifs

Certaines des lois canadiennes sur les sanctions permettent au gouvernement du Canada d’ordonner la saisie, le gel ou la mise sous séquestre de biens spécifiques de personnes sanctionnées. Toutefois, dans le cas de la LMES, de la Loi sur la JVDEC et de la Loi sur le BBDEC, il existe des dispositions relatives au gel des actifs concernant les droits et intérêts existants, garantis ou non, sur les biens gelés détenus par des personnes autres que la personne sanctionnée.[4] Par exemple, la disposition relative au gel des actifs de la Loi sur la JVDEC stipule que ces droits et intérêts doivent être classés au même rang que celui auquel ils auraient eu droit si la décision de gel n’avait pas été prise.

Loi sur les mesures extraterritoriales étrangères

En vertu de la LMEE, le procureur général du Canada peut, avec l’accord du ministre des Affaires étrangères, par arrêté, interdire à toute personne au Canada de se conformer aux mesures d’un État étranger touchant le commerce ou les échanges internationaux d’une manière qui a porté atteinte, ou est susceptible de porter atteinte, à des intérêts canadiens importants en matière de commerce ou d’échanges internationaux impliquant des activités commerciales exercées, en tout ou en partie, au Canada, ou qui a autrement porté atteinte, ou est susceptible de porter atteinte, à la souveraineté canadienne.[5] Un emprunteur qui est, ou dont le groupe d’entreprises comprend, une entité faisant l’objet d’une ordonnance de blocage en vertu de la LMEE devra examiner attentivement les dispositions relatives aux sanctions afin de s’assurer que ces entités seront en mesure de fournir les déclarations et garanties demandées et de respecter les clauses relatives aux sanctions.

Modifications récentes

Le gouvernement du Canada a récemment adopté des modifications des lois sur les sanctions afin de remplir l’engagement du Canada, en tant que membre du Groupe de travail sur les élites, les mandataires et les oligarques russes, de « trouver, restreindre, geler, saisir et, le cas échéant, confisquer ou confisquer les biens des individus et des entités qui ont été sanctionnés lors de l’invasion préméditée, injuste et non provoquée de l’Ukraine par la Russie ».

Le projet de loi C-19 (Loi no 1 d’exécution du budget de 2022), qui a reçu la sanction royale le 23 juin 2022, a modifié la LMES et la Loi sur la JVDEC pour redéfinir le terme « biens » afin d’y inclure expressément les biens intangibles ou incorporels, y compris les actifs numériques et la monnaie virtuelle, et pour accorder au gouvernement fédéral un nouveau pouvoir de demander une ordonnance de confiscation des biens saisis ou bloqués. Notamment pour les prêteurs, le projet de loi a modifié les dispositions relatives au gel des actifs de la LMES et de la Loi sur la JVDEC pour les droits et intérêts garantis et non garantis sur les biens gelés ou bloqués. Aux termes des modifications, ces intérêts perdront leur rang préexistant si le bien est confisqué au profit du gouvernement fédéral. Toutefois, les nouvelles dispositions relatives aux ordonnances de confiscation permettent à ces personnes de demander une ordonnance du tribunal déclarant que leur intérêt ou leur droit n’est pas touché par la confiscation, déclarant la nature et l’étendue de l’intérêt ou du droit et ordonnant au ministre de verser à la personne un montant égal à la valeur de son intérêt ou de son droit.

Conclusion

Comme il est mentionné précédemment, les sanctions canadiennes créent des risques de non-conformité importants dans les opérations de prêt. Les prêteurs et les emprunteurs doivent être conscients des problèmes qui précèdent lorsqu’ils effectuent des contrôles préalables visant la connaissance de la clientèle et négocient les documents de prêt. Les professionnels d’Osler possèdent une vaste expérience dans les services-conseils aux clients concernant les questions liées aux sanctions dans les opérations de prêt.


[1] Les opérations interdites comprennent généralement la fourniture de services financiers et de services connexes.

[2] Le gouvernement du Canada tient à jour une Liste consolidée des sanctions autonomes canadiennes répertoriant les personnes visées par des sanctions en vertu de la LMES et de certaines autres lois.  Bien que cette liste ne comprenne pas nécessairement toutes les entités et personnes sanctionnées, elle constitue souvent un bon point de départ.

[3] Il faut consulter chaque règlement applicable en vertu de la LMES, car les conditions varient d’un règlement à l’autre et entre les territoires sanctionnés.

[4] Voir paragraphe 5(3) de la LMES, l’article 13 de la Loi sur la JVDEC et l’article 17 de la Loi sur le BCDEC.

[5] Il existe actuellement deux ordonnances de blocage en vertu de la LMEE. La plus globale des deux ordonnances est l’Arrêté de 1992 sur les mesures extraterritoriales étrangères (États-Unis) (DORS/92-584), qui bloque l’application extraterritoriale de l’embargo des États-Unis contre Cuba et interdit à une société canadienne de se conformer à une mesure extraterritoriale des États-Unis à l’égard de tout commerce ou échange entre le Canada et Cuba, y compris le règlement intitulé Cuban Asset Control Regulations pris par le département du Trésor des États-Unis.  L’autre ordonnance est cible surtout certaines dispositions des États-Unis imposant d’« acheter américain » relativement au réaménagement des locaux loués par l’État de l’Alaska à l’autorité portuaire de Prince Rupert.