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Publication de propositions législatives fiscales canadiennes sur les mesures antihybrides

Auteur(s) : Patrick Marley, Matias Milet, Edward Rowe, Amanda Heale, Peter Macdonald, et Ilana Ludwin

Le 4 mai 2022

Le 29 avril 2022, le ministère des Finances a publié le premier de deux ensembles de mesures de projet de loi pour mettre en œuvre ses propositions visant à éliminer les avantages fiscaux de certains dispositifs hybrides. Ces propositions ont été annoncées pour la première fois sur le site Budget fédéral de 2021 et visent de façon générale les situations où un paiement est effectué dans le cadre d’un dispositif hybride qui donne lieu à une déduction pour le contribuable, mais pas à une inclusion correspondante dans les bénéfices pour le bénéficiaire (asymétrie entre la déduction et la non-inclusion).

Les propositions législatives mettent en œuvre les recommandations formulées dans les deux premiers chapitres du rapport Neutraliser les effets des dispositions hybrides de l’OCDE (le rapport Action 2 de l’OCDE). Le gouvernement avait initialement prévu la publication de ce premier ensemble de propositions législatives en 2021. Bien que les propositions législatives préliminaires aient été publiées plus d’un an après le budget de 2021, le gouvernement a néanmoins l’intention d’appliquer les nouvelles règles aux paiements effectués à partir du 1er juillet 2022. Le public est invité à formuler des observations sur les propositions législatives avant le 30 juin 2022, soit un jour seulement avant la date prévue pour l’application des propositions législatives.

Le communiqué de presse qui accompagnait les propositions législatives indiquait que la seconde tranche de législation (qui vise à répondre aux autres recommandations du rapport Action 2 de l’OCDE) sera publiée « à une date ultérieure », et qu’elle ne s’appliquera pas avant 2023.

Trois règles principales sont en vigueur. La « règle primaire » du paragraphe 18.4(4) proposé refuse la déduction de certains paiements effectués par un contribuable canadien jusqu’à concurrence du « montant de l’asymétrie hybride ». Cette règle s’applique lorsque le paiement autrement déductible n’est pas inclus dans le calcul du revenu étranger d’une personne non résidente.

Une « règle secondaire » dans l’article 12.7 proposé exige qu’un contribuable canadien inclue une somme égale au montant de l’asymétrie hybride dans le calcul de son revenu. Cette règle s’applique lorsque le paiement est déductible dans le calcul du revenu étranger d’un contribuable non résident, mais qu’il n’entraînerait pas autrement un revenu imposable pour le bénéficiaire canadien. La règle secondaire est censée ne pas s’appliquer lorsque le contribuable est soumis à une règle primaire comparable qui refuserait la déduction du paiement dans un pays étranger.

Une troisième règle énoncée au paragraphe 113(5) proposé limite la possibilité pour un contribuable canadien de demander une déduction au titre de l’article 113 sur un dividende versé par une société étrangère affiliée dans la mesure où la société étrangère affiliée bénéficie d’une déduction de l’impôt sur le revenu étranger à l’égard du dividende reçu sur un dividende versé par une société étrangère affiliée dans la mesure où la société étrangère affiliée bénéficie d’une déduction de l’impôt sur le revenu étranger à l’égard du dividende. La règle secondaire de l’article 12.7 et le refus de la déduction pour dividendes reçus en vertu du paragraphe 113(5) ne sont pas censés s’appliquer au même paiement.

Le « montant de l’asymétrie hybride » représente le montant de certaines « asymétries de déduction/non-inclusion » (c’est-à-dire, lorsqu’il y a une déduction pour le contribuable, mais pas d’inclusion de revenu correspondante pour le bénéficiaire au cours de l’année ou d’une année d’imposition ultérieure qui commence le jour qui suit de douze mois la fin de l’année pertinente).

Un montant d’asymétrie hybride peut survenir dans l’une des trois situations suivantes : un dispositif d’instrument financier hybride, un dispositif de transfert hybride ou un dispositif de paiement par substitution. Pour les besoins de ces définitions, voici un résumé général de ces trois termes :

  • Dispositif d’instrument financier hybride : un dispositif selon lequel un paiement relatif à un instrument financier (défini au sens large aux fins des présentes règles), ou à des transactions connexes, donne lieu à une asymétrie entre la déduction et la non-inclusion lorsqu’il peut être raisonnablement considéré que l’asymétrie entre la déduction et la non-inclusion :
    • résulte d’une différence dans la manière dont l’instrument financier (ou les transactions connexes) est traité à des fins fiscales en vertu des lois de plus d’un pays, qui est attribuable aux modalités ou conditions de l’instrument financier (ou des transactions); ou
    • se produirait en raison d’une telle différence si l’on ne tient pas compte de toute autre raison expliquant l’asymétrie entre la déduction et la non-inclusion.

    Une disposition distincte, le paragraphe 18.4(9), régit les asymétries relatives à la déduction des dépenses en intérêts théoriques sur une dette dans un pays étranger aux fins de l’application éventuelle de la définition d’un dispositif d’instrument financier hybride.

    Les notes explicatives de l’avant-projet de loi fournissent des exemples de la manière dont la règle primaire et la règle secondaire sont censées s’appliquer aux dispositifs d’instruments financiers hybrides dans le contexte d’opérations entrantes et sortantes.

    • Exemple d’opération entrante : Forco est la société mère de Newco, une entité étrangère fiscalement transparente en vertu de la loi étrangère pertinente, mais considérée comme une société non résidente en vertu des lois canadiennes de l’impôt sur le revenu. Forco prête de l’argent à Canco, et Newco conclut une entente de souscription à terme pour acquérir des actions de Canco. Aux termes d’une convention de soutien, Forco accepte de fournir à Newco un capital suffisant pour lui permettre de s’acquitter de ses obligations aux termes de l’entente de souscription à terme. Aux fins de l’impôt canadien, Canco déduit l’intérêt payé sur le prêt dû à Forco. Aux fins de l’impôt étranger, les paiements de Canco à Forco sont traités comme des dividendes en actions non imposables. La règle primaire de l’article 18.4 est censée s’appliquer pour refuser à Canco la possibilité de déduire les intérêts versés à Forco.
    • Exemple à l’étranger : Canco accorde un prêt sans intérêt à Forco, une société étrangère affiliée contrôlée (SEAC), qui utilise le produit du prêt pour tirer un revenu d’une entreprise active. Si, pour des raisons fiscales étrangères, la société Forco est autorisée à déduire un montant nominal d’intérêt sur le prêt (notamment en vertu des règles de prix de transfert du territoire de compétence étranger pertinent), le paragraphe 18.4(9) vise à considérer qu’il y a un paiement correspondant d’intérêt sur le prêt. La règle secondaire de l’article 12.7 est censée s’appliquer afin d’inclure ce montant nominal d’intérêt dans le calcul des bénéfices de Canco aux fins de la fiscalité canadienne.
  • Dispositif de transfert hybride : un dispositif où un paiement relatif au transfert de tout ou partie d’un instrument financier (ou d’opérations connexes), y compris une disposition, un prêt ou un autre transfert, donne lieu à un écart de déduction/non-inclusion lorsqu’il peut être raisonnablement considéré que l’écart de déduction/non-inclusion découle de l’une des situations suivantes :
    • une différence dans la manière dont deux pays traitent le paiement s’il est effectué à titre de compensation pour un paiement particulier prévu par l’instrument financier transféré (à savoir, un pays traite le paiement comme présentant les mêmes caractéristiques que le paiement particulier tandis qu’un autre pays traite le paiement comme des frais déductibles);
    • une différence entre un pays qui traite les transactions comme étant équivalentes à un emprunt/autre endettement et un autre pays qui ne le fait pas; ou
    • une différence quant à l’entité considérée par les deux pays comme ayant effectué le paiement du fait d’une différence dans la manière dont les pays traitent une ou plusieurs transactions incluses dans le dispositif de transfert, que ce soit individuellement ou ensemble.

    Les notes explicatives de l’avant-projet de loi fournissent un exemple de la manière dont la règle secondaire est censée s’appliquer à un dispositif de transfert hybride dans un contexte à l’étranger.

    • Exemple à l’étranger : Canco possède deux SEAC, Forco1 et Forco2, résidant toutes deux dans le même pays étranger. Forco1 est la société mère de Forco2. Forco1 vend les actions de Forco2 à Canco, et accepte de racheter les actions un an plus tard pour un montant plus élevé (une opération de pension). Canco reçoit des dividendes de Forco2 au cours de l’année. Le prix de rachat est déduit du montant des dividendes éventuellement perçus. Aux fins de la fiscalité étrangère, le dispositif est traité comme un prêt garanti, de sorte que Forco 1 a le droit de déduire le montant des dividendes versés à Canco. Aux fins de la fiscalité canadienne, le paiement reçu par Canco est considéré comme un dividende versé à partir du surplus exonéré, de sorte que Canco n’a aucun bénéfice net imposable. La règle secondaire de l’article 12.7 est censée s’appliquer afin d’inclure le montant des dividendes versés par Forco 1 dans le calcul des bénéfices de Canco aux fins de la fiscalité canadienne.
  • Dispositif de paiement de substitution : en général, un dispositif dans le cadre duquel un paiement relatif à un dispositif aux termes duquel tout ou partie d’un instrument financier est cédé, prêté ou autrement transféré par une entité à une autre entité, et lorsque le paiement est lié soit à un autre paiement (le rendement sous-jacent) découlant de l’instrument financier, soit à un produit, bénéfice, flux de trésorerie, prix de produit de base ou tout autre critère semblable.

Les dispositifs d’instruments financiers hybrides, les dispositifs de transfert hybrides et les dispositifs de paiement de substitution doivent faire intervenir des participants ayant un lien de dépendance, soit des « dispositifs structurés », c’est-à-dire des opérations donnant lieu à une asymétrie entre la déduction et la non-inclusion, dont le prix est fixé de manière à refléter l’avantage économique de cet écart ou qui sont autrement conçues pour donner lieu (directement ou indirectement) à l’asymétrie entre la déduction et la non-inclusion.

Une exception limitée à l’application des articles 12.7 et 18.4 proposés est prévue lorsqu’un contribuable canadien conclut un dispositif structuré et qu’il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce que le contribuable – ainsi que les entités ayant un lien de dépendance et les « entités précises » (généralement, détenant au moins 25 % des voix ou de la valeur des capitaux propres) – soit conscient de l’asymétrie entre la déduction et la non-inclusion à ce moment-là, ni qu’aucun d’entre eux ne partage un avantage économique découlant de cette asymétrie.

Administration

Le paragraphe 18.4(2) proposé prévoit que les trois principales dispositions anti-hybrides – articles 18.4, 12.7 et 113(5) – doivent être interprétées uniformément selon le rapport Action 2 de l’OCDE, dans sa version modifiée de temps à autre, « sauf si le contexte s’y oppose ». Il semblerait que ce soit la première fois que la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (la Loi) invoque directement les documents de l’OCDE comme aide à l’interprétation d’une disposition fiscale ayant une incidence sur le calcul du revenu imposable. La mention « sauf si le contexte s’y oppose » vise vraisemblablement à aborder – au moins en partie – les différences entre le rapport Action 2 de l’OCDE et l’avant-projet de loi. Comme indiqué dans les notes explicatives, les principales différences sont les suivantes : l’utilisation des concepts de l’impôt sur le revenu canadien pour les définitions pertinentes, la possibilité de déduire un montant refusé en vertu du paragraphe 18.4(4) si le contribuable est en mesure de démontrer que le montant a été inclus dans les bénéfices aux fins de la fiscalité étrangère, l’inclusion dans les bénéfices en vertu du paragraphe 18.4(9) d’une charge d’intérêt nominal, et le fait de considérer une charge d’intérêt comme un dividende assujetti à la retenue d’impôt si sa déduction est refusée en vertu de l’article 18.4.

Une règle anti-évitement précise dans le paragraphe 18.4(20) proposé éliminerait une asymétrie entre la déduction et la non-inclusion ou un autre résultat « essentiellement semblable à une asymétrie entre la déduction et la non-inclusion » dans certaines circonstances. En particulier, bien que l’un des principaux objectifs de l’opération ou de la série d’opérations pertinentes consiste à éviter ou à limiter l’application des paragraphes 12.7(3), 18.4(4) ou 113(5) proposés, contrairement à la règle générale d’anti-évitement, le paragraphe 18.4(20) n’exige pas qu’il y ait une utilisation abusive ou mauvaise utilisation de ces dispositions (ou de toute autre).

Toutes les mesures proposées s’appliqueraient aux paiements effectués à partir du 1er juillet 2022, soit deux mois seulement après la publication de l’avant-projet de loi et un jour après la date limite de réception des commentaires du public.

Commentaire et prochaines étapes

L’avant-projet de loi est conforme aux intentions exprimées dans le budget 2021. Le texte de l’avant-projet de loi est rédigé dans des termes généraux et devra être examiné attentivement afin de déterminer son application exacte. La clause visant à intégrer les intentions de l’OCDE dans le texte de loi en demandant que les interprétations de la législation soient conformes au rapport Action 2 de l’OCDE soulève des questions quant à l’efficacité de telles clauses. En particulier, les propositions prétendent effectivement déléguer à l’OCDE la capacité de modifier l’interprétation du droit canadien par le truchement de la capacité de l’OCDE de modifier le rapport Action 2 à tout moment.

L’avant-projet de loi proposé s’inscrit dans le contexte de la contestation par l’ARC de certaines structures hybrides aux termes des règles de prix de transfert existantes dans la Loi, tandis que le ministère des Finances a annoncé son intention de procéder à des consultations sur les révisions potentielles des règles de prix de transfert et d’anti-évitement existantes au Canada. Conjuguée à la réforme fiscale internationale proposée par le Canada et les autres membres du Cadre inclusif de l’OCDE et du G20, elle pourrait entraîner des changements importants et une grande incertitude pour les entreprises multinationales.

Les contribuables potentiellement concernés par les règles proposées sont invités à examiner attentivement l’avant-projet de loi et à faire connaître leur point de vue en soumettant une proposition avant la date limite du 30 juin 2022. Pour toute question ou pour obtenir une analyse supplémentaire de l’avant-projet de loi ou d’autres questions fiscales canadiennes, veuillez communiquer avec un membre de notre Groupe de droit fiscal national.