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ESG : Augmentation de l’activité et de l’activisme

Auteur(s) : John M. Valley, Andrew MacDougall, Jennifer Fairfax, Clare Barrowman

Le 11 janvier 2023

On a pu observer au cours des douze derniers mois une évolution rapide en matière environnementale, sociale et de gouvernance (ESG). Les initiatives d’une série de parties prenantes, notamment les organismes de réglementation, les actionnaires institutionnels et les médias, ont maintenu l’attention des organismes et de leurs conseils d’administration sur ces nouveaux enjeux. Plusieurs nouvelles propositions d’obligations d’informations liées aux questions climatiques ont été lancées. L’activisme actionnarial s’est tourné plus directement vers les enjeux ESG, ciblant divers sujets comme les changements climatiques, la santé et la sécurité. De plus en plus, les activistes ESG ont recours aux litiges pour contester la manière dont les entreprises commercialisent ou présentent leurs produits, leurs services ou politiques comme étant respectueux de l’environnement. En outre, les allégations d’« écoblanchiment » suscitent l’intérêt des organismes de réglementation et des parties plaignantes d’actions collectives.

Exigences proposées en matière d’obligation d’information relative aux questions climatiques

L’année dernière, nous avons souligné que les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont publié pour consultation le projet de Règlement 51-107 [PDF] — Information liée aux questions climatiques (Règlement 51-107). Ce projet, fondé sur une version modifiée des recommandations du Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques (GIFCC), propose de rendre obligatoire la divulgation d’information liée aux questions climatiques dans les circulaires d’information des émetteurs assujettis et dans les rapports de gestion. De plus amples renseignements sur la proposition sont disponibles sur notre blogue portant sur la gestion des risques et la réponse aux crises.

Cependant, au mois de mars de cette année, la proposition des ACVM a été supplantée par deux importantes avancées réglementaires internationales dans le monde du climat. Tout d’abord, la Securities and Exchange Commission (SEC) des États-Unis a publié un projet de règlement, également fondé sur les recommandations du GIFCC, imposant aux émetteurs de fournir des informations relatives aux questions climatiques. Les informations à fournir en vertu du projet de la SEC sont plus étendues et plus détaillées que celles qui étaient envisagées dans le projet de Règlement 51-107. Nous avons précédemment publié un article à propos de la proposition de la SEC.

Deuxièmement, l’International Sustainability Standards Board (ISSB) a publié des propositions de normes mondiales relatives à l’information financière sur les questions liées aux facteurs ESG, y compris des exigences en matière d’information liée aux questions climatiques. Les propositions de l’ISSB sont également fondées sur les recommandations du GIFCC. Si elles sont mises en œuvre, les normes de l’ISSB exigeraient des informations beaucoup plus détaillées que ce que propose le projet de Règlement 51-107, sans toutefois être aussi onéreuses que celles proposées par la SEC. De plus amples détails sur la proposition de l’ISSB se trouvent dans notre précédent bulletin d’actualités.

Compte tenu de ces autres propositions, les ACVM ont indiqué en octobre 2022 qu’elles analysaient les différentes approches en matière d’obligations d’information liées aux questions climatiques reflétées dans les propositions de la SEC et de l’ISSB et qu’elles réexaminaient les commentaires reçus sur le projet de Règlement 51-107. Les ACVM ont également indiqué qu’elles examinaient les commentaires des intervenants canadiens qui ont été soumis directement à la SEC et à l’ISSB en réponse à leurs propositions respectives. Les ACVM ont suggéré que le Règlement 51-107 soit révisé afin de mieux harmoniser l’approche réglementaire du Canada à celle d’autres administrations. Par conséquent, aucun changement réglementaire lié au climat n’entrera en vigueur au Canada avant le 31 décembre 2022.

Le Bureau du surintendant des institutions financières a publié la version à l’étude de la ligne directrice B-15 : Gestion des risques climatiques en mai 2022 pour fournir des orientations spécifiques aux institutions financières sur la manière dont elles doivent aborder la surveillance de la gouvernance des questions liées au climat et la gestion des risques climatiques. La ligne directrice introduit également des exigences de communication d’informations, qui sont fondées sur les recommandations du GIFCC.

Activisme lié aux facteurs ESG

La dernière période de procurations a été marquée par une nouvelle augmentation de l’activisme des actionnaires et des propositions d’actionnaires liés aux facteurs ESG au Canada, notamment des propositions d’actionnaires portant sur l’initiative « Say on Climate » et l’activisme lié à la santé et à la sécurité.

À la suite du succès des propositions visant à mettre en œuvre des votes « Say on Climate » au Chemin de fer Canadien Pacifique et à la Compagnie des Chemins de fer nationaux du Canada en 2021, en 2022, les actionnaires de chaque émetteur ont approuvé par une majorité significative l’approche de leur entreprise respective en matière de changement climatique. Les propositions « Say on Climate » visent à faire voter les actionnaires pour rendre obligatoire la communication d’informations sur les questions liées au climat, conformément aux recommandations du GIFCC, et à leur permettre d’approuver ou de désapprouver, à titre consultatif et non contraignant, les plans de réduction des émissions de l’émetteur.

En 2022, les cinq plus grandes banques canadiennes ont chacune reçu des propositions d’actionnaires visant à mettre en œuvre un vote « Say on Climate ». Chacun de ces votes a reçu un soutien important de la part des actionnaires, bien qu’aucune de ces propositions n’ait obtenu un soutien supérieur à 30 %. Considérant cette pression grandissante, nous constatons qu’un nombre croissant d’émetteurs revoient activement leurs plans existants en matière de changement climatique et les informations qui y sont associées afin de tenter d’atténuer le risque d’activisme.

Au cours de la dernière période de procurations, nous avons également assisté à l’une des premières expressions d’activisme d’actionnaires au Canada en matière de santé et de sécurité.

Dans un premier temps, Suncor a fait l’objet d’une campagne activiste de la part d’Elliott Investment Management LP. La campagne publique s’est concentrée sur les objectifs de production non atteints, les coûts élevés et les manquements en matière de sécurité, y compris les récents décès d’employés ou de contractants dans des accidents mortels. Après des échanges publics, Suncor a fini par conclure un accord avec Elliott, qui a conduit, entre autres, à la nomination de trois nouveaux administrateurs indépendants.

Par ailleurs, nous avons vu une poignée d’émetteurs recevoir des propositions d’actionnaires demandant des examens liés au travail forcé et des évaluations des répercussions sur les droits de l’homme en ce qui concerne les travailleurs migrants. Les propositions ont été soutenues par les groupes de défense des actionnaires et soulignent l’importance accordée aux questions liées aux facteurs ESG dans la perspective de la prochaine période de procurations.

Législation fédérale contre « l’esclavage moderne »

Diverses lois ont été proposées au niveau fédéral concernant « l’esclavage moderne », visant à traiter les questions relatives au travail des enfants et au travail forcé dans les chaînes d’approvisionnement des entreprises. Le texte législatif le plus avancé est le projet de loi S-211, qui a été adopté par le Sénat cette année et qui est actuellement à l’étude par un comité législatif de la Chambre des communes. Des détails supplémentaires sur ces propositions et développements figurent dans notre article portant sur le commerce.

S’il est adopté dans sa forme actuelle, le projet de loi S-211 obligera les sociétés ouvertes canadiennes ainsi que certaines sociétés privées et institutions gouvernementales à présenter un rapport annuel au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et à le publier. Ce rapport devra décrire les mesures prises par la société au cours de l’exercice fiscal précédent pour prévenir et réduire le risque que le travail forcé ou le travail des enfants soit utilisé à n’importe quelle étape de sa chaîne d’approvisionnement, en plus de fournir certains renseignements prescrits. Le rapport annuel d’une société devra être approuvé par le conseil d’administration et contenir une attestation d’au moins un administrateur. Le rapport doit également être fourni à chaque actionnaire (dans le cas d’une société constituée en vertu d’une loi fédérale). Les sociétés auront jusqu’au 31 mai de l’année suivant la date d’entrée en vigueur de la législation pour déposer leur rapport annuel.

Les entreprises doivent examiner si de nouvelles procédures, politiques ou programmes doivent être élaborés et mis en œuvre en prévision d’éventuelles obligations de déclaration.

Les risques d’écoblanchiment augmentent

En réponse à l’attention croissante accordée aux facteurs ESG, les entreprises ont intensifié leurs efforts pour promouvoir les attributs « verts » de leurs produits, de leurs services et de leurs activités. La commercialisation faisant la promotion de l’approvisionnement durable, l’efficacité énergétique et la recyclabilité est devenue omniprésente dans un large éventail de produits. Lorsque ces « déclarations environnementales » donnent une impression fausse ou trompeuse de l’impact environnemental ou social d’un produit ou d’une activité, elles relèvent de ce que l’on appelle familièrement l’« écoblanchiment ».

Les craintes suscitées par ces activités sont que les consommateurs ne soient pas en mesure d’identifier avec précision les affirmations à teneur environnementale légitimes (ou non) et que les affirmations légitimes liées à l’environnement perdent donc de la valeur. Les groupes de défense de l’environnement, les organisations non gouvernementales et les consommateurs ont donc redoublé d’efforts pour demander une surveillance réglementaire. Les allégations liées aux facteurs ESG suscitent désormais des mesures d’application, des recours collectifs et des directives réglementaires.

Application de la loi par le Bureau de la concurrence

En janvier 2022, le Bureau a annoncé une convention de règlement avec Keurig Canada Inc. Ce règlement faisait suite à une demande présentée par des groupes de défense de l’environnement, qui souhaitaient que le Bureau enquête sur les activités de marketing de Keurig faisant la promotion de la recyclabilité de ses capsules de café K-Cup®. Il s’agissait de la première mesure coercitive du Bureau visant l’écoblanchiment. L’enquête du Bureau a conclu que les allégations de recyclabilité de Keurig étaient fausses ou trompeuses parce que, à l’extérieur de la Colombie-Britannique et du Québec, les capsules K-Cup® n’étaient pas acceptées partout dans les programmes de recyclage municipaux. Le règlement comprenait une pénalité de 3 millions de dollars, un don de 800 000 dollars à une organisation caritative canadienne axée sur les causes environnementales, ajouté à l’accord de Keurig de débourser 85 000 dollars pour les coûts relatifs à l’enquête du Bureau.

En avril 2022, une autre demande adressée au Bureau concernait une enquête sur les déclarations faites par une banque à charte canadienne dans ses documents commerciaux vantant ses mesures pour lutter contre le changement climatique. La demande visait deux représentations clés que la banque avait faites dans sa documentation commerciale. Tout d’abord, la banque a révélé qu’elle « soutient les principes de l’Accord de Paris et l’objectif international de maintenir le réchauffement climatique en dessous de 2 °C » et a déclaré qu’elle s’engageait, par conséquent, à atteindre « des émissions de gaz à effet de serre nulles dans [ses] prêts d’ici à 2050 » et « des émissions de gaz à effet de serre nulles dans [ses] opérations mondiales chaque année ». En outre, la banque a révélé que, dans le cadre de sa stratégie climatique, elle fournirait « 500 milliards de dollars en financement durable d’ici 2025 ».

La demande affirmait que les déclarations de la banque étaient « fausses » et « trompeuses » de manière importante et que celles-ci avaient été faites dans le but d’attirer et de conserver des clients préoccupés par les changements climatiques. Un certain nombre de mesures correctives a également été demandé, notamment une ordonnance enjoignant à la banque de cesser de faire les déclarations contestées jusqu’à ce qu’elle fournisse des efforts significatifs pour mettre fin à son financement de l’industrie des combustibles fossiles et qu’elle publie davantage d’informations sur son financement durable. La demande visait également à obtenir une ordonnance obligeant la banque à payer une amende de 10 millions de dollars au profit du Fonds pour dommages à l’environnement. En septembre 2022, le Bureau a indiqué qu’il avait entamé une enquête sur les pratiques commerciales de la banque.

Au cours de l’année, le Bureau a indiqué que ses directives actuelles concernant les déclarations environnementales, publiées à l’origine en 2008, pourraient ne plus refléter les politiques ou pratiques actuelles du Bureau. Bien que les politiques et pratiques n’aient pas été remplacées dans leur ensemble, le Bureau a publié quelques directives limitées, y compris quelques meilleures pratiques générales. Entre autres, le Bureau suggère aux promoteurs de s’assurer que leurs déclarations sont précises, fondées et vérifiables. Le Bureau a également accueilli un « Sommet de la croissance verte » en septembre 2022, ce qui confirme le rôle de plus en plus actif du Bureau dans ce domaine.

Indications des autorités de réglementation en valeurs mobilières pour éviter les déclarations trop promotionnelles liées aux facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG)

Les ACVM ont également commencé à s’exprimer sur « l’écoblanchiment ». Pour la première fois, les ACVM ont publié en janvier 2022 des indications à l’intention des fonds d’investissement concernant la publication d’information sur leurs pratiques liées aux facteurs ESG soulignant la possibilité d’écoblanchiment.

En janvier 2022, les ACVM ont publié l’Avis 81-334 du personnel des ACVM – Information sur les fonds d’investissement liés aux facteurs ESG afin de fournir des indications sur les pratiques des fonds d’investissement en matière de publication d’information sur les considerations entourant les facteurs ESG, en particulier les fonds dont les objectifs de placement mentionnent des facteurs ESG et d’autres fonds qui optent pour des stratégies s’articulant autour des facteurs ESG, et ce, notamment en ce qui concerne la façon dont les exigences réglementaires actuelles en matière de valeurs mobilières devraient être appliquées à l’information sur les fonds d’investissement liés aux facteurs ESG. Il énonce également les meilleures pratiques à cet égard.

Plus récemment, dans leur rapport [PDF] sur leur programme d’examen de l’information continue pour les exercices terminés les 31 mars 2021 et 2022, les ACVM ont abordé la question de l’information exagérément promotionnelle sur les facteurs ESG. Comme dans toutes les questions d’obligation d’information, les ACVM encouragent à éviter les propos promotionnels trompeurs. L’information prospective de l’émetteur devrait avoir une base raisonnable et les facteurs, les hypothèses et les risques importants devraient être divulgués.

Actions collectives

En dehors de la sphère réglementaire, bien qu’il y ait eu peu d’actions collectives contre l’écoblanchiment au Canada à ce jour, selon l’expérience vécue dans d’autres territoires, en particulier aux États-Unis, en Australie, au Royaume-Uni et dans l’Union européenne, on s’attend à ce que des litiges similaires liés aux facteurs ESG deviennent une caractéristique plus importante du paysage canadien également. Par exemple, après la publication du règlement Keurig, plusieurs actions collectives ont été intentées contre Keurig au nom de personnes ayant acheté des capsules de café K-Cup®. Ces actions n’ont pas encore été certifiées.

La possibilité que des réclamations fondées sur des déclarations fausses ou trompeuses soient intentées contre des sociétés ouvertes au Canada quant à leur obligation d’information ou à leurs engagements liés aux facteurs ESG est accrue par la perspective d’une obligation d’information supplémentaire exigée par les organismes de réglementation des valeurs mobilières.

Diversité

L’accent est également mis en permanence sur les questions de diversité et d’inclusion, y compris au niveau du conseil d’administration et de la haute direction. De même, les lignes directrices de vote par procuration concernant l’élection des administrateurs et administratrices des différentes sociétés de conseil en procuration et des actionnaires institutionnels continuent d’évoluer à cet égard. Ces tendances sont examinées plus en détail dans notre rapport Pratiques de divulgation en matière de diversité 2022 et dans notre article sur la gouvernance d’entreprise.

Conclusion

L’accent continu mis sur les questions liées aux facteurs ESG signifie qu’il est de plus en plus important que les conseils d’administration s’engagent activement et exercent un contrôle concret sur ces questions en général et sur les questions climatiques en particulier. L’engagement et la surveillance sont primordiaux pour atténuer les risques financiers et les risques de réputation potentiellement significatifs qu’un échec à être, voire à être perçu comme étant, réactif à ces attentes changeantes des organismes de réglementation, des actionnaires institutionnels et de la société dans son ensemble, peut avoir sur l’organisme et ses parties prenantes.