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L’évolution du paysage réglementaire des soins virtuels au Canada

Auteur(s) : Michael Watts, Susan Newell, Lauren Hebert

Le 11 janvier 2023

Existant depuis plusieurs années, dont plus de deux années de pandémie, les soins virtuels ne sont plus considérés comme un service de santé nouveau au Canada. Cependant, le cadre juridique des soins virtuels reste incohérent et varie selon les professions de la santé et les provinces et territoires concernés. Les changements mis en œuvre par de nombreux organismes de réglementation de la santé au cours de l’année 2022 ont formé un ensemble de règles disparates. Cela suggère que d’autres déviations sont probables dans les années à venir et qu’il faudra peut-être un certain temps avant qu’une approche cohérente du paysage réglementaire des soins virtuels n’émerge au Canada.

Il est difficile pour les professionnels de la santé réglementés, les plateformes technologiques de la santé et les autres intervenants de l’industrie de la santé qui facilitent la prestation de services de soins virtuels à travers le Canada ou qui offrent des services de santé interdisciplinaires par le biais de soins virtuels de comprendre et de se conformer à une variété de cadres juridiques différents, d’autant plus que ces paysages réglementaires sont en constante évolution. 

Définition des soins virtuels

Les termes « soins virtuels », « télémédecine » et « télésanté » n’ont pas de définition universellement acceptée. Par exemple, dans un rapport [PDF] du Groupe de travail sur les soins virtuels, un groupe de travail conjoint de l’Association médicale canadienne, du Collège des médecins de famille du Canada et du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada, les « soins virtuels » ont été définis comme « toute interaction entre patients, entre personnes qui participent à leurs soins ou entre membres de ces deux groupes ayant lieu à distance, utilisant une forme de technologie de l’information ou des communications et visant à améliorer ou à maximiser la qualité et l’efficacité des soins aux patients ».

Les termes « télémédecine » et « télépratique » renvoient généralement plus étroitement aux services cliniques fournis par un professionnel de la santé à un patient par le biais de communications électroniques ou technologies de l’information. Inversement, le terme « télésanté » est souvent compris comme ayant un champ plus large, incluant la télémédecine et la communication entre prestataires par voie électronique ou par le biais de technologies de l’information.

Les services de soins virtuels peuvent être fournis de manière synchrone en temps réel, par exemple par le biais de communications téléphoniques ou vidéo qui permettent à un patient et à un professionnel de la santé d’avoir une discussion en temps réel. Les interactions peuvent également être asynchrones, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas en temps réel, comme les interactions par messagerie ou par courriel qui peuvent être consultées et lues à tout moment. 

Évolution du paysage réglementaire des soins virtuels au Canada

La prestation des services de santé au Canada est régie par les provinces et les territoires. Dans chaque province ou territoire, les normes de soins applicables à chaque profession de santé sont établies par un organisme de réglementation autonome. Avant le début de la pandémie de COVID-19, il existait au Canada de nombreux prestataires de soins virtuels et de nombreuses plateformes technologiques de santé. Cependant, en 2020, en raison de la pandémie, la majorité des interactions avec les patients a rapidement pris la forme de soins virtuels. En conséquence, tous les organismes de réglementation de la santé ont été amenés à examiner la pertinence de leurs politiques existantes en matière de soins virtuels ou à réagir rapidement pour en mettre en place. Les gouvernements ont également dû s’assurer rapidement que les médecins pouvaient facturer les services de soins virtuels aux régimes d’assurance maladie gouvernementaux applicables, bien que sur une base limitée ou temporaire, sans avoir le temps d’examiner les répercussions potentielles plus larges sur le système de santé.

En 2021 et 2022, alors que les prestataires de soins virtuels gagnaient en expérience, divers organismes et groupes de travail ont réalisé des études et ont publié des rapports sur les soins virtuels au Canada, notamment des associations de médecins [PDF], des groupes de travail provinciaux et Santé Canada. Le confinement ayant pris fin et les services en personne ayant repris, les organismes de réglementation de la santé ont eu l’occasion de réfléchir aux succès ou aux lacunes de leurs politiques en matière de soins virtuels et d’envisager des approches de facturation des services de soins virtuels par les médecins. En conséquence, un certain nombre d’organismes de réglementation de la santé ont mis à jour leurs politiques de soins virtuels en 2021 et 2022. Par exemple, en 2022, les politiques de soins virtuels publiées par les organismes de réglementation de la santé applicables aux médecins de la Colombie-Britannique, de l’Alberta, du Manitoba, de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick ont été mises à jour. Certaines provinces ont également mis à jour leur approche en matière de rémunération des services de soins virtuels des médecins, comme l’Ontario, le Nouveau-Brunswick et Terre-Neuve-et-Labrador.

Principales différences dans la réglementation des soins virtuels à travers le Canada

Comme nous le soulignons ci-dessous, la réglementation des soins virtuels au Canada diffère de plusieurs façons selon le lieu de prestation des services. 

Où se déroulent les soins virtuels?

Le lieu où un service de santé est réputé être rendu est un facteur important dans la détermination de la réglementation applicable. La majorité des organismes de réglementation de la santé considèrent que le service de santé est rendu à l’endroit où se trouve le patient.

Toutefois, il existe quelques exceptions à cette règle. Par exemple, le College of Physicians and Surgeons of Newfoundland and Labrador considère [PDF] (en anglais seulement) que la pratique de la médecine a lieu à Terre-Neuve-et-Labrador lorsqu’un médecin exerce la médecine alors qu’il se trouve physiquement à Terre-Neuve-et-Labrador.

Délivrance de permis aux prestataires extraprovinciaux de soins virtuels

Chaque organisme de réglementation de la santé applique des règles différentes concernant les exigences en matière de permis. La plupart des organismes de réglementation de la santé autorisent leurs professionnels de la santé à fournir des services à des patients dans d’autres provinces ou territoires si le professionnel de la santé se conforme aux règles de la province ou du territoire où se trouve le patient et s’il bénéficie de la couverture requise en matière de responsabilité professionnelle.

Cependant, il existe certaines différences dans l’approche de chaque organisme de réglementation de la santé quant à la question de savoir si un professionnel de la santé titulaire d’un permis dans une autre province ou un autre territoire du Canada peut fournir des services à des personnes situées dans sa province ou son territoire. Par exemple, l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario (OMCO) a récemment mis à jour sa politique en matière de soins virtuels, laquelle prévoit désormais que les médecins doivent être inscrits auprès de l’OMCO pour fournir des soins virtuels à des patients situés en Ontario, à moins que la prestation de soins virtuels par un médecin titulaire d’un permis d’exercer ailleurs ne soit dans l’intérêt du patient. L’OMCO cite par exemple les cas où les soins recherchés ne sont pas facilement accessibles en Ontario, comme les soins spécialisés, ou les cas où les soins recherchés sont fournis dans le cadre d’une relation médecin-patient existante et sont destinés à combler une lacune dans les soins. Des exceptions peuvent également s’appliquer en cas d’évaluation ou de traitement urgent d’un patient.

Dans d’autres provinces, comme la Colombie-Britannique [PDF] (en anglais seulement), les médecins détenant un permis d’exercice dans d’autres provinces n’ont pas besoin d’être inscrits auprès du College of Physicians and Surgeons of British Columbia pour fournir des services à des patients en Colombie-Britannique. En revanche, le Nouveau-Brunswick a établi une liste de fournisseurs de télémédecine, permettant aux médecins de l’extérieur de la province de s’inscrire pour fournir des services de soins virtuels aux patients situés au Nouveau-Brunswick.

Besoin d’options de soins en personne

La plupart des politiques en matière de soins virtuels précisent que les soins virtuels sont destinés à compléter et non à remplacer les soins en personne. Dans certaines provinces, comme le Manitoba [PDF] (en anglais seulement), le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, les organismes de réglementation de la santé en ont déduit que la pratique de chaque médecin doit inclure des soins en personne en temps opportun lorsque cela est cliniquement indiqué ou demandé par le patient. Ces exigences peuvent entraîner des répercussions importantes sur la prestation de soins virtuels dans la province, car les professionnels de la santé ne peuvent fournir des soins virtuels aux patients que dans un rayon géographique raisonnable de leur emplacement. 

D’autres organismes de réglementation ont estimé que le fait d’exiger des médecins qu’ils soient disponibles pour fournir des soins en personne à tous leurs patients a pour effet de limiter le choix des patients ou l’accès aux services pour les patients situés dans des zones rurales. En conséquence, ils ont adopté des politiques qui permettent de satisfaire aux exigences de prestation de soins en personne par d’autres moyens. Par exemple, en Colombie-Britannique, les médecins doivent avoir conclu un accord préétabli avec d’autres professionnels de la santé qui peuvent offrir des soins en personne aux patients s’ils ne sont pas en mesure de le faire eux-mêmes, ou être officiellement affiliés à eux.

D’autres provinces, comme l’Alberta, ont adopté des normes de pratique spécifiques concernant les soins épisodiques pour s’assurer que les patients sont en mesure d’obtenir les soins de suivi nécessaires. D’autres provinces encore, comme l’Ontario, n’exigent pas spécifiquement que les médecins offrent des services en personne, du moment que le médecin est en mesure de fournir ou d’organiser des soins de suivi appropriés pour le patient.

Portée des services virtuels autorisés

La plupart des politiques relatives aux soins virtuels exigent des professionnels de la santé qu’ils continuent à respecter les mêmes normes de soins du service de santé applicable, qu’ils fournissent des soins en personne ou virtuels.

Certains organismes de réglementation de la santé ont imposé des exigences particulières pour les soins qui peuvent ou ne peuvent pas faire l’objet de soins virtuels. Par exemple, dans certaines provinces ou certains territoires, la prescription d’opioïdes au cours d’une consultation virtuelle est autorisée seulement dans le cadre d’une relation de longue date avec le patient ou si certains critères spécifiques sont remplis.

Facturation des services de soins virtuels

La facturation des services de soins virtuels aux régimes d’assurance maladie gouvernementaux est une considération importante en lien avec la fourniture des soins virtuels par les médecins. Bien que toutes les provinces et tous les territoires au Canada aient inclus les services virtuels dans leurs services assurés, les critères à respecter pour qu’un service soit assuré diffèrent d’une province ou d’un territoire à l’autre. Par exemple, certaines provinces n’ont inclus que les interactions par téléphone ou vidéo dans les services de soins virtuels assurés.

Certaines provinces ont mis en place des structures de facturation qui comprennent le versement aux médecins, pour un service virtuel, de montants différents de ceux qui seraient versés à l’occasion de la fourniture du même service dans le cadre d’une consultation en personne. Il existe d’autres différences dans les structures de facturation en fonction du type d’interaction ou de la nature de la relation médecin-patient. À compter du 1er décembre 2022, lorsqu’il n’y a pas de relation préexistante entre un médecin et un patient, l’Ontario paiera moins le médecin pour certains services rendus virtuellement que ce que cette province aurait payé si ces services avaient été rendus virtuellement dans le cadre d’une relation médecin-patient préexistante ou en personne. Les honoraires versés aux médecins sont également moins élevés lorsque le service est rendu par téléphone par rapport à ceux versés pour des services en personne ou des services rendus par vidéo. Si le médecin fournit certains services assurés à un patient par téléphone, le montant versé correspondra seulement à 85 % des honoraires versés à l’occasion d’une consultation en personne. L’introduction de structures de paiement différentes pour un même service aura probablement une incidence sur la manière dont les médecins mettent les soins à la disposition de leurs patients.

Normes technologiques pour les soins virtuels

Les gouvernements provinciaux et territoriaux ont également commencé à mettre en place des normes technologiques applicables dans le cadre de la prestation de soins virtuels. En 2022, le ministère de la Santé de l’Ontario a introduit une norme de vérification des visites virtuelles pour les fournisseurs de solutions technologiques de soins virtuels.

En vertu du nouveau barème des prestations pour les services médicaux de l’Ontario, les médecins devront faire appel à un fournisseur de solutions technologiques ayant le statut de vérificateur afin de facturer au régime d’assurance maladie gouvernemental les services de soins virtuels fournis par vidéo. D’autres provinces ou territoires au Canada peuvent mettre en place des exigences technologiques semblables, dont le respect permet de satisfaire à la norme de soins appropriée dans la province ou le territoire ou de facturer le régime d’assurance maladie gouvernemental pour les services rendus. L’approche précédente adoptée par les organismes de réglementation de la santé se limitait à réglementer l’utilisation de la technologie par un professionnel de la santé et non la technologie elle-même. 

La mise en place d’un système de vérification des solutions technologiques peut entraîner des conséquences pratiques inattendues puisqu’elle étend le rôle des organismes de réglementation de la santé à la réglementation des technologies de la santé en dehors du contexte des dispositifs médicaux.

Protection des renseignements personnels sur la santé

Les renseignements personnels sur la santé liés à la prestation de services de soins de santé sont souvent très sensibles. Par conséquent, il reste extrêmement important pour les prestataires de soins virtuels de comprendre et de respecter les exigences applicables en matière de protection des renseignements personnels dans chaque province ou territoire où ils exercent leurs activités.

Bien que les soins virtuels ne soient pas considérés comme nouveaux, les professionnels de la santé sont tenus d’expliquer à leurs patients le bien-fondé et les limites de ce type de soins ainsi que les risques pour la vie privée qui y sont liés. Bien que généralement similaires, les exigences relatives à ces communications diffèrent dans chaque province ou territoire. 

Perspectives d’avenir

Nuancé et variable selon les provinces et territoires, le paysage réglementaire en évolution des soins virtuels au Canada peut être compliqué à comprendre. Même si nous nous attendons à ce qu’il continue d’évoluer au cours des prochaines années, les soins virtuels sont une méthode de prestation de services de santé maintenant bien établie au Canada. Il est important que les parties prenantes du secteur restent vigilantes alors que les règles applicables aux soins virtuels continuent d’être conçues pour rester en conformité avec les politiques et les normes de soins en vigueur.