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Les minéraux critiques : un test pour l’industrie minière canadienne

Auteur(s) : Alan Hutchison, James R. Brown

Le 11 janvier 2023

Bien que l’abandon progressif des combustibles fossiles comme source d’énergie ne soit pas un concept nouveau, 2022 pourrait avoir été un moment décisif pour l’industrie minière canadienne dans sa quête de « minéraux critiques » afin de faciliter cette transition. Comme nous l’expliquons dans notre article sur la transition énergétique, la pression en faveur de la transition énergétique et d’un avenir carboneutre s’est accélérée et l’accent a été mis sur les minéraux critiques dans la course vers des sources de carburant sans carbone. En 2022, le gouvernement fédéral canadien s’est concentré sur l’élaboration d’une stratégie en matière de minéraux critiques et a mis en œuvre un certain nombre de mesures destinées à soutenir la stratégie et à se concentrer sur l’avancement de projets de minéraux critiques. En parallèle, le gouvernement a pris des mesures visant à réduire l’influence d’entreprises d’État étrangères dans l’industrie des minéraux critiques. Dans cet article, nous résumons un certain nombre de développements récents au Canada qui sont liés aux minéraux critiques. 

La stratégie fédérale sur les minéraux critiques

En avril 2022, le gouvernement fédéral a annoncé une stratégie sur les minéraux critiques de 3,8 milliards de dollars visant à définir et à développer des projets miniers et des infrastructures connexes pour les minéraux critiques. Parmi la liste des 31 minéraux critiques, la priorité est donnée a six d’entre eux : le lithium, le graphite, le nickel, le cobalt, le cuivre et les éléments des terres rares. La stratégie va au-delà de l’exploitation minière et vise l’ensemble de la chaîne de valeur, de l’exploration et l’extraction jusqu’à la transformation, la fabrication avancée et le recyclage.

La plupart des détails concernant la stratégie seront dévoilés au cours des prochaines années. Dans le cadre de l’élaboration de sa stratégie, le gouvernement fédéral a publié un document de travail qui explore des possibilités offertes par les minéraux critiques. La période d’observations a pris fin en septembre 2022 et le gouvernement prévoit de publier la version officielle de sa stratégie à la fin de 2022. Une fois que cette version officielle aura été publiée, la stratégie fédérale devrait être jumelée à des stratégies provinciales similaires, notamment celles de l’Alberta [PDF], de l’Ontario [PDF] et du Québec.

On s’attend à ce que les engagements de financement les plus importants soient nécessaires pour aider à construire l’infrastructure requise pour faciliter l’exploitation de gisements de minéraux critiques au Canada. Le gisement « Cercle de feu », dans le nord-ouest de l’Ontario, est un exemple de gisement minéral potentiel ayant passé entre les mains de plusieurs propriétaires sans que de réels progrès aient été réalisés. Cela s’explique, en partie, par le fait que le territoire éloigné et accidenté rend l’exploitation difficile à financer. Nombre d’autres régions riches en minéraux critiques indiquées dans le document de travail sont également éloignées et confrontées à des problèmes de développement. 

L’accélération de l’élaboration de projets est un aspect essentiel de la stratégie canadienne sur les minéraux critiques. Ces dernières années, la durée des projets miniers, de la découverte jusqu’à la production, s’est allongée. Si le Canada (à l’instar du reste de la planète) veut devenir une économie carboneutre d’ici 2050, comme c’est actuellement l’objectif, des minéraux critiques seront nécessaires en quantités encore plus grandes qu’aujourd’hui. Le fait de prendre de 20 à 30 années pour mettre en production de nouvelles mines de minéraux critiques ne permettra pas de produire les quantités de minéraux nécessaires pour permettre au Canada d’atteindre son objectif de carboneutralité.

La manière de réduire les délais n’est pas tout à fait claire. On peut supposer que l’engagement du gouvernement à l’égard d’examens environnementaux rigoureux et d’une participation concrète des Premières Nations concernées ne changera pas. De nombreux projets de minéraux critiques étant situés dans des régions dotées d’une infrastructure limitée et où il n’y a jamais eu d’activités d’exploitation minière, le champ d’application du processus d’octroi de permis pourrait être plus large que l’empreinte d’une mine en particulier. Le processus d’établissement de relations avec des collectivités locales et des communautés autochtones est tout aussi susceptible de présenter de nouveaux défis. 

Il est arrivé que des promoteurs de projets de minéraux critiques renoncent à leurs projets en raison d’incertitudes quant au soutien communautaire. Ces projets étant déjà confrontés à des risques techniques et opérationnels considérables, l’incertitude supplémentaire liée à l’obtention des permis et de l’acceptabilité sociale nécessaires pour exploiter des gisements ne peut qu’aggraver les obstacles à la construction de mines. Cependant, il s’agit probablement d’un secteur où le gouvernement peut jouer un rôle de premier plan en facilitant l’élaboration de projets.

Engagements en matière de financement et allégements fiscaux

Outre l’infrastructure et l’élaboration de projets, les stratégies relatives aux minéraux critiques sont également axées sur la découverte de nouveaux gisements en vue de potentiels développements futurs. Le gouvernement canadien a pris des engagements financiers importants à cet égard. L’industrie minière canadienne est particulièrement intéressée par l’engagement immédiat de 79,2 millions de dollars pour financer des activités publiques de géoscience et d’exploration afin de découvrir et d’évaluer des gisements minéraux plus efficacement.

Le financement supplémentaire comprend 47,7 millions de dollars pour des activités de recherche et développement ciblant des minéraux critiques par l’intermédiaire de laboratoires de recherche du Canada et 144,4 millions de dollars pour des activités de recherche et développement sur des minéraux critiques ainsi que le déploiement de technologies et de matériaux pour soutenir des chaînes de valeur de minéraux critiques.

Sur le plan fiscal, le gouvernement a élargi l’actuel régime d’actions accréditives par l’ajout d’un nouveau crédit d’impôt pour l’exploration de minéraux critiques de 30 %, ce qui double le crédit d’impôt pour actions accréditives existant de 15 %. Jusqu’à présent, il semble que ce crédit d’impôt soit peu utilisé. Cela s’explique peut-être par le mauvais état des marchés financiers ou par le besoin de détails supplémentaires concernant le nouveau crédit d’impôt qui devaient suivre l’annonce initiale. Par exemple, l’une des principales conditions d’admissibilité est la nécessité de faire appel à un ingénieur ou à un géoscientifique qualifié pour confirmer que les dépenses liées aux actions accréditives seront engagées dans un projet minier ciblant principalement des minéraux critiques. Les détails concernant la forme et le moment de cette certification sont toujours en suspens, même si l’Agence du revenu du Canada a publié des directives [PDF] en octobre 2022. 

Notamment, les fournisseurs d’actions accréditives de bienfaisance semblent avoir été les premiers à adopter le financement accréditif de crédits d’impôt pour l’exploration minière critique. Cela devrait rassurer le reste du secteur et lui donner un corpus de documents sur des précédents.

Le rôle des investissements étrangers

Grâce aux crédits d’impôt et au financement, un des principaux objectifs de la stratégie sur les minéraux critiques consiste à attirer des investissements étrangers pour stimuler l’élaboration de projets. Toutefois, un certain nombre de développements touchant des minéraux critiques au Canada ont visé à réduire la propriété étrangère de projets de minéraux critiques – du moins à certains égards. De récentes initiatives ont cherché à limiter ou à exclure la propriété de projets de minéraux critiques par des entreprises d’État étrangères et des groupes liés à ces dernières. Ainsi, le gouvernement fédéral a annoncé des mesures renforcées visant les investissements d’entreprises d’État étrangères dans des projets de minéraux critiques.

À la suite de cette annonce, le gouvernement est allé plus loin en publiant des ordonnances de désinvestissement ciblant trois prises de participation d’entreprises d’État chinoises ou d’investisseurs liés à des entreprises d’État dans de petites sociétés d’exploration canadiennes. L’une de ces entreprises n’avait aucun projet au Canada, ce qui représentait un changement notable dans la cible des mesures prises par le gouvernement canadien pour empêcher la propriété étrangère. Nous avons précédemment discuté de ces restrictions sur les minéraux critiques et les ordonnances de désinvestissement. Vous trouverez plus d’information à ce sujet dans notre article sur la concurrence et ICA.

La Chine est l’acteur dominant en matière de financement, d’investissement et d’acquisition de projets de minéraux critiques à l’échelle mondiale. Éliminer les investissements chinois dans les minéraux critiques laissera un vide financier à combler. Des utilisateurs industriels finaux de minéraux critiques qui cherchent à accroître leur consommation de minéraux critiques dans le cadre de la transition vers des sources de carburant sans carbone ont manifesté de l’intérêt à réaliser de tels investissements. Toutefois, les antécédents de sociétés minières ayant réussi à intégrer verticalement la fabrication de produits finis sont limités. Aussi, il existe beaucoup d’incertitude quant à l’obtention du financement nécessaire pour des projets moins avancés. 

La suite des choses

Grâce à des stratégies gouvernementales ciblées et à des engagements financiers importants de la part des gouvernements provinciaux et fédéral, les progrès réalisés par le Canada dans le secteur des minéraux critiques constitueront certainement un secteur clé de croissance pour l’industrie minière canadienne. Le fait que des géoscientifiques, des ingénieurs et des financiers canadiens soient des chefs de file mondiaux en matière de recherche et de développement de projets de minéraux renforce l’optimisme quant à la capacité de l’industrie à relever les défis associés à l’exploitation de minéraux critiques.

Depuis des années, le secteur se plaint de l’augmentation des coûts de découverte, de l’allongement des délais d’obtention de permis et des difficultés liées à la gestion des coûts de développement. La politique publique à cet égard a souvent été considérée comme ambivalente ou en contradiction avec le développement efficace de projets au Canada. L’exploitation des minéraux critiques peut représenter une rare occasion d’harmonisation entre des intervenants des secteurs public et privé, et cela pourrait donner un coup de fouet au développement minier et servir de catalyseur à l’industrie minière au sens large.