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Conseils en matière antitrust : Truquage des offres

Auteur(s) : Michelle Lally

13 novembre 2014

Le truquage des offres est une infraction criminelle et les mesures d'application prises à l'encontre des sociétés et des particuliers qui s'y livrent constituent une grande priorité pour le Bureau de la concurrence du Canada. Par exemple,

  • En 2013, la Cour supérieure de justice de l'Ontario a imposé une amende de 30 M$, soit l'amende la plus importante imposée à ce jour par une cour canadienne, à Yazaki Corporation, fabricant de pièces d'automobile japonais, après que celle-ci a plaidé coupable d'avoir participé à un stratagème international de truquage des offres dans le domaine des pièces d'automobile.
  • En 2014, des accusations criminelles ont été déposées à l'encontre d'anciens employés de Microtime Inc. et de Bibliothèque et Archives Canada soupçonnés d'avoir truqué des offres liées à des services de TI fournis à Bibliothèque et Archives Canada, et aussi à l'encontre d'un particulier pour le rôle que celui-ci a joué dans le cadre d'une entente visant à truquer des offres menant à des contrats de projets d'infrastructure au Québec.

Voici ce que vous devez savoir à propos du truquage des offres au Canada :

  1. L'infraction. On parle de truquage des offres lorsqu'un participant, en réponse à un appel ou une demande d'offres ou de soumissions, convient, avec un autre soumissionnaire éventuel, (i) de ne présenter aucune offre, (ii) du contenu d'une offre, ou (iii) de retirer une offre. Le poursuivant n'a pas à établir que le truquage des offres a eu, a ou est susceptible d'avoir des effets anticoncurrentiels. Toutefois, il n'y a infraction que si l'arrangement n'est pas porté à la connaissance de la personne procédant à l'appel d'offres au plus tard au moment de la présentation de l'offre par une personne qui est partie à l'accord.
  1. Il doit s'agir d'un « appel ou d'une demande d'offres ou de soumissions » L'analyse visant à déterminer s'il y a eu « appel ou demande d'offres ou de soumissions » met l'accent sur l'intention des parties et sur le fait qu'elles prévoyaient ou non prendre des arrangements contractuels. Comme il est souligné dans les décisions de la Cour d'appel de l'Ontario confirmant la décision de la Cour supérieure dans R c. Dowdall et la décision de la Cour du Québec dans R c. Al Neshar et al, cela peut constituer une analyse mixte de droit et de fait complexe.
  1. Stratégies typiques de truquage des offres. Bien que le truquage des offres puisse prendre de nombreuses formes, les stratagèmes les plus fréquents qu'emploient ceux qui cherchent à saboter un processus d'appel d'offres concurrentiel sont présentés ci-dessous
  • Collusion en matière de soumissions – les fournisseurs conviennent de présenter des soumissions « de politesse » ou « de courtoisie » qui, habituellement, sont trop élevées ou contiennent des modalités inacceptables, de manière à créer une illusion de processus d'appel d'offres concurrentiel.
  • Suppression ou retrait de soumission – les fournisseurs conviennent de s'abstenir de présenter une offre ou de retirer une offre de façon à ce que le fournisseur désigné remporte le contrat.
  • Rotation des soumissions – les fournisseurs s'entendent pour présenter à tour de rôle, et de manière convenue à l'avance, l'offre la moins élevée.
  • Partage du marché – les fournisseurs conviennent de ne pas se livrer concurrence dans une région particulière ou pour certains clients ou produits
  1. Compétence d'attribution. En contraste flagrant avec certaines dispositions de la Loi sur la concurrence, les dispositions relatives au truquage des offres n'énoncent pas explicitement que l'infraction peut être commise dans un endroit à l'extérieur du Canada, ou que des entités canadiennes peuvent être poursuivies pour avoir mis en œuvre inconsciemment des ententes conclues à l'étranger en suivant les instructions de sociétés affiliées étrangères. Pourtant, même dans les cas où une infraction liée à un truquage des offres se produit entièrement à l'extérieur du Canada, le Bureau affirme que les effets du truquage des offres sur le commerce au Canada (p. ex., les répercussions sur la vente d'une composante qui est ensuite utilisée dans un produit assemblé et vendu à un client au Canada) constituent un fondement suffisant pour affirmer sa compétence. Les affaires survenues à ce jour ont comporté un plaidoyer de culpabilité, de sorte que la question de la compétence d'attribution au Canada demeure non contestée. De plus amples renseignements sur la compétence d'attribution sont présentés dans notre Bulletin d'Actualités Osler (disponible en anglais seulement).
  1. Programmes d'immunité et de clémence. Puisque les stratagèmes de truquage des offres sont clandestins, leur détection est généralement difficile. Habituellement, le Bureau prend connaissance d'une activité de truquage des offres après avoir obtenu des renseignements auprès d'acheteurs/d'agents d'approvisionnement, ou encore de vendeurs/soumissionnaires qui estiment que le processus concurrentiel a été contourné, ou auprès d'employés actuels ou anciens de sociétés qui se sont livrées à du truquage des offres.
     
  2. Le Bureau continue de s'appuyer sur ses Programmes d'immunité et de clémence pour détecter le truquage des offres et faire appliquer les dispositions de la Loi sur la concurrence en la matière. Par exemple, le Bureau a obtenu que des amendes soient imposées à deux fournisseurs de pièces d'automobile japonais qui avaient plaidé coupable à des accusations de truquage des offres dans le cadre du Programme de clémence. Furukawa a présenté la première demande de clémence et a convenu de payer une amende de 5 M$, qui représentait environ 12 % de son commerce des produits (40,9 M$). Yazaki a présenté la deuxième demande de clémence et reçu une amende correspondant à environ 12 % de son commerce de produits (30 M$, sur un chiffre d'affaires total de 260 M$) pour la période pendant laquelle les arrangements de truquage des offres ont eu lieu. Pour obtenir de plus amples renseignements, veuillez lire notre Bulletin d’Actualités Osler(disponible en anglais seulement).
  1. Sensibilisation du secteur public. Les présentations visant à sensibiliser les organismes d'approvisionnement du secteur public à tous les niveaux de gouvernement ont été et continuent d'être une priorité pour le Bureau. Ces présentations donnent aux responsables de l'approvisionnement du secteur public les connaissances nécessaires pour détecter, prévenir et signaler le truquage des offres. En 2013, le Bureau et le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux du Canada (TPSGC) ont signé un Protocole d'entente visant à renforcer la prévention, la détection et le signalement des activités de cartel possibles, ainsi que les enquêtes s'y rapportant, y compris le truquage des offres, pour les processus d'approvisionnement et les opérations immobilières relevant de TPSGC.
  1. Pouvoirs d'enquête. Les pouvoirs d'enquête du Bureau sont importants et ont une grande portée, et le Bureau n'hésite pas à utiliser les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi pour effectuer des perquisitions et des saisies de dossiers physiques et électroniques, ou faire équipe avec d'autres forces policières et des responsables de la lutte contre la corruption au Canada. Par exemple, en 2012, le Bureau, en collaboration avec le Service des enquêtes sur la corruption de la Sûreté du Québec, division de l'Unité permanente anticorruption (UPAC), a saisi des éléments de preuve chez plusieurs entreprises de construction de la région de Montréal dans le cadre d'une vérification d'allégations de truquage des offres dans le but d'obtenir des contrats municipaux, principalement dans le cadre de projets d'infrastructure à Saint-Jean-sur-Richelieu, et a finalement déposé un total de 77 accusations (dont plus de 20 chefs d'accusation de truquage des offres) à l'encontre de 11 particuliers et de 9 sociétés.
  1. Sanctions et conséquences. Les sanctions sont sévères :
  • La Loi sur la concurrence prévoit une amende d'un montant illimité et un maximum de 14 ans d'emprisonnement.
  • Risque de poursuites privées (poursuites individuelles et recours collectifs) visant à obtenir des dommages-intérêts qui pourraient être considérablement plus élevés que les amendes prévues en vertu de la Loi sur la concurrence.
  • Risque de radiation de la liste des fournisseurs du gouvernement fédéral pendant 10 ans à compter de la date de la condamnation. Et surtout, les personnes qui présentent une demande dans le cadre du Programme de clémence du Bureau ne sont pas dispensées de la politique de radiation du gouvernement fédéral (des politiques de radiation similaires existent également au Québec).

En résumé : Les enjeux sont trop élevés pour que les entreprises qui font affaire au Canada soient complaisantes - les risques juridiques, financiers et réputationels éventuels que pose la non-conformité à la Loi sur la concurrence sont réels et doivent être gérés de manière efficace par les entreprises dans le cadre de leur stratégie globale de gestion des risques.  Pour obtenir de plus amples renseignements sur les directives détaillées du Bureau concernant des programmes de conformité efficaces, veuillez consulter notre récent Bulletin d’Actualités Osler (disponible en anglais seulement).