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Le chant du cygne des audiences concernant les « pilules empoisonnées »?

Auteur(s) : Jeremy Fraiberg, Emmanuel Pressman, Alex Gorka, Robert M. Yalden

30 novembre 2015

Dans ce qui pourrait être la dernière grande décision relative à un régime de droits avant la mise en œuvre des modifications proposées au régime des offres publiques d’achat (modifications proposées) qui accordera aux émetteurs visés 120 jours pour répondre à une offre publique d’achat hostile, l’Alberta Securities Commission (ASC) a ordonné aujourd’hui que le régime de droits des actionnaires de Canadian Oil Sands Limited (COS) fasse l'objet d'une interdiction d'opérations 91 jours après l’offre hostile de 4,3 milliards de dollars de Suncor Energy Inc. (Suncor) pour COS.

L’offre de Suncor déposée le 5 octobre 2015, qui est la plus grande offre hostile au Canada cette année, était destinée à être structurée comme une « offre permise » de 60 jours, en vertu du régime de droits de COS en vigueur à ce moment. Suncor a présenté son offre après la publication des modifications proposées, soit les modifications les plus importantes au régime des offres publiques d'achat en 15 ans, mais avant leur entrée en vigueur. 

En vertu des modifications proposées, que nous avons décrites dans un précédent bulletin d’Actualités Osler, toutes les offres publiques d’achat ne faisant pas l’objet d’une dispense (y compris les offres partielles) seront assujetties aux nouvelles exigences suivantes :

  • Obligation de dépôt minimal de plus de 50 % des titres – Les offres seront subordonnées au dépôt minimal obligatoire de plus de 50 % des titres en circulation de la catégorie visée par l'offre, à l’exclusion des titres dont l’initiateur et les personnes agissant de concert avec lui ont la propriété véritable ou sur lesquels ils exercent une emprise.
  • Prolongation obligatoire de 10 jours – Après que l'obligation de dépôt minimal obligatoire a été respectée et que toutes les autres conditions de l'offre ont été remplies ou ont fait l'objet d'une renonciation, l’offre devra être prolongée de 10 jours supplémentaires.
  • Délai de dépôt de 120 jours – Les offres devront demeurer ouvertes pendant un délai minimal de 120 jours, sous réserve de deux exceptions. Premièrement, le conseil d’administration de l’émetteur visé peut publier un « communiqué relatif au délai de dépôt » à l'égard d’une offre publique d’achat proposée ou lancée, prévoyant un délai initial de dépôt de moins de 120 jours et d’au moins 35 jours. Ainsi, le cas échéant, toutes les autres offres en cours ou subséquentes pourront également bénéficier du délai minimal de dépôt abrégé, calculé à partir de la date à laquelle cette autre offre est faite. Deuxièmement, si un émetteur annonce par communiqué qu’il a conclu une « opération de remplacement » (opération de changement de contrôle amicale en quelque sorte, telle qu’un arrangement), toutes les autres offres en cours ou subséquentes pourront alors bénéficier d’un délai de dépôt d’au moins 35 jours, calculé à partir de la date à laquelle cette autre offre est faite.

Dans ce contexte réglementaire, et compte tenu de ce que le conseil de COS estimait être une offre opportuniste de Suncor faite dans un marché exceptionnel et volatil, et devant expirer juste après la diffusion de renseignements critiques sur le budget, le conseil de COS a autorisé l’adoption d’un deuxième régime de droits tactique, prévoyant une offre permise de 120 jours. L’offre de Suncor n’était pas une offre permise aux fins de ce deuxième régime de droits.

Dans l’explication de son ordonnance, l’ASC notait que les modifications proposées ne sont pas encore en vigueur et a appliqué les facteurs énoncés dans les décisions antérieures Royal Host et Regal pour déterminer non pas si, mais quand, il fallait écarter la pilule.  L’ASC a jugé que même si COS n’avait pas obtenu l’approbation des actionnaires pour le deuxième régime de droits, ce fait n’était pas déterminant.  L’ASC a conclu qu’il y avait toujours une possibilité réelle et substantielle que COS obtienne une solution de rechange supérieure, si on accordait davantage de temps à la réalisation de son processus de maximisation de la valeur.  L’ASC a donc conclu qu’un total de 91 jours était approprié, et a ordonné que le régime de droits fasse l'objet d'une interdiction d'opérations à 18 h (heure de Calgary), le 4 janvier 2016.  Les motifs officiels par écrit de la décision de l’ASC seront publiés au cours des prochaines semaines.

Il n’est pas clair à quel moment les modifications proposées seront mises en œuvre, et si des changements y seront apportés à la suite des commentaires reçus par les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM).  Il est possible qu’elles soient adoptées au cours du premier semestre de 2016. 

En attendant leur mise en œuvre, la décision de l'ASC est très pertinente en ce qui concerne les offres publiques d’achat hostiles faites pendant cette période de transition.  La décision de l'ASC constitue une reconnaissance appréciée du fait que les sociétés visées ayant des régimes de droits existants assortis de délais d’offres permises de 60 jours peuvent légitimement exiger plus que 60 jours pour répondre efficacement à une offre hostile, et que les circonstances peuvent changer, et changeront souvent, entre le moment de l’approbation initiale par le conseil et les actionnaires d’un régime de droits prévoyant une offre permise de 60 jours et le moment du lancement d’une offre hostile.

Les modifications proposées comportent une omission notable, à savoir la façon dont les régimes de droits seront traités après leur adoption. Cette question soulève un intérêt particulier compte tenu du fait que les modifications proposées découlaient de propositions concurrentes des ACVM et de l’Autorité des marchés financiers du Québec (AMF) concernant les régimes de droit et les mesures de défense en général. L’AMF et les autres membres des ACVM avaient déjà fait connaître des points de vue différents concernant l’approche qui convient le mieux pour réglementer les mesures de défense, ce qui pourrait expliquer le silence des modifications proposées sur cette question.

Si les modifications proposées sont mises en œuvre dans leur forme actuelle, nous prévoyons qu’elles auront les effets suivants sur les régimes de droits canadiens :

  • Les régimes de droits seront abandonnés par les émetteurs visés ou frappés d’une interdiction d’opération par les organismes de réglementation des valeurs mobilières après une offre de 120 jours faite en bonne et due forme, sauf circonstances inhabituelles, et, par conséquent, les organismes de réglementation des valeurs mobilières seront moins souvent appelés à tenir des audiences pour décider du moment où le régime doit être écarté. Il en résultera plus de certitude quant aux délais applicables aux offres, comparativement au régime actuel.
  • Puisque les modifications proposées donneront aux émetteurs visés 120 jours pour répondre à une offre hostile, ceux-ci pourraient, dans bien des cas, conclure qu’ils disposent de suffisamment de temps pour répondre à l'offre hostile sans avoir à adopter un régime de droits. Aussi croyons-nous que les émetteurs seront moins enclins à adopter des régimes de droits, que ce soit « sur le plan stratégique » lors de leurs assemblées annuelles, ou « sur le plan tactique », en réponse à une offre.
  • Comme les modifications proposées ne s'appliquent pas aux offres qui font l'objet d'une dispense, les régimes de droits auront toujours un rôle à jouer pour protéger les émetteurs visés des « prises de contrôle rampantes », comme les offres qui sont faites dans le cadre de dispenses pour achats dans le cours normal des activités ou pour contrats de gré à gré. Nous croyons donc que les émetteurs préoccupés par la possibilité de prises de contrôle rampantes continueront d’adopter des régimes de droits.
  • Nous voudrions inciter les ACVM à offrir des lignes directrices sur l’approche qu’ils proposent pour les régimes de droits, lorsque les modifications proposées seront mises en œuvre.  Comme l’a démontré le litige concernant le régime de droits de COS, le régime actuel donne lieu à des incertitudes quant à la période accordée aux émetteurs visés pour répondre à une offre.  Les ACVM devraient rendre les règles et les délais aussi clairs que possible dans les circonstances.

*Osler représente COS dans sa réponse à l’offre hostile de Suncor, et a représenté COS auprès de l'ASC.