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Fraude liée à l’information sur les changements climatiques : gain de cause pour Exxon

Auteur(s) : Matthew M. Huys

Le 17 décembre 2019

Dans ce bulletin d’actualités

  • Le 10 décembre dernier, la Cour suprême de l’État de New York (la « Cour suprême ») a rendu sa décision dans l’affaire de fraude en valeurs mobilières impliquant Exxon.
  • Le Procureur général alléguait qu’Exxon avait fourni de l’information fausse ou trompeuse sur le calcul du coût de la conformité aux règlements liés aux changements climatiques à ses investisseurs.
  • La Cour suprême a rejeté en termes catégoriques la poursuite contre Exxon.

Introduction

La semaine dernière, la Cour suprême de l’État de New York a rejeté en termes catégoriques la poursuite intentée par le procureur général de New York (le « Procureur général ») contre ExxonMobil (« Exxon »), qui avait par ailleurs retenu l’attention des médias. Dans cette affaire, Exxon était accusée d’avoir fourni de l’information fausse ou trompeuse à ses investisseurs sur le calcul du coût de la conformité aux règlements liés aux changements climatiques. Qualifiant les allégations du Procureur général d’« hyperboliques », le juge Ostrager a conclu que cette information n’a pas induit en erreur les investisseurs.

Les allégations

Depuis le milieu des années 2000, Exxon a prévu les répercussions du resserrement de l’étau réglementaire en matière d’émissions de gaz à effets de serre (« GES ») sur la demande de pétrole et de gaz ainsi que sur la faisabilité de ses projets éventuels.

Les déclarations inexactes alléguées par le Procureur général figuraient dans les rapports publiés par Exxon en 2014 et intitulés Energy and Carbon – Managing the Risks et Energy & Climate, de même que dans sa publication annuelle intitulée Outlook for Energy. Selon ces publications, dans son évaluation de la demande de pétrole et dans son examen de ses projets éventuels, Exxon a appliqué un prix interne du carbone pour tenir compte des effets éventuels du resserrement de la réglementation en matière de GES.
 Le prix interne du carbone dont il est fait état dans ces publications correspond à des projections pour 2030 et 2040.

Le Procureur général alléguait trois déclarations inexactes : (1) dans ses directives internes non divulguées, Exxon a appliqué un prix interne du carbone inférieur à celui qui a été communiqué au public; (2) Exxon n’a pas appliqué de prix interne du carbone dans l’évaluation de ses projets dans les pays en voie de développement; et (3) Exxon a appliqué un prix interne du carbone inférieur à celui divulgué ou nul dans certains secteurs de ses activités dans des pays développés, y compris la production de pétrole de sables bitumineux d’Alberta. Exxon aurait plutôt appliqué un prix interne du carbone établi par les règlements alors en vigueur.

La poursuite contre Exxon se fondait sur l’article 23-A de la New York General Business Law (la « Martin Act »). Selon la Martin Act, le Procureur général doit établir, selon la prépondérance des probabilités, une déclaration inexacte portant sur des faits importants. Bien qu’il ne soit pas nécessaire de démontrer que des investisseurs s’étaient fondés sur l’information erronée, la preuve exige un fait d’une importance réelle dans les délibérations d’un actionnaire raisonnable.

La décision

Au final, la poursuite du Procureur général a été rejetée. Dès le départ, la Cour suprême a clairement établi qu’elle n’était pas un forum de lutte contre les changements climatiques pour le Procureur général, soulignant à ce titre qu’il s’agissait d’une poursuite en matière de fraude en valeurs mobilières et non d’une affaire liée aux changements climatiques. Aux yeux du juge, la poursuite ne visait pas à déterminer si les changements climatiques constituaient une réalité ni à en déterminer les auteurs, mais plutôt à établir s’il y avait eu des présentations inexactes de faits importants qui auraient pu induire en erreur les investisseurs.

La Cour suprême n’a pas été convaincue que le prix interne du carbone, en considération de la réglementation sur les GES en 2030 et 2040, aurait pu avoir une incidence importante sur les décisions des investisseurs entre 2013 et 2016. Le prix interne du carbone constituait, tout au plus, une estimation éclairée de l’incidence d’une telle législation dans un avenir lointain. Les témoins présentés à l’appui de la théorie du Procureur général – un analyste en placements qui a étudié Exxon et un professeur d’économie qui a produit une étude – ont été discrédités (« éviscérés », pour reprendre les mots du juge) en contre-interrogatoire et lors de l’interrogatoire du témoin expert d’Exxon. Par ailleurs, le Procureur général n’a pas présenté de témoignage de quelconque investisseur prétendant avoir été induit en erreur par Exxon (malgré qu’il ait annoncé son intention de le faire lors du procès).

La Cour suprême a conclu que le prix interne du carbone était un des facteurs considérés par Exxon dans sa prévision de la demande éventuelle et, par extension, des prix futurs du pétrole et du gaz. Ainsi, étant donné que les coûts futurs de l’énergie sont pris en compte dans l’évaluation de la viabilité économique de tous ses projets, la Cour suprême a statué qu’Exxon avait tenu compte du prix interne du carbone dans son analyse de ses projets éventuels. Citant l’Alberta à titre d’exemple précis, la Cour suprême a jugé qu’il était raisonnable pour Exxon de s’écarter du prix interne du carbone alors qu’elle disposait d’informations lui permettant de mieux évaluer les coûts futurs engendrés par la réglementation des GES à l’égard de projets ou de régions en particulier.

L’allégation selon laquelle le prix interne du carbone doit être utilisé de façon uniforme par Exxon dans l’ensemble de ses activités est à contre-courant de la réglementation de la SEC en matière d’estimation des réserves. En effet, la SEC exige que les conditions économiques, les méthodes d’exploitation et la réglementation gouvernementale en vigueur soient utilisées dans la présentation des réserves prouvées. La Cour suprême a souligné que la SEC avait examiné les documents relatifs aux valeurs mobilières d’Exon et n’y avait trouvé aucune irrégularité. Elle a en outre noté que le Procureur général n’avait pas référé, dans ses plaidoiries, à quelconque information fausse ou trompeuse se trouvant dans le formulaire de divulgation 10-K d’Exxon.

Conclusion et conséquences

Cette décision permettra vraisemblablement de dissuader les organismes de réglementation de présenter des réclamations ténues à l’encontre des émetteurs de GES concernant l’information relative aux changements climatiques. Ceci dit, l’enquête et la poursuite du Procureur général contre Exxon, de même qu’une enquête semblable menée dans l’État du Massachusetts, illustrent la prévalence des poursuites judiciaires liées aux changements climatiques et du risque qu’elles représentent pour les entreprises des secteurs du pétrole et du gaz, ainsi que de l’énergie et de l’électricité.

Les litiges liés aux changements climatiques, peu importe leur issue, peuvent engendrer des dépenses importantes pour les sociétés. Ils viennent aussi compliquer un contexte réglementaire et opérationnel déjà en évolution. Ces développements confirment la nécessité, pour les entreprises, de cerner sans tarder les risques potentiels de litiges liés aux changements climatiques.

Pour un supplément d’information sur les litiges relatifs aux changements climatiques et sur les stratégies d’atténuation du risque, veuillez communiquer avec Colin Feasby ou Matthew Huys.