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L’AMF doit mener ses enquêtes avec « rigueur, diligence et célérité

Auteur(s) : Fabrice Benoît, Emily Lynch, Frédéric Plamondon

Le 7 avril 2022

Ce sont là les mots du Tribunal administratif des marchés financiers, lorsqu’il rappelle à l’AMF qu’une ordonnance de blocage est un pouvoir extraordinaire dévolu au tribunal, lequel exige des mesures d’encadrement et de contrôle sérieux dans l’intérêt du public.

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Contexte

Le 18 novembre 2020, le Tribunal administratif des marchés financiers (le Tribunal) a prononcé, de manière urgente et ex parte, des ordonnances de blocage et d’interdiction d’opérations sur valeurs à l’encontre de plusieurs défendeurs, incluant une plateforme d’échange de cryptomonnaies, et ce, pour une durée de 12 mois. L’Autorité des marchés financiers (l’AMF) a obtenu ces ordonnances dans le cadre de son enquête portant sur des manquements allégués de placements sans prospectus et d’activités de courtage en valeurs sans inscriptions.

Ces ordonnances ont été prolongées une première fois le 12 novembre 2021 jusqu’au 25 février 2022, afin de permettre aux défendeurs de présenter leurs moyens de contestation.

Décision

Dans sa décision du 24 février 2022, le Tribunal conclut que l’enquête dans son sens large est effectivement toujours en cours, et que les motifs initiaux ayant justifié l’émission des ordonnances de blocage et d’interdiction existaient toujours. Cependant, le Tribunal refuse la prolongation demandée par l’AMF d’une durée de 12 mois, et prononce plutôt une prolongation de 4 mois.

Selon le Tribunal, ce délai de 4 mois permettra à l’AMF de rendre des comptes quant à l’avancement de son enquête, ainsi que des prochaines étapes et délais. Cette mise au point est « nécessaire » selon le Tribunal.

Lors de l’audition, l’AMF a plaidé qu’elle était toujours en attente de retour sur des demandes d’information et de compléments d’information auprès de plusieurs plateformes d’échanges de paiements. Selon l’AMF, obtenir ces informations pourrait prendre plusieurs mois. Au surplus, plusieurs mois seraient par la suite nécessaires afin de permettre à l’AMF de rédiger son rapport d’enquête ainsi qu’au contentieux de l’AMF d’évaluer le dossier. Toujours selon l’AMF, il s’agit d’une affaire complexe dans un domaine nouveau.

Force est de constater que le Tribunal n’a pas partagé la proposition de l’AMF selon laquelle une autre année complète est requise afin de poursuivre son enquête, le tout sans rendre de comptes à qui que ce soit. Au contraire, le Tribunal retient que cette enquête dure depuis l’été 2020, et qu’il s’agit-là d’un long délai. Le Tribunal note également que les infractions reprochées se seraient déroulées sur une période approximative de seulement 6 mois. Le Tribunal a alors tenu à rappeler à l’AMF qu’une ordonnance de blocage est un pouvoir extraordinaire, lequel exige des mesures d’encadrement et de contrôle sérieux.

Le Tribunal a par ailleurs souligné que pour renforcer la confiance du public, les enquêtes de l’AMF doivent être menées de manière rigoureuse, ainsi qu’avec célérité et diligence, en particulier lorsque de telles ordonnances affectent des individus et/ou des investisseurs.

Commentaire

Sans remettre en question la qualité des enquêtes de l’AMF, il n’est pas rare en pratique d’entendre des arguments similaires et génériques de la part de l’AMF lorsqu’il est question de la prolongation de certains types d’ordonnances, que ce soit dans un contexte administratif ou pénal. Nous pensons par exemple au renouvellement du délai de rétention de choses saisies en vertu du Code de procédure pénale.

Nous constatons que la question des délais en matière d’enquête est toujours aussi cruciale pour tous les intervenants du marché. La prolongation d’ordonnances aussi contraignantes que celles de blocage et d’interdiction d’opérations sur valeurs ne devrait pas être un automatisme. L’AMF doit rendre des comptes, et toute personne intéressée par de telles ordonnances devrait saisir l’opportunité de ces audiences afin de veiller à ses intérêts.