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Plaider pendant la pandémie de COVID-19 et autres changements importants en matière de litige en 2020

Auteur(s) : Laura Fric, Robert Carson, Tristram Mallett, Éric Préfontaine, Emily MacKinnon

Le 8 décembre 2020

En mars 2020, la pandémie de COVID-19 a forcé de nombreux tribunaux à fermer leurs portes. Le présent article met en lumière un certain nombre de changements et de mesures d’adaptation liés au règlement de litiges qui ont été adoptés à la suite des confinements. Il se penche également sur plusieurs autres changements importants en matière de litige survenus en 2020, notamment des modifications majeures à la loi relative aux actions collectives en Ontario, ainsi que des directives cruciales émises par la Cour suprême du Canada à l’égard du financement de litiges en tant qu’outil de restructuration et les critères d’autorisation d’une action collective au Québec. 

L’émergence des audiences et des interrogatoires virtuels

Bien que les fermetures associées à la pandémie de COVID-19 aient eu d’importantes répercussions sur les procédures judiciaires, les activités en matière de litiges ont repris beaucoup de vigueur au Canada, même si de nombreux tribunaux continuent de limiter la tenue d’audiences en personne. Les cours de justice et les tribunaux ont de plus en plus recours aux audiences et aux interrogatoires virtuels. En fait, de nombreux tribunaux et cours ont exigé que les affaires soient entendues de manière virtuelle, malgré l’opposition des parties.

Au début de la pandémie, de nombreux juges ont souligné qu’ils s’attendaient à ce que les parties au litige collaborent et recourent à la technologie pour faire avancer les processus de règlement extrajudiciaires, notamment les interrogatoires préalables. Un juge (et ex-avocat d’Osler) a expliqué que l’utilisation de la technologie disponible s’inscrit dans les compétences de base des plaideurs et des tribunaux en droit civil. Dans une décision rendue en mai, il a ordonné qu’un interrogatoire soit tenu par vidéoconférence, malgré les oppositions : 

À mon avis, la réponse la plus simple à cette question est : « Nous sommes en 2020. » Nous ne consignons plus la preuve avec une plume et de l’encre. En fait, il semble que dans les écoles, nous n’enseignions plus aux enfants l’écriture cursive. Nous disposons maintenant de la capacité technologique nécessaire pour communiquer efficacement à distance. C’est beaucoup plus efficace et beaucoup moins coûteux que la tenue d’audiences en personne. Nous ne devrions pas retourner en arrière.

Il ne s’agit pas simplement du fait que les tribunaux essaient de tirer le meilleur parti d’une situation défavorable. La pandémie a fait accélérer une transformation que plusieurs, notamment le rôle commercial de Toronto, avaient déjà privilégiée. Et, comme la technologie s’est améliorée et que les gens sont de plus en plus à l’aise avec son utilisation, de nombreux juges et tribunaux semblent de plus en plus sceptiques face à la sagesse traditionnelle selon laquelle la présence virtuelle est de qualité inférieure. Par exemple, certains juges ont trouvé des avantages à entendre des témoignages de vive voix par vidéoconférence, car le juge peut alors se concentrer sur la vidéo de la personne qui parle, au lieu d’avoir à se tourner vers l’avocat qui procède à l’interrogatoire et la barre des témoins. 

Bien sûr, les procès virtuels comportent leur lot de défis. Et, comme les documents d’affaires en ont souvent fait état, les longues vidéoconférences peuvent être épuisantes. Les longues audiences virtuelles peuvent être particulièrement éprouvantes pour un juge qui doit entendre des heures de plaidoiries en ligne. Mais, la plupart du temps, les juges, les avocats et les parties ont réussi à s’en tirer très bien dans les audiences virtuelles. 

L’arbitrage comme solution de rechange aux procédures judiciaires

Étant donné les retards judiciaires liés aux fermetures ordonnées par le gouvernement, de nombreuses entreprises en sont venues à considérer l’arbitrage comme une solution de rechange aux procédures judiciaires de plus en plus valable. En plus de pouvoir profiter des autres avantages (comme la préservation de la confidentialité et la capacité de sélectionner un arbitre qui possède une expérience ou des compétences particulières), les parties peuvent concevoir un processus et des règles qui permettront de résoudre efficacement leurs litiges. Nous prévoyons que de nombreuses parties continueront de faire appel à l’arbitrage pour résoudre des différends cruciaux en affaires, pendant que la pandémie se poursuit. 

Le dépôt d’actions collectives en temps de pandémie

La pandémie de COVID-19 a donné lieu à une augmentation du nombre d’actions collectives qui ont été déposées au Canada, notamment des douzaines d’actions comportant des allégations liées à la pandémie. Jusqu’à maintenant, ces procédures étaient plutôt limitées à quelques contextes particuliers, comme des actions déposées au nom de consommateurs cherchant à obtenir le remboursement de droits d’adhésion (dans bien des cas, ciblant des secteurs précis de l’économie, comme les voyages, l’enseignement postsecondaire ou les plateformes vendant des billets de spectacles ou d’autres événements). D’autres actions collectives déposées au Canada visaient des assureurs et des établissements de soins de longue durée, en raison des effets de la pandémie de COVID-19. Heureusement, les actions collectives dans d’autres domaines, comme les actions en matière de valeurs mobilières alléguant des assertions inexactes, n’ont pas atteint l’étendue que certains avaient prédite. 

Certains gouvernements envisagent l’adoption de lois visant à protéger les entreprises de la responsabilité liée à la pandémie de COVID-19. Par exemple, le 20 octobre 2020, le gouvernement de l’Ontario a présenté le projet de loi 218, Loi de 2020 visant à soutenir la relance en Ontario et sur les élections municipales. Ce projet de loi, s’il est adopté, conférerait aux entreprises une protection en matière de responsabilité contre certaines revendications découlant du fait qu’une personne a été infectée par le nouveau coronavirus ou y a été exposée. Une entreprise peut se prévaloir de cette protection si : (i) elle a agi ou a fait un effort de bonne foi pour agir conformément aux orientations en matière de santé publique relatives au nouveau coronavirus ; et (ii) l’acte ou l’omission ne constitue pas une négligence grave. Le projet de loi exclut explicitement de la portée de la protection certaines revendications, comme certains types de revendications provenant d’employés.

Autres développements dignes de mention en matière de litige (non liés à la pandémie)

En plus de l’incidence directe de la pandémie de COVID-19 sur les parties à un litige, un certain nombre d’événements non liés à la pandémie ont eu lieu en 2020.

Les procédures déposées sous le régime de la LACC et le financement de procès

Le financement de procès par des tiers a augmenté, au cours des dernières années, dans un éventail de domaines de pratique. En mai, la Cour suprême du Canada a rendu ses motifs dans l’affaire « Bluberi » (9354-9186 Québec Inc. c. Callidus Capital Corp.) : cette décision unanime confirmait que, dans des circonstances particulières, le financement de procès par des tiers pouvait être approuvé à titre de financement temporaire, dans le cas de débiteurs insolvables, aux termes de l’article 11.2 de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC). Cela fournit aux débiteurs insolvables qui détiennent un actif litigieux de valeur un éventuel outil supplémentaire pour maximiser le recouvrement des créanciers. 

Refonte de la loi sur les actions collectives de l’Ontario

L’Ontario a apporté d’importantes modifications à sa loi sur les actions collectives. Certaines modifications ajoutent de la rigueur aux critères de certification, et les rapprochent des mesures en vigueur aux États-Unis, en établissant qu’une action collective ne peut pas être certifiée, à moins que des questions de fait ou de droit « l’emportent » sur les questions qui touchent uniquement les membres du groupe pris individuellement. Parmi les autres changements apportés, on compte les modifications visant à faire accélérer le déroulement des procès. Ces modifications prévoient également des mécanismes visant à aider les tribunaux et les défendeurs à remédier aux inefficacités et aux préjudices causés par le fait que des demandeurs déposent des actions collectives qui se chevauchent, dans plusieurs provinces, à l’encontre des mêmes défendeurs, sur le même sujet. 

Par ailleurs, ces modifications ont mené plusieurs personnes à supposer que les demandeurs seront de plus en plus nombreux à déposer leurs actions dans des provinces comme le Québec et la Colombie-Britannique, au lieu de l’Ontario. On ignore encore si ce sera le cas, car ces modifications ne sont entrées en vigueur que le 1er octobre 2020. La taille de l’échantillon n’est pas encore assez importante pour que des conclusions puissent être tirées. 

Confirmation du seuil peu élevé en matière d’autorisation des actions collectives au Québec 

Le 30 octobre 2020, la Cour suprême du Canada a confirmé dans une décision à 6 contre 3 que le rôle d’un juge du Québec à l’étape de l’autorisation (ou de la certification, dans d’autres provinces) est « d’exercer une fonction de filtrage pour écarter les demandes frivoles, sans plus » (Desjardins Cabinet de services financiers inc. c. Asselin). La Cour a statué qu’un demandeur, à l’étape de l’autorisation, n’est pas tenu de démontrer que sa demande repose sur un « fondement factuel suffisant ». La décision Desjardins creuse encore plus l’écart entre le Québec et les autres provinces canadiennes, et en particulier, l’Ontario, compte tenu des récentes modifications que cette province a adoptées. 

Les attentes à l’égard de 2021

Étant donné les enjeux économiques prévus, nous nous attendons à ce que l’année 2021 soit fort occupée en matière de litiges, et que de nombreuses entreprises soient forcées de porter devant les tribunaux des litiges commerciaux cruciaux. À mesure que la pandémie s’intensifie, la dynamique pourrait changer, et les parties à un litige pourraient devoir gérer des complexités supplémentaires (p. ex. les risques liés à la solvabilité des parties en cause et d’autres entreprises concernées), en plus des considérations juridiques et commerciales habituelles. La dynamique pourrait également être touchée par une intervention du gouvernement, particulièrement si le gouvernement adopte une loi visant à protéger les entreprises dans ce contexte. 

Ces complexités viennent renforcer l’importance de disposer des services d’avocats compétents à l’interne et à l’externe, qui comprennent les enjeux juridiques et commerciaux en cause, et qui peuvent élaborer et mettre en œuvre des stratégies de gestion des risques. L’expérience de l’année 2020 a confirmé que, même si des cours de justice ferment, les procès peuvent tout de même être tenus efficacement dans un contexte virtuel, afin de satisfaire aux besoins des entreprises au Canada.