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Entente de suspension des procédures : la poursuite déposée contre la Standard Bank en vertu de la loi du Royaume-Uni intitulée Bribery Act est suspendue pendant trois ans

Auteur(s) : Malcolm Aboud, Daniel Fombonne

11 décembre 2015

Le 30 novembre 2015, un tribunal britannique a approuvé pour la première fois l’utilisation d’une entente de suspension des procédures (Deferred Prosecution Agreement). L’entente a été conclue entre le Serious Fraud Office (SFO), organisme chargé d’enquêter sur les cas de fraude graves au Royaume-Uni, et l’ICBC Standard Bank (Standard Bank), coentreprise formée en 2015 par Standard Bank Plc et l’Industrial and Commerce Bank of China (ICBC). Standard Bank a été mise en accusation en vertu de l’article 7 de la loi intitulée Bribery Act 2010 sur la base de faits et de circonstances qui se sont produits avant la création de la coentreprise.

Cette affaire est aussi la première où le SFO a recours à cette disposition, qui tient les entreprises commerciales responsables de ne pas avoir empêché un acte de corruption par une personne associée. Une défense complète et entière contre cette accusation est possible lorsque l’entreprise commerciale est en mesure de démontrer que, nonobstant le cas particulier de corruption, elle avait mis en place des procédures adéquates pour empêcher que des personnes qui lui sont associées commettent des actes de corruption.

La poursuite concernait un paiement de 6 millions de dollars américains fait en mars 2013 par l’ancienne société sœur de Standard Bank Plc, Stanbic Bank Tanzania (Stanbic). Le SFO a fait valoir que le paiement – versé à un associé local en Tanzanie, Enterprise Growth Market Advisors Limited (EGMA), détenue par trois actionnaires dont l’un était commissaire de l’administration fiscale tanzanienne (donc, un « agent public étranger ») – constituait un pot-de-vin. EGMA devait toucher 1 % des 600 millions de dollars qu’allait mobiliser Stanbic dans le cadre d’un placement privé pour le compte du gouvernement de la Tanzanie. La preuve présentée au SFO a permis de déterminer que Stanbic et ses cadres supérieurs – tous considérés comme des « personnes associées » au sens de la loi intitulée Bribery Act – avaient versé un pot-de-vin à EGMA (le 1 %), pour que les propriétaires de cette entreprise locale incitent les représentants du gouvernement de la Tanzanie à favoriser la proposition de Stanbic et Standard Bank Plc pour recueillir 600 millions de dollars américains dans le cadre du placement privé.

Le tribunal a conclu que, malgré la possibilité de corruption de cette nature, qui aurait été bien connue de Standard Bank Plc, la banque n’avait pas mis en place de mesures et de mécanismes adéquats pour se protéger contre ces risques. Par exemple, Standard Bank Plc n’avait pas fait les vérifications nécessaires au sujet d’EGMA ou de son rôle dans le placement privé.

Dans le cadre de l'entente de suspension des procédures, Standard Bank paiera des sanctions pécuniaires de 25,2 millions de dollars (une remise des profits de 8,4 millions de dollars et une sanction de 16,8 millions de dollars), une indemnité financière de 7 millions de dollars au gouvernement de la Tanzanie, et des frais de 330 000 livres sterling liés à l’enquête du SFO et à la conclusion subséquente de l’entente de suspension des procédures. Pendant toute cette affaire, le SFO a collaboré avec le département de la Justice américain et la Securities and Exchange Commission (SEC). Standard Bank a également accepté de payer une sanction de 4,2 millions de dollars à la SEC.

Une entente de suspension des procédures est une entente entre un organisme d’application de la loi et un accusé, qui suspend la poursuite en échange du paiement d’amendes, de l’amélioration des mécanismes de contrôle interne et d’une collaboration continue avec les organismes d’application de la loi. Les ententes de suspension des procédures exigent habituellement que ces conditions soient remplies pendant un certain temps et, si l’accusé s’acquitte de ses obligations, les accusations sont abandonnées.  L’autorisation d’utiliser des ententes de suspension des procédures est quelque chose d’assez nouveau dans le droit anglais. Cela a été instauré par voie législative en février 2014 et permet aux tribunaux de déterminer que l’intérêt public sera mieux servi s’il n’y a pas de poursuite et d'évaluer si l'entente de suspension des procédures proposée est équitable, juste et raisonnable. La loi américaine permet l’utilisation des ententes de suspension des procédures depuis maintenant un certain temps, mais il n’est généralement pas nécessaire d’obtenir l’approbation du tribunal. Jusqu’à maintenant, aucune entente de suspension des procédures n’a été utilisée ou autorisée en vertu des lois pénales canadiennes.

Dans cette affaire, Standard Bank a été en mesure d'obtenir une entente de suspension des procédures pour une période de trois ans parce qu’elle avait déclaré volontairement l’acte fautif avant même d’avoir terminé sa propre enquête interne, et qu’elle l’avait fait rapidement. En approuvant l’entente de suspension des procédures, le tribunal a fait remarquer qu’il avait accordé beaucoup d’importance au fait que Standard Bank avait communiqué avec le SFO quelques jours seulement après avoir eu vent des soupçons de pots-de-vin versés par Stanbic, et avant que ses avocats aient entamé leur enquête (et bien avant qu'ils l'aient terminée). La collaboration comprenait le fait d'identifier et de permettre que les témoins pertinents soient interrogés, de réaliser une enquête interne, de communiquer les documents pertinents, et aussi le fait collaborer entièrement avec le SFO. L’accusation sera abandonnée après trois ans si Standard Bank respecte les conditions de l’entente.

L’énumération par la Cour des facteurs requis avant que l'approbation d'une entente de suspension des procédures soit accordée reflète les déclarations faites auparavant par des hauts dirigeants du SFO. Ben Morgan, co-chef de l’unité de lutte contre la corruption au SFO, a déclaré dans un discours à l’Annual Anti-Bribery and Corruption Forum à Londres, en octobre 2015, que la déclaration volontaire était une condition préalable pour obtenir une entente de suspension des procédures. Plus particulièrement, M. Morgan a souligné que, même lorsque les victimes ont été dédommagées, les fautifs congédiés et des mesures correctrices mises en place, il ne serait pas dans l’intérêt de la justice d’autoriser une entente de suspension des procédures en l’absence de déclaration volontaire, et il a aussi ajouté que les entreprises devraient effectuer leur déclaration aux organismes de réglementation dès les premières étapes du processus d’enquête.

[traduction] Nous nous attendons à une prise en charge rapide. Nous ne voulons pas que vous nous appeliez à tout bout de champ, et nous comprenons que vous ayez besoin de temps et d’espace pour jeter un premier coup d’œil aux allégations qui sont portées à votre attention. Mais nous ne voulons pas non plus entendre parler de vous pour la première fois à la fin d’une enquête interne importante, des mois, voire des années, après la survenue des actes fautifs, et surtout après que plusieurs témoins aient été interrogés et contre-interrogés.

L’obligation de déclarer dès que possible les actes potentiellement illicites est aussi une exigence pour obtenir une entente de suspension des procédures ou une entente de renonciation à la poursuite (non-prosecution agreement) auprès des organismes d’application de la loi américains. Dans son discours d’ouverture donné le 17 novembre 2015 à la FCPA Conference de l’American Conference Institute, Andrew Ceresney, directeur de la division de l’application des lois à la SEC, a déclaré que les entreprises devaient rapidement déclarer les actions fautives pour être admissibles à une entente de suspension des procédures ou une entente de renonciation à la poursuite dans un dossier lié à la loi FCPA.   Toutefois, M. Ceresney a aussi fait remarquer que la déclaration volontaire seule ne suffit pas, ajoutant que la décision à savoir s’il y a lieu de conclure une entente de suspension des procédures ou une entente de renonciation à la poursuite dépend de nombreux facteurs comme la discipline interne, la remédiation et la collaboration de l’entreprise.

Comme nous l’avons déjà mentionné, le Canada ne s’est pas encore prononcé sur l’adoption de l’approche britannique ou américaine en ce qui a trait à l’utilisation des ententes de suspension des procédures ou ententes de renonciation à la poursuite dans le cadre d’actes de corruption à l'étranger en vertu de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers ou d’actes de corruption commis au Canada en vertu du Code criminel. Le gouvernement canadien subit toutefois des pressions en vue d'envisager une telle approche pour régler ce genre d’affaires pénales. Au Canada, le plaidoyer le plus fort pour que le Canada adopte les ententes de suspension des procédures et les ententes de renonciation à la poursuite a été fait par le Groupe SNC-Lavalin inc., qui fait face à des accusations en vertu de ces deux lois pénales. La société doit comparaître en cour en février 2016 pour répondre à ces accusations.