Passer au contenu

Le projet de réglementation américain serait lourd de conséquences pour les titres d'emprunt de sociétés apparentées

Auteur(s) : Kevin Colan

6 avril 2016

Lundi, dans le cadre des mesures de répression des inversions qui ont été annoncées par l’administration Obama et de la publication d’une réglementation temporaire visant à resserrer les règles sur l’inversion (un bulletin d’Actualités Osler distinct sera publié à cet égard), le Trésor américain a rendu public un projet de réglementation qui transformerait de fond en comble l’imposition des titres d'emprunt de sociétés émis à des sociétés apparentées qui n'ont rien à voir avec les inversions ou les acquisitions étrangères.  Plus particulièrement, la réglementation impose de nouvelles règles en vertu desquelles certains soi-disant titres d'emprunt de parties apparentées sont réputés être des capitaux propres aux fins de l'impôt fédéral américain. Ces nouvelles règles ont provoqué une vague de fond de réactions, suscitant autant des louanges que des critiques.

En outre, la réglementation i) autorise l’IRS à traiter certaines participations de parties apparentées dans une société en partie en tant que dette et en partie en tant que capitaux propres aux fins de l’impôt fédéral américain, et ii) établit des exigences de documentation qui doivent être satisfaites pour que certaines participations de parties apparentées dans une société soient traitées en tant que dette aux fins de l'impôt fédéral américain. 

Cette réglementation proposée constituerait un changement fondamental dans la façon d'effectuer l’analyse dette/capitaux propres aux États-Unis et accroît considérablement le risque qu’une dette soit redéfinie comme capitaux propres aux fins de l’impôt américain.  Compte tenu de la rétroactivité de certaines de ces règles au 4 avril 2016, les sociétés canadiennes qui financent leurs filiales américaines avec de la dette (que cette dette soit utilisée pour financer une acquisition, la croissance ou une expansion sur le marché américain, ou pour toute autre raison) devraient analyser immédiatement l’incidence potentielle de ces règles sur leurs activités.

La réglementation proposée s’applique aux dettes de parties apparentées sans égard au fait que les parties soient américaines ou étrangères, mais elles ne s'appliquent généralement pas aux opérations entre membres d’un même groupe consolidé américain.

Certains titres d'emprunt de parties apparentées assimilés à des capitaux propres

En vertu de cette réglementation, les titres d'emprunt émis par une société sont considérés comme des capitaux propres aux fins de l’impôt fédéral américain si, plutôt que d’être émis contre une somme d'argent ou des biens, ces titres sont émis i) dans le cadre d’une distribution à un actionnaire qui est une société apparentée, ii) contre des actions d’un membre du même groupe affilié, ou iii) dans le cadre d’une restructuration d’actifs entre membres du même groupe affilié. Un groupe affilié, à ces fins, s’entend généralement d’un groupe de sociétés (y compris des sociétés non américaines) au sein duquel 80 % des droits de vote ou de la valeur du capital-actions de chaque membre sont détenus, directement ou indirectement, par d’autres membres du groupe affilié. Ainsi, un billet distribué par une filiale américaine à sa société mère étrangère afin « d’ajuster » la structure du capital de la filiale ne produira plus les conséquences fiscales escomptées.

Plus largement, les titres d'emprunt d’une société émis à une partie apparentée contre une somme d'argent ou des biens sont généralement traités comme des capitaux propres s’ils sont émis avec pour objectif principal de financer i) une distribution d'argent ou de biens sur des actions détenues par un autre membre du groupe affilié, ii) une acquisition d’actions d’un membre du groupe affilié, ou iii) une acquisition de biens d’un membre du groupe affilié dans le cadre d’une restructuration d’actifs. Un titre d'emprunt peut être traité comme ayant un tel objectif principal, peu importe qu'il ait été émis avant ou après la distribution ou l’acquisition en question. 

Ce test de l’« objectif principal » fait l'objet d'une présomption extrêmement large et irréfragable voulant qu'un objectif principal soit de financer une opération décrite ci-dessus si le titre d'emprunt est émis au cours de la période débutant 36 mois précédant une distribution ou une acquisition décrite ci-dessus et se terminant 36 mois après une telle distribution ou acquisition. Il y a une exception à la présomption pour certains titres d'emprunt qui sont mis en place dans le cours normal des activités commerciales ou des affaires de l’émetteur dans le cadre de l’achat de biens ou de la réception de services.

Ces règles de « capitaux propres réputés » ne s’appliquent pas aux distributions et aux acquisitions décrites ci-dessus dans une année donnée qui n’excèdent pas les revenus et les profits de l’exercice courant de la société. Une exception est également prévue lorsque le prix d’émission global de tous les titres d'emprunt de parties apparentées émis par une société, qui seraient autrement traités comme des actions en vertu de cette réglementation proposée, n’excède pas 50 millions de dollars. Une dernière exception vise les acquisitions d’actions de sociétés affiliées lorsque la dette a été émise dans le cadre d’une opération distincte si l’acquisition découle d’un échange de biens contre des actions et que, durant la période de 36 mois suivant l’émission, l’auteur du transfert détient, directement ou indirectement, plus de 50 % des droits de vote et de la valeur de l’émetteur de la dette (p. ex., une société peut investir dans sa propre filiale sans que l’acquisition soit traitée comme une acquisition décrite).

Une règle anti-abus prévoit qu’un titre d'emprunt ou une autre participation qui n'est pas sous la forme d’une dette sera traité comme une action s’il est émis avec pour principal objectif d’éviter l’application de cette réglementation proposée.

Ces règles représentent une rupture radicale avec la jurisprudence, les réglementations et les règles précédentes concernant la création de dette au sein d’un même groupe et reflètent une approche complètement différente des propositions visant à restreindre les déductions des charges d’intérêts sur dette affiliée qui ont émergé de l’initiative BEPS de l’OCDE.

Dette en partie, capitaux propres en partie

En règle générale, l’IRS et les tribunaux ont eu tendance à classifier une participation dans une société soit exclusivement en tant que dette, soit exclusivement en tant que capitaux propres. Or, le Trésor et l’IRS ont exprimé de la frustration devant le fait que cette approche « tout ou rien » posait un problème lorsque les faits et les circonstances n'offrent que légèrement plus de soutien permettant de classifier toute la participation en tant que dette plutôt qu'en tant que capitaux propres.  En vertu du pouvoir de réglementation qui avait été accordé à l’IRS en 1989, mais qui n'avait pas encore été exercé, la nouvelle réglementation permet à l’IRS, sans l'y obliger, de traiter le soi-disant titre d'emprunt émis entre parties apparentées en partie comme une dette et en partie comme des capitaux propres aux fins de l’impôt fédéral américain, ce qui est compatible avec la nature même de l’instrument. Les émetteurs et les détenteurs apparentés de la dette sont tenus de traiter l’instrument de manière conforme à la classification initiale de l’émetteur. Pour les besoins de cette règle, un seuil de rapprochement de 50 % s’applique.

Documentation et preuves requises pour la classification de la dette

La nouvelle réglementation proposée prescrit les documents et l’information qui doivent être préparés et remis à l’IRS, sur demande, en ce qui a trait aux arrangements prenant la forme de titres d'emprunt traditionnels émis par une société à une partie apparentée. Ces nouvelles exigences ressemblent, à plusieurs égards, aux preuves concomitantes à l'établissement des prix qui sont actuellement préparées pour les opérations impliquant un prix de transfert. La réglementation proposée est silencieuse en ce qui a trait à la documentation des participations qui ne prennent pas la forme d'une dette. Si cette preuve n'est pas fournie à l’IRS sur demande, l’IRS traitera le soi-disant titre d'emprunt de la partie apparentée en tant que capitaux propres aux fins de l’impôt fédéral américain. Aux fins de ces règles de documentation, la règle du « groupe affilié » à 80 % décrite ci-dessus s’applique.

La réglementation exige une documentation écrite préparée en temps opportun qui inclut une forme de dette qui atteste les droits légaux de créanciers, une preuve relativement à l’attente raisonnable d’un remboursement (p. ex., les flux de trésorerie prévisionnels, la détermination du ratio d'endettement et autres ratios financiers pertinents de l’émetteur) et la preuve de paiements de remboursement de la dette ou, si l’émetteur n’a pas respecté les modalités de l’instrument, la preuve que le porteur a fait un exercice raisonnable de la diligence et du jugement d'un créancier.

En général, la documentation doit être préparée au plus tard 30 jours civils (120 jours civils dans le cas de la preuve d’une relation débiteur/créancier continue) suivant la date d’émission ou de l’émission réputée du soi-disant titre d'emprunt ou d'un autre événement pertinent, et doit être conservée jusqu’à l’expiration de la prescription pour toute déclaration de revenus fédérale américaine pour laquelle le traitement de l'instrument est pertinent.

Ces exigences de documentation ne sont censées s'appliquer qu'aux grands groupes de contribuables et s’appliquent seulement si, selon le cas, i) l’action d’un membre du groupe est négociée en bourse, ii) les états financiers du groupe indiquent un actif total supérieur à 100 millions de dollars, ou iii) les états financiers du groupe indiquent un revenu total annuel supérieur à 50 millions de dollars.

Dates d'entrée en vigueur

La réglementation qui fait en sorte que la dette de partie apparentée est réputée être des capitaux propres dans le cadre de distributions et d'opérations similaires est généralement proposée pour s'appliquer aux titres d'emprunt émis et aux distributions ou acquisitions survenant à compter du 4 avril 2016, mais, pour les opérations ayant lieu avant la finalisation de la réglementation, toute dette traitée en tant que capitaux propres en vertu de ces règles ne serait pas traitée en tant que dette avant 90 jours suivant la finalisation de la réglementation. La réglementation concernant le traitement des participations en partie en tant que dette et en partie en tant que capitaux propres, et la réglementation exigeant de la documentation et des preuves pour la classification de la dette devraient généralement s'appliquer à la dette émise ou réputée être émise à compter de la date de publication de la version finale de la réglementation.

Conséquences

Pour les groupes ayant une société mère non américaine, l’incidence des règles de « capitaux propres réputés » sur leurs filiales américaines qui ont émis des dettes à des sociétés affiliées non américaines se verront refuser toute déduction aux fins de l'impôt aux États-Unis pour les intérêts payés sur la dette d’une partie apparentée traitée comme des capitaux propres en vertu de ces règles, et se faire imposer une retenue d'impôt sur les dividendes en lien avec les intérêts payés sur cette dette. En raison de la vaste portée des règles de présomption, les sociétés émettant des dettes à des membres du groupe affilié à compter du 4 avril 2016 ne pourront généralement plus s’appuyer uniquement sur le fait que le produit tiré d'un prêt à une partie apparentée sert en fait à investir dans les activités de la société ou à acquérir des actifs de tierces parties (sous réserve de l’exception du « cours normal des affaires »).  Il faudrait plutôt déterminer si la société a pris part à des distributions ou acquisitions décrites depuis le 4 avril 2016 (ou pourra prendre part à de telles opérations à l'avenir), qui peuvent avoir une incidence sur le nouveau prêt consenti à une partie apparentée et si des exceptions peuvent s’appliquer.

Étant donné que cette réglementation s’éloigne des lois et pratiques fiscales passées, il faut s’attendre à ce qu’elle entraîne tout un lot de commentaires et de critiques. Toutefois, l’importance accordée par le Trésor américain à cette nouvelle réglementation a été clairement soulignée dans les déclarations publiques de Jack Lew, secrétaire du Trésor américain, et du président Obama au cours des deux derniers jours.