Passer au contenu

Commerce international : le décret « Acheter américain, embaucher américain » de Trump, la transition vers l’ALEC et plus encore

Auteur(s) : Lipi Mishra, Corinne Xu, Taylor Schappert

20 avril 2017

Dans notre dernier dossier Commerce international, nous avons discuté de l’Accord de libre-échange canadien (ALEC), du plan de 100 jours des États-Unis et de la Chine et de la façon dont les dispositions du défunt PTP pourraient se retrouver dans l’ALENA. Dans le présent dossier, nous discutons du décret « Acheter américain, embaucher américain » du président américain Donald Trump, de la transition vers le nouvel accord de libre-échange international du Canada et des initiatives porteuses d’avenir de l’ALEC.

Trump signe un décret « Acheter américain, embaucher américain »

Par : Riyaz Dattu, Gajan Sathananthan et Lipi Mishra

Le 18 avril 2017, le président américain Donald Trump a signé un décret demandant aux agences fédérales d’examiner les lois et les failles qui permettent aux entreprises étrangères de soumissionner sur des projets du gouvernement fédéral visés par la clause « acheter américain ». Le décret vise également à resserrer les règles d’octroi de visas aux travailleurs étrangers spécialisés. Ce décret, surnommé « Acheter américain, embaucher américain », découle de la promesse du président Trump faite au cours de sa campagne de ramener les emplois aux États-Unis et d’augmenter l’activité manufacturière américaine.

Le volet « acheter américain » du décret est constitué de quatre grandes composantes. Les résultats de l’enquête portant sur ces composantes seront consignés dans un rapport que remettra le secrétaire au commerce, Wilbur Ross, au président Trump, dans 220 jours ou en novembre de cette année.

La première composante du volet « acheter américain » du décret impose aux agences fédérales l’examen des failles possibles et de la piètre mise en application des règles existantes. Les résultats de cet examen serviront à améliorer la clause « acheter américain » dans le but de stimuler les achats au pays.

La deuxième composante impose l’examen du processus d’appel d’offres pour les contrats d’achat du gouvernement. On doit s’assurer que le dumping préjudiciable et les produits subventionnés, y compris les produits faits d’acier provenant d’un commerce déloyal, sont pris en compte dans le processus d’approvisionnement et le processus décisionnel.

La troisième composante porte sur l’examen des accords de libre-échange, y compris l’Accord sur les marchés publics de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), plus précisément de leur incidence sur la clause « acheter américain ». Sur ce point, l’administration Trump signale son intention de renégocier ou d’annuler des dérogations de libre-échange et la nécessité d’obtenir un accès réciproque aux marchés publics des partenaires commerciaux.

La dernière composante du volet « acheter américain » porte exclusivement sur l’acier. Il y aura examen des règles d’approvisionnement favorisant les entreprises américaines, afin de voir si elles profitent vraiment de la clause actuelle « acheter américain ».

Le volet « embaucher américain » du décret fait référence aux changements apportés aux visas H-1B destinés aux travailleurs spécialisés. Le programme des visas H-1B permet aux entreprises de recruter des travailleurs étrangers spécialisés pour venir travailler aux États-Unis pendant quelques années. Les visas sont actuellement octroyés par tirage au sort. Bien que le décret ne change rien au programme H-1B en lui-même, il impose certes un examen par toutes les agences afin d’y apporter quelques changements. Dans le cadre de ce programme, le gouvernement américain accueille 85 000 travailleurs étrangers tous les ans, surtout dans les domaines de la médecine, des sciences et des technologies. L’administration américaine a même ciblé les entreprises d’impartition qui demanderaient plus que leur part de visas H-1B.

L’une des quatre composantes du volet « acheter américain » du décret, soit la possibilité d’annuler les dérogations au libre-échange et l’imposition d’un accès réciproque, sera certainement le plus grand souci du Canada. Les marchés publics ont longtemps été le nerf de la guerre entre le Canada et les États-Unis. Or, l’annulation des dérogations et la renégociation de l’Accord sur les marchés publics de l’OMC constituent une nouvelle menace.[1] Il est clair que le Canada poursuivra son lobbying auprès des représentants américains, en soulignant les avantages de la relation commerciale entre les deux pays, et continuera de protéger les intérêts des entreprises canadiennes faisant des affaires au sud de la frontière.

Transition vers le nouvel accord de libre-échange international du Canada

Par : Riyaz Dattu, Peter Glossop, Taylor Schappert et Corinne Xu

L’élection du président Trump et ses promesses de grands changements dans la politique commerciale américaine, du libre-échange au protectionniste, ont amené les entreprises canadiennes à se concentrer sur les relations commerciales Canada-É.-U. pour mesurer l’incidence des diverses initiatives de la nouvelle administration. Cependant, ces derniers jours ont été porteurs de bonnes nouvelles grâce à la publication du texte de l’Accord de libre-échange canadien (ALEC) le 7 avril 2017. À l’heure actuelle, le commerce intérieur représente environ un cinquième de notre PIB annuel et constitue presque 40 % des exportations provinciales et territoriales. L’ALEC vise à étendre le commerce intérieur par des mesures de libéralisation et une transparence accrue.

Selon le gouvernement du Canada, les cinq grands avantages des mesures de libéralisation commerciale auxquels peuvent s’attendre les Canadiens sont : (i) la création d’emplois, de possibilités d’affaires et de choix pour les Canadiens; (ii) la conciliation des règles et des règlements interprovinciaux; (iii) l’amélioration de la compétitivité pour les entreprises locales; (iv) le soutien à l’innovation canadienne et aux secteurs émergents; et (v) l’élargissement des possibilités d’affaires pour les fournisseurs canadiens à l’égard des marchés publics.

Contexte

Diverses barrières non tarifaires et mesures protectionnistes ont étouffé le commerce interprovincial; les provinces ont promulgué des politiques d’aide intérieure qui protègent les industries locales et maintiennent en place des monopoles locaux surtout dans les secteurs réglementés tels que l’agriculture et les produits alcoolisés. En décembre 2014, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ont entamé des négociations en vue de remplacer l’Accord sur le commerce intérieur de 1995 (ACI) par un accord plus ambitieux, à temps pour le 150e anniversaire du Canada. L’ALEC, fruit de ces négociations, entrera en vigueur le 1er juillet 2017.

Modernisation des règles commerciales aux termes de l’ALEC

Là où la portée de l’ACI était expressément limitée à l’égard de certaines industries, celle de l’ALEC cherche à couvrir presque tous les secteurs de l’économie canadienne, y compris l’économie de services et le secteur de l’énergie (qui représentent respectivement environ 70 % et 9 % du PIB du Canada). Contrairement à l’ACI, l’ALEC est mieux adapté aux obligations du Canada imposées par les accords commerciaux internationaux, dont l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (AECG). Il aidera à réduire les coûts de conformité des entreprises canadiennes prenant part à des opérations internationales. Toutefois, l’ALEC ne s’attaque pas fondamentalement aux obstacles au commerce imposés par les provinces dans les secteurs réglementés tels que l’agriculture et les produits alcoolisés.

L’ALEC mettra en place un système d’appel d’offres plus ouvert visant à mettre les entreprises pancanadiennes sur un pied d’égalité, à créer des processus de conciliation réglementaire conçus pour aplanir les écarts réglementaires entre territoires de compétence, limiter les pouvoirs des entités gouvernementales favorisant injustement des fournisseurs selon leur lieu d’affaires et imposer des interdictions aux exigences administratives discriminatoires.

Initiatives porteuses d’avenir de l’ALEC

Par : Riyaz Dattu, Taylor Schappert et Corinne Xu

Bien que l’objectif et l’intention derrière l’ALEC peuvent être perçus comme un pas vers la modernisation des pratiques commerciales internationales du Canada et le retrait des obstacles au commerce interprovincial, de nombreuses initiatives porteuses d’avenir de l’Accord comportent de nombreux points qui restent à négocier par les signataires. Par conséquent, à court terme, l’ALEC ne respecte pas sa promesse de réduire les obstacles dans quelques-uns des secteurs les plus difficiles et litigieux et sa réussite reposera entièrement sur la bonne volonté des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux à étendre les objectifs de libéralisation commerciale de l’ALEC.

Par exemple, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux se sont engagés à participer à des discussions exploratoires pour évaluer l’intégration de règles sur les services financiers dans l’ALEC dans les six mois suivant l’entrée en vigueur de l’Accord. Aux termes de l’ALEC, ces discussions peuvent se poursuivre pendant deux ans. Aucune échéance n’a été fixée à l’égard de la mise en place de règles ou de processus découlant de ces discussions. De façon similaire, les produits alcoolisés et le poisson ont certes été mentionnés, dans le cadre de l’ALEC, comme étant des secteurs nécessitant de nouveaux protocoles commerciaux. Or, l’ALEC n’oblige ses signataires qu’à en discuter pendant un an et cinq ans, respectivement.

En revanche, certains secteurs, comme l’électricité, deviendront plus ouverts à court terme. Il est évident que l’ALEC constitue une étape de plus au processus de libéralisation commerciale entamé il y a 150 ans avec la Confédération.


[1] John Geddes, “What Donald Trump and ‘buy American’ means for Canada,” Maclean’s (24 janvier 2017).