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Le Canada veut une refonte du chapitre de l’ALENA portant sur le règlement de différends entre un investisseur et un État

Auteur(s) : Sonja Pavic

Le 23 août 2017

Notre précédent bulletin sur le commerce international exposait les objectifs du gouvernement canadien à l’égard de la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et ses conséquences sur les entreprises canadiennes. Dans le présent bulletin, nous discuterons de l’intensification marquée des pressions du gouvernement américain en vue de la renégociation de l’ALENA, de la refonte du chapitre 11 (règlement de différends entre un investisseur et un État) et d’une alerte commerciale sur certaines résines de polyéthylène téréphtalate de la Chine, de l’Inde, d’Oman et du Pakistan.

Le gouvernement canadien a déclaré que la refonte du chapitre 11 de l’ALENA était l’une de ses priorités dans le cadre de la renégociation, soit le chapitre sur le règlement de différends entre un investisseur et un État. Même si les États-Unis n’ont pas expressément cité le chapitre 11 parmi leurs priorités en matière de négociations, les objectifs qu’ils ont fixés quant aux dispositions sur le règlement des différends donnent à penser qu’il pourrait y avoir un terrain d’entente entre le Canada et les États-Unis.

Le règlement de différends entre un investisseur et un État, aux termes du chapitre 11

Le chapitre 11 n’a pas atteint la même notoriété que le chapitre 19 de l’ALENA au cours des derniers mois qui ont mené à l’amorce de la renégociation, mais du point de vue des politiques publiques canadiennes, il s’agit de l’un des chapitres ayant suscité le plus de controverse depuis la mise en œuvre de l’ALENA. Lorsque les dispositions sur le règlement de différends ont été intégrées à l’ALENA, on se serait attendu à ce que le Mexique soit le pays ayant à faire face au plus grand nombre de revendications au titre du chapitre 11. Toutefois, c’est plutôt le Canada qui a été la cible du plus grand nombre de demandes d’arbitrage de différends entre un investisseur et un État, et un certain nombre de groupes de défense de l’intérêt public se sont fermement opposés aux droits que conférait l’ALENA aux investisseurs aux termes de ce chapitre.

Le mécanisme de règlement des différends par arbitrage entre l’investisseur et l’État prévu au chapitre 11 permet à des investisseurs de pays de l’ALENA d’intenter des procédures à l’encontre du gouvernement d’un autre pays de l’ALENA, en cas de manquement présumé à ses obligations aux termes de l’Accord. La procédure de règlement des différends vise à permettre aux investisseurs de faire appel en temps opportun à un tribunal international impartial. Ainsi, les gouvernements n’ont plus à se charger des revendications de leurs ressortissants dans le cadre du processus de règlement des différends entre gouvernements qui, autrement, aurait mené à des procédures devant des tribunaux internationaux, telle la Cour internationale de Justice.

Voici les principales mesures de protection offertes aux investisseurs, aux termes du chapitre 11 :

  • Les investisseurs des pays de l’ALENA et leurs investissements doivent se voir accorder un traitement aussi favorable que ce qui est offert aux investisseurs nationaux (le « traitement national ») et aux investisseurs de tout autre pays (le « traitement de la nation la plus favorisée »), en ce qui concerne l’établissement, l’acquisition, l’expansion, la gestion, la conduite des activités, l’exploitation, la vente ou autre forme d’aliénation d’investissements.
  • Les parties à l’ALENA doivent offrir aux investisseurs d’autres pays de l’ALENA des normes minimales de traitement, conformément au droit international, y compris un traitement juste et équitable et une protection et une sécurité intégrales des investissements.
  • Il est interdit aux parties à l’ALENA de nationaliser ou d’exproprier, directement ou indirectement, les investissements d’un investisseur d’une autre partie, ou de prendre des mesures qui équivalent à la nationalisation ou à l’expropriation, à moins que certaines exigences n’aient été respectées.

Le bilan du Canada

À ce jour, le Canada n’a fait face à des revendications au titre du chapitre 11 que de la part d’investisseurs des États-Unis. Il a été signalé que le Canada a été poursuivi 39 fois depuis la mise en œuvre de l’ALENA en 1994 (environ la moitié du total des 84 contestations déposées aux termes de l’ALENA à l’encontre des trois nations). Compte non tenu du nombre de revendications, le Canada a versé au total 215 millions de dollars canadiens en dédommagements, dont la plus grande partie a été payée sous forme de règlement. Dans bien des cas, les mesures faisant l’objet d’un différend émanaient de gouvernements provinciaux, comme dans l’affaire AbitibiBowater Inc., dans le cadre de laquelle le gouvernement canadien a accepté de régler la question et de verser la somme de 130 millions de dollars relativement à l’expropriation à laquelle avait procédé le gouvernement de Terre-Neuve. Par contre, les États-Unis n’ont pas encore perdu une seule affaire. La plus récente affaire intentée contre les États-Unis par un investisseur canadien, TransCanada Corporation, pour plus de 15 milliards de dollars relativement à l’annulation du pipeline Keystone XL, a été retirée après que le président Trump eut infirmé la décision de l’administration précédente, ce qui permettait d’aller de l’avant avec ce projet.

Les réformes proposées

Le 14 août 2017, la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a déclaré que le Canada prévoyait une refonte du chapitre 11 qui conférerait aux gouvernements « le droit inattaquable d’édicter des règlements dans l’intérêt public », sans faire l’objet de revendications au titre du chapitre 11 de l’ALENA. Ce que cela signifie exactement et le fait que cette réforme, si elle est mise en œuvre, rendra, ou non, les parties à l’ALENA moins vulnérables aux contestations au titre du chapitre 11, voilà ce qui fera sans nul doute l’objet de débats parmi les experts en droit des investissements internationaux, les universitaires et les décideurs politiques.  

Même si la refonte du chapitre 11 n’est pas l’une des priorités que se sont fixées les États-Unis, ceux-ci ont déclaré que les dispositions sur le règlement des différends prévues dans l’ALENA devraient « comprendre des exceptions générales permettant de protéger les objectifs intérieurs légitimes des États-Unis, y compris la protection de la santé et de la sécurité fondamentale, entre autres choses ». De plus, les États-Unis ont exprimé leur intention d’éliminer ce qu’ils appelaient les « droits supérieurs » accordés aux investisseurs étrangers, par rapport à ceux dont disposaient les investisseurs nationaux, au sein des pays de l’ALENA.

Vastes répercussions

Les déclarations de la ministre Freeland à l’égard de la refonte du chapitre 11 devraient également être examinées en tenant compte des vastes répercussions sur les dispositions semblables du Canada en matière de protection des investissements dans d’autres accords de libre-échange et dans des accords bilatéraux d’investissement appelés « accords sur la promotion et la protection des investissements étrangers » (APIE).  

Outre un certain nombre d’accords de libre-échange tels que l’ALENA, qui contiennent des dispositions relatives à l’arbitrage de différends entre un investisseur et l’État, le Canada compte 43 APIE qui sont en vigueur, signés, mais non ratifiés, ou élaborés, mais non encore signés. Les entreprises canadiennes dépendent largement des processus de règlement des différends entre un investisseur et un État contenus dans les APIE du Canada, lorsqu’elles procèdent à des investissements dans des pays moins développés, car plusieurs de ces pays disposent de systèmes juridiques intérieurs rudimentaires, et les décisions du gouvernement sont habituellement très politisées. Les APIE peuvent être utilisés dans le cadre de négociations avec des gouvernements en vue d’écarter des mesures qui sont nocives pour les investissements d’investisseurs canadiens ou d’obtenir un dédommagement pour les préjudices causés par les mesures qu’imposent des gouvernements étrangers.

À ce jour, 44 revendications rendues publiques ont été déposées par des investisseurs canadiens aux termes d’accords d’investissements étrangers, y compris l’ALENA. Les procédures de ce type ne sont pas toutes rendues publiques; le nombre réel de différends pourrait donc être beaucoup plus élevé. De plus, dans certains cas, les investisseurs canadiens peuvent utiliser les APIE en vue d’obtenir des règlements et des dédommagements plus équitables de gouvernements étrangers, sans recourir à l’arbitrage.

Le gouvernement canadien a reconnu l’importance des APIE, en priorisant la négociation et la ratification d’un grand nombre d’APIE au cours des dernières années. Cela correspond à la position du Canada qui passe du statut de pays importateur axé sur les investissements étrangers directs nets, à celui de pays exportateur axé sur les investissements étrangers directs nets. Par ailleurs, les montants élevés obtenus par les investisseurs canadiens qui ont déposé des demandes au titre d’APIE démontrent aussi l’importance des accords. L’obtention de montants de l’ordre de 1 milliard de dollars américains dans le cadre d’un seul arbitrage n’est pas inhabituelle, ce qui contraste considérablement avec les 215 millions de dollars canadiens versés au total par le Canada au cours d’une période de 23 ans, dont plus de la moitié a été payée pour régler une seule affaire, à la suite de ce qui était indéniablement des mesures inappropriées prises par le gouvernement de Terre-Neuve. Alors que le gouvernement canadien entame une importante renégociation du chapitre 11 de l’ALENA, il devra équilibrer les protections qu’il vise pour réglementer les objectifs nationaux et de politique publique, d’une part, et les attentes légitimes des entreprises canadiennes (et de leurs propriétaires et parties intéressées) qui investissent outre-mer, d’autre part. Les investisseurs canadiens ont besoin d’accords de libre-échange et d’APIE pour assurer la protection de leurs investissements à long terme, par des normes élevées de traitement et des mécanismes de règlement des différends efficaces.