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Les États-Unis dévoilent les objectifs très attendus de renégociation de l’ALENA

Auteur(s) : Margaret Kim

Le 18 juillet 2017

Notre dernier bulletin sur le commerce international portait sur la date d’échéance pour le dépôt des commentaires du public à Affaires mondiales Canada au sujet de la renégociation et de la modernisation de l’ALENA. Dans le présent bulletin, nous traiterons de la publication par le Bureau du représentant américain au Commerce des objectifs de renégociation de l’ALENA de l’administration Trump et des possibles conséquences sur les entreprises canadiennes.

Le 17 juillet 2017, le Bureau du représentant américain au Commerce a publié les objectifs de renégociation de l’ALENA de l’administration Trump.

La publication de ces objectifs est imposée par la loi intitulée Trade Priorities and Accountability Act of 2015 (« TPA-2015 »), qui oblige le Représentant à publier les objectifs de renégociation au moins 30 jours avant le début des négociations officielles entre les trois pays parties à l’ALENA. Tout indique que les négociations devraient commencer le 17 août 2017.

Ces objectifs de renégociation font suite à un avis définitif transmis le 18 mai 2017 par le Représentant au commerce des États-Unis au Congrès, à des consultations publiques pendant lesquelles le Représentant a reçu au-delà de 12 000 commentaires, et à des audiences publiques pendant lesquelles plus de 140 témoins ont été entendus sur une période de trois jours. Le gouvernement du Canada a également demandé aux entreprises canadiennes et au public de faire part de leurs observations. Bien que le 18 juillet 2017 était la date limite pour la réception des commentaires, cette échéance a été prolongée d’une durée indéterminée afin de définir les priorités de négociation du Canada à la lumière des objectifs des États-Unis.

Aperçu des objectifs de négociation des États-Unis

Le texte contenant les objectifs de négociation accompagnant le communiqué du Représentant énonce plus de 22 sujets de négociation et au-delà de 100 objectifs individuels, notamment : le commerce des produits; les mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS); la facilitation des formalités douanières et du commerce et les règles d’origine; les règles et obstacles techniques (TBT); les bonnes pratiques de réglementation; le commerce des services, notamment les services de télécommunications et financiers; le commerce électronique des produits et services et la circulation transfrontalière des données; l’investissement; la propriété intellectuelle; la transparence; les entreprises d’État et contrôlées par l’État; la politique sur la concurrence; le travail; l’environnement; la lutte contre la corruption; les recours commerciaux; les marchés publics; les petites et moyennes entreprises; l’énergie; le règlement des différends; les dispositions générales et la monnaie.

La majorité de ces objectifs a été établie dans la lettre relative au projet d’avis que le Représentant a adressée en mai au Congrès, qui contenait 19 objectifs officiels visés par l’administration Trump. Bien que de nombreuses propositions soient de nature administrative ou liées à une plus grande transparence des lois et des règlements applicables, et soient neutres ou positives pour le Canada, telles que les mesures de SPS, la facilitation des formalités douanières et les bonnes pratiques de réglementation, certaines d’entre elles pourraient apporter de grands changements. Certaines propositions, en particulier celles touchant à la manipulation des devises et aux restrictions sur la circulation transfrontalière des données sont des signes, non seulement pour les pays parties à l’ALENA, mais aussi pour d’autres partenaires commerciaux des États-Unis, de ce à quoi ils pourront s’attendre dans les futures négociations commerciales bilatérales avec les États-Unis.

Pour un grand nombre des objectifs fixés, tels que des modifications aux règles d’origine et à l’ouverture du commerce des services, ce dernier sera probablement touché par les négociations de l’Accord sur le commerce des services (ACS) dont le caucus des services financiers du congrès des États-Unis a exhorté le Représentant à examiner la reprise sous peu, ce sont les détails qui posent problème.

Les objectifs de négociation s’éloignent également à maints égards de l’intention initiale de l’ALENA, qui était de créer un bloc commercial qui tirerait profit des économies générées par le libre-échange au sein du bloc. Ces objectifs de négociation, en cherchant à accentuer les divisions entre les trois parties à l’ALENA et en préconisant la réalisation des objectifs fixés par un seul pays aux dépens des autres en fonction du principe « America Frist » (les États-Unis d’abord), semblent entrer en contradiction avec l’objectif initial de l’ALENA qui était de répondre à la création du marché commun européen.

Parmi les objectifs qui sembleraient favoriser les seuls intérêts des États-Unis aux dépens de ceux des autres pays signataires de l’ALENA, citons à titre d’exemple la réduction du déficit commercial des États-Unis avec le Mexique tout en augmentant celui avec le Canada (qui souffre déjà d’un déséquilibre commercial avec les États-Unis), l’obtention d’un plus grand nombre de marchés publics pour les entreprises américaines lors de la vente de produits et de services dans les autres pays de l’ALENA, tout en « excluant la couverture infranationale (gouvernements étatiques et locaux) des engagements en cours de négociation » ainsi que le désir de conserver les exigences d’acheter américain (« Buy America ») en ce qui concerne l’aide fédérale aux projets publics et locaux, les services de transport, les approvisionnements importants en matière de défense et les autres programmes gouvernementaux. Dans le domaine de l’investissement, le principe « Les États-Unis d’abord » est évident dans l’objectif établi selon lequel le gouvernement des États-Unis [traduction] « assurant aux investisseurs américains dans les pays de l’ALENA d’importants droits conformes aux principes et pratiques juridiques des États-Unis, tout en garantissant que les pays de l’ALENA investissant aux États-Unis ne reçoivent pas plus de droits que les investisseurs nationaux ». Peut-être plus important encore, les États-Unis proposent de supprimer en intégralité le système de groupe spécial binational chargé du règlement des différends à l’égard des recours commerciaux tel que les mesures antidumping et compensatoires, ce qui rendrait les entreprises canadiennes dépendantes du système juridique interne des États-Unis pour résoudre les affaires politisées tel que le bois d’œuvre.

Ces quelques exemples illustrent clairement que les renégociations aboutissant à une version révisée et modernisée de l’ALENA seront très exigeantes et qu’elles s’échelonneront vraisemblablement sur une période beaucoup plus longue que quelques mois, ce qui est l’objectif fixé du gouvernement des États-Unis. 

Résumé des objectifs principaux

Quelques-uns des points saillants découlant de notre examen de ces objectifs ont été traités ci-dessous :

  1. Agriculture : En ce qui a trait aux produits agricoles, bien que l’objectif de démanteler le système de gestion des approvisionnements du Canada pour les produits laitiers, la volaille et les œufs ne soit pas expressément indiqué, il peut raisonnablement s’inférer de l’objectif de « viser à éliminer les barrières non tarifaires aux exportations agricoles américaines, notamment les barrières discriminatoires, l’administration restrictive des contingents tarifaires ou autres mesures injustifiées qui restreignent l’accès aux marchés des biens des États-Unis ». Les contingents tarifaires constituent le fondement des mesures de protection à l’encontre des importations pour les produits sous gestion de l’offre et l’objectif semblerait être l’élimination ou la réduction significative de ces contingents dans l’utilisation de ces mesures restrictives en matière d’importation.
  2. Règles d’origine : Par les « règles d’origine », on exige du Représentant d’obtenir dans l’ALENA renégocié des règles « mises à jour » et « plus strictes » « selon le cas » afin de veiller à ce que l’ALENA avantage les produits « réellement faits aux États-Unis et en Amérique du Nord. » Aucune directive n’est fournie en ce qui concerne les méthodes de règles d’origine existantes devant être remplacées afin de veiller à ce que les produits proviennent « réellement » des pays de l’ALENA. Les entreprises qui attendaient avec impatience de comprendre la façon dont ces règles déterminantes et complexes changeront afin d’élaborer une planification avancée, devront vraisemblablement patienter des mois avant d’obtenir d’autres détails. Plus que dans n’importe quel autre domaine de la réglementation du commerce international, ce sont les détails qui posent problème en ce qui concerne les règles d’origine.
  3. Services : Les vastes promesses contenues dans les objectifs fixés pour un plus grand accès au secteur des services, notamment les [traduction] « disciplines sectorielles spécialisées », qui seront destinées à [traduction] « aider à uniformiser les règles de jeu pour les fournisseurs de services de livraison dans les pays de l’ALENA », ne contiennent également pas assez de détails. Il est difficile de savoir si ces objectifs sont les mêmes que les objectifs relatifs à l’amélioration de la compétitivité des fournisseurs américains de services de télécommunications dans les autres pays de l’ALENA ou s’ils sont un complément à ceux-ci ou s’ils leur sont indépendants, ni s’ils multiplieront les occasions pour les fournisseurs américains de services financiers de [traduction] « obtenir des conditions plus équitables et plus accessibles au commerce de services financiers. » Toutefois, il n’est pas proposé dans les objectifs fixés d’éliminer des restrictions canadiennes à la propriété étrangère pour les fournisseurs de services de télécommunications et financiers, tels que les banques.
  4. Facilitation du commerce et des formalités douanières : Bien que la section des objectifs de négociation consacrée à la facilitation du commerce et des formalités douanières reconnaisse les normes de mise en œuvre des accords pertinents de l’OMC, une suggestion importante est un [traduction] « traitement douanier rationalisé et accéléré des expéditions express », notamment une forte augmentation du seuil minimal canadien, passant à 800 $ pour les produits expédiés au Canada par des marchands en ligne américains. Actuellement, le seuil minimal des expéditions transfrontalières exemptes de droits de douane est de 20 $ au Canada et de 300 $ pour les expéditions postales au Mexique.
  5. Investissement : En ce qui concerne l’investissement, les États-Unis cherchent à éliminer les barrières à l’investissement des États-Unis dans tous les secteurs des pays de l’ALENA. On peut s’attendre à ce que ce vaste objectif soit un sujet de débat pour le Mexique et le Canada : les deux ont d’importantes exceptions pour les domaines dans lesquels les investissements des États-Unis n’ont précédemment pas eu un accès total. Dans le cas du Canada, on retrouve l’exception culturelle dans tous les accords de libre-échange et les traités d’investissement que le Canada a signés depuis l’entrée en vigueur de l’ALENA. Un autre objectif lié à l’investissement consiste à [traduction] « assurer aux investisseurs américains dans les pays de l’ALENA d’importants droits conformes aux principes et pratiques juridiques des États-Unis, tout en garantissant que les pays de l’ALENA investissant aux États-Unis ne reçoivent pas plus de droits que les investisseurs nationaux ».
  6. Commerce électronique : Dans le domaine du commerce électronique et de la circulation transfrontalière des données, le Représentant cherche à [traduction] « assurer le traitement non discriminatoire des produits numériques transmis électroniquement » et à [traduction] « garantir que ces produits ne feront pas l’objet d’une discrimination encouragée par le gouvernement fondée sur la nationalité ou le territoire de fabrication du produit ».
  7. Recours commerciaux : Dans le domaine des recours commerciaux, on peut s’attendre à ce le Mexique et le Canada s’opposent fortement à l’objectif consistant à éliminer le processus de groupe spécial binational du chapitre 19, surtout lorsque le processus neutre de règlement des différends mené par des experts des deux pays, plutôt que par les tribunaux nationaux des États-Unis, était pour le Canada une condition à sa signature de l’ALENA. Ceci était un élément central de l’accord de libre-échange initial entre le Canada et les États-Unis, puis de l’ALENA. L’industrie canadienne du bois d’œuvre résineux s’en est bien sortie dans ce processus binational de règlement des différends. Nous pouvons aussi nous attendre à une opposition aussi forte à l’encontre de l’objectif des États-Unis consistant à éliminer, dans les demandes de mesures de sauvegarde, l’obligation de constater un préjudice grave causé par les producteurs de chacune des parties signataires de l’ALENA plutôt que de réunir les exportateurs des parties à l’ALENA avec ceux de tous les pays.
  8. Sociétés d’État : Les objectifs de négociation fixés à l’égard des entreprises d’État ou contrôlées par l’État pourraient avoir de graves répercussions pour les sociétés d’État fédérales et provinciales.
  9. Marchés publics : Comme il est indiqué ci-dessus, les objectifs des États-Unis concernant les marchés publics pourraient finir par être le sujet le plus débattu. Tout en cherchant un meilleur accès au marché dans ce domaine pour les producteurs des États-Unis, le gouvernement américain semble s’acharner à protéger et à conserver la clause « acheter américain » et à restreindre l’accès aux principaux marchés du département de la Défense. Il est important de noter que les marchés publics infranationaux seront exclus du chapitre sur les marchés publics et nous nous attendons à ce que le Canada et le Mexique excluent, de la même façon, les marchés publics infranationaux (provinciaux) de cette discussion.
  10. Domaines écartés des objectifs : Finalement, dans notre examen préliminaire, ce qui suit ne fait pas partie des objectifs de négociation : les taxes à la frontière initialement proposées, tout changement aux mouvements transfrontaliers de gens d’affaires en vertu des règles sur le transfert à l’intérieur d’une société du chapitre 16 de l’ALENA ainsi que l’élimination du règlement de différends en vertu des chapitres 11 (investissement) et 20 (intergouvernements) bien que chacun doive recourir aux groupes spéciaux internationaux semblables à ce qui existe en vertu du chapitre 19 (recours commerciaux) de l’ALENA. Le commerce de l’énergie est inclus, mais l’objectif est formulé tellement vaguement qu’il est difficile de déceler si des changements importants sont proposés.

Le Congrès américain joue un rôle crucial dans les négociations

Bien que jusqu’à présent l’emphase ait été mise sur le président Trump et son équipe de direction du commerce international, notamment le Représentant, M. Lighthizer et le secrétaire au Commerce des États-Unis, M. Wilbur Ross, on peut s’attendre à ce que la stratégie des États-Unis dans la renégociation de l’ALENA soit façonnée par le Congrès d’une manière jamais vue depuis l’administration Ford dans les années 1970. Ceci est dû au niveau de surveillance sans précédent du Congrès prévu dans la TPA bipartite adoptée en 2015.

La TPA-2015 contient d’importantes obligations en matière d’avis et de consultation afin de permettre aux membres de la Chambre et du Sénat de surveiller les discussions et de fournir des commentaires tout au long de celles-ci comme condition à l’octroi du pouvoir de négocier.[1] Par exemple, l’article 4204 de la TPA-2015 a ajouté une obligation pour le Représentant de tenir des consultations relatives au commerce dans les industries instables, telles que la pêche et le textile. La TPA-2015 prévoit également la présentation par l’administration d’études d’impact sur l’environnement et le marché du travail et d’un plan de mise en œuvre et d’application ainsi que la publication d’un projet de loi sur l’application de la législation, avant que le Congrès engage le processus de ratification.

Si le Canada, les États-Unis et le Mexique parviennent à un accord sur une version modernisée de l’ALENA qui respecte les conditions énoncées dans la TPA-2015, le Congrès donnera l’accord définitif et prendra en considération, de façon accélérée, la législation de mise en œuvre associée au moyen d’un vote favorable ou défavorable sans autre modification. Les motifs permettant de conclure que le président a « omis ou refusé d’aviser ou de consulter » conformément à la TPA-2015 sont exhaustifs et concrets.

Calendrier des renégociations de l’ALENA

Les négociations peuvent maintenant commencer dès le 17 août 2017, qui marque la première journée après la fin de la période de consultation de 90 jours imposée par la TPA-2015. Autour de cette date, il est attendu que les négociateurs des États-Unis viennent à la table de négociation avec leurs homologues canadiens et mexicains. Le calendrier de négociation sera également influencé par le cycle électoral respectif de chaque partie à l’ALENA. Les élections primaires du Mexique sont prévues à la fin de 2017 pour l’élection générale qui aura lieu le 1er juillet 2018. Les élections de mi-mandat des États-Unis auront probablement lieu le 6 novembre 2018, pendant lesquelles l’intégralité des 435 sièges de la Chambre des représentants, le tiers des sièges du Sénat et de 39 gouverneurs d’État et de territoire seront à pourvoir. Il est prévu qu’au Canada, les élections fédérales se tiendront au plus tard le 21 octobre 2019. Il est attendu que la renégociation de l’ALENA sera un élément important du programme électoral dans les trois pays de l’ALENA. Lorsqu’une entente sur l’ALENA est conclue, elle doit aussi être ratifiée par vote au sein des parlements respectifs des trois pays, ce qui peut retarder le calendrier de mise en œuvre de plusieurs mois.  

 

[1] Veuillez consulter le document « Trade Promotion Authority: Evaluating the Necessity of Congressional Oversight and Accountability », par Margaret M. Kim, disponible à : http://scholarship.shu.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1101&context=shlj, pages 330 à 341.