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Les investissements étrangers au Canada : bulletin d’actualités Osler - automne 2017

Auteur(s) : Shuli Rodal, Michelle Lally

Le 5 octobre 2017

Introduction

Jusqu’à maintenant, l’année a été mouvementée en ce qui concerne l’examen des investissements étrangers au Canada. Tel que prévu (voir notre bulletin d’Actualités de décembre 2016), la libéralisation a été le thème dominant. Le fait le plus marquant a été le rehaussement important du seuil financier servant à déterminer si les investissements du secteur privé dans des entreprises canadiennes seront assujettis à l’examen de « l’avantage net », en vertu de la Loi sur Investissement Canada (LIC). Au début de l’année, le seuil était fixé à 600 millions de dollars, mais il a été relevé à 1 milliard de dollars, le 22 juin (voir notre bulletin d’Actualités de juin 2017), et à 1,5 milliard de dollars, le 21 septembre, pour les investisseurs de l’Union européenne (UE), des États‑Unis (É.‑U.) et de quelques autres nations qui ont conclu des accords de libre-échange avec le Canada, à la suite de la mise en œuvre de l’Accord économique et commercial global (AECG) intervenu entre le Canada et l’Union européenne.

Même si le gouvernement évalue soigneusement tous les investissements au Canada du point de vue de la sécurité nationale, y compris ceux qui ne mènent pas à un changement de contrôle, le pouvoir d’examen lié à la sécurité nationale est toujours exercé judicieusement, comme en témoigne la publication, en 2017, de statistiques sur le processus d’examen relatif à la sécurité nationale. L’ouverture du Canada aux investissements étrangers en 2017 a notamment donné lieu à des investissements de la Chine, qui ont surpassé les investissements des États-Unis sur le plan de la valeur des actifs, selon les statistiques de la Division de l’examen des investissements (DEI) pour l’exercice 2017 (du 1er avril 2016 au 31 mars 2017 (exercice 2017)). Enfin, bien que le gouvernement ait fait part de son intention de maintenir les mesures de protection existantes à l’égard du secteur culturel canadien, il a adopté une approche flexible dans le traitement des investissements étrangers dans les médias numériques les plus récents, comme en fait foi l’accord conclu récemment avec Netflix.

Rehaussement des seuils

La modification la plus importante apportée à la LIC en 2017 a été l’instauration de seuils plus élevés pour déclencher l’examen et l’approbation d’opérations aux termes des dispositions de la LIC relatives à « l’avantage net » . Le 22 juin 2017, le seuil déclencheur d’examen de « l’avantage net » applicable aux investisseurs du secteur privé d’États membres de l’Organisation mondiale du commerce (investisseurs de l’OMC) a été porté à 1 milliard de dollars en la valeur d’affaire. La loi prescrit également des rajustements annuels des seuils qui reflètent un indice fondé sur le PIB, et ce à compter du 1er janvier 2019.

Quelques mois plus tard, par la mise en œuvre de l’AECG le 21 septembre 2017, le seuil a été porté à 1,5 milliard de dollars en valeur d’affaire, pour les investisseurs du secteur privé de l’UE. Étant donné que les États-Unis, le Mexique, le Chili, la Colombie, le Honduras, le Panama, le Pérou et la Corée du Sud ont tous conclu, avec le Canada, des accords de libre-échange comportant une disposition sur la nation la plus favorisée, le seuil de « l’avantage net » assujetti à l’examen a été relevé à 1,5 milliard de dollars pour ces pays également.

Ces augmentations de seuils s’appliquent aussi aux opérations dans le cadre desquelles l’acquéreur n’est pas un investisseur de l’OMC provenant du secteur privé ou de l’un des pays énumérés au paragraphe ci-dessus, mais où le vendeur est un investisseur qui satisfait à l’un de ces critères. Cependant, les modifications de seuils ne s’appliquent pas aux investissements effectués par des sociétés d’État, qui sont toujours assujetties au seuil de la valeur comptable de l’actif (qui est de 379 M$, en 2017).

Ces modifications entraîneront fort probablement une importante baisse du nombre d’investissements assujettis à un examen en vertu des dispositions de la LIC relatives à « l’avantage net ». Comme l’examen en vertu de la LIC peut être chronophage (plus de 75 jours) et que l’approbation est habituellement accordée sous réserve d’engagements pris par l’investisseur non canadien à l’égard de l’exploitation de son entreprise à la suite de la conclusion de l’opération, le rehaussement du seuil procurera aux investisseurs au Canada une plus grande certitude quant au synchronisme dans la réalisation de l’acquisition au Canada, et une plus grande souplesse dans l’exploitation des entreprises ainsi acquises.

Mise en œuvre de l’AECG

Aux termes de l’AECG, les investisseurs de l’UE peuvent profiter d’un accès privilégié au marché canadien, et vice versa. En plus du seuil d’investissement rehaussé décrit ci-dessus, cet accès privilégié comprend la suppression immédiate de la grande majorité des droits de douane appliqués aux opérations portant sur des produits et services, ainsi que d’autres avantages abordés plus en détail dans notre examen de l’accord.

Cependant, certains aspects particuliers de l’AECG relatifs aux investissements, y compris la protection des investisseurs et le mécanisme de règlement des différends entre l’investisseur et l’État, doivent être approuvés par les parlements des 28 membres de l’UE avant d’être mis en œuvre. D’ici là, les investisseurs ne pourront pas se prévaloir du mécanisme hors cour permettant aux investisseurs de présenter une réclamation contre un État. Ils devront s’adresser aux tribunaux nationaux.  

Examen au titre de la sécurité nationale

Le Rapport annuel 2016-2017 concernant la Loi sur Investissement Canada (le Rapport annuel) comporte des statistiques relatives au processus d’examen au titre de sécurité nationale, qui viennent éclairer un processus reconnu pour être opaque. Le Rapport annuel indique que ces examens sont peu fréquents : seulement cinq des 737 investissements devant au moins faire l’objet d’un avis en vertu de la LIC ont été officiellement examinés pour des motifs de sécurité nationale, au cours de l’exercice 2017. Même s’il est toujours évident que très peu d’opérations sont bloquées, sous réserve d’engagements, ou grandement retardées en raison de préoccupations relatives à la sécurité nationale, il convient de noter que ces statistiques ne reflètent pas l’incidence globale du processus d’examen relatif à la sécurité nationale. Par exemple, ces statistiques ne portent pas sur les opérations potentielles qui ont été abandonnées aux premières étapes pour cause de préoccupations exprimées de façon informelle. De plus, d’après l’expérience d’Osler, il semblerait que la Division de l’examen des investissements collabore maintenant plus activement avec les organismes responsables de la sécurité nationale du Canada en vue de filtrer les investissements de façon informelle avant de déterminer qu’un examen officiel au titre de la sécurité nationale ne sera pas nécessaire. Cet engagement accru semble avoir pour but de dissiper les préoccupations relatives à la sécurité nationale. Dans certains cas, cela implique de demander aux investisseurs de fournir des renseignements supplémentaires sur leurs entreprises et leurs activités, sur une base volontaire. Par conséquent, le fait de cerner à l’avance les difficultés potentielles et, s’il y a lieu, de les régler de façon proactive, peut aider contribuer à clarifier tout problème et à éviter les retards. Selon le Rapport annuel, les trois facteurs de sécurité nationale les plus importants qui ont mené à des examens au titre de la sécurité nationale au cours de l’exercice 2017 ont été les suivants :  

  • le transfert possible de technologies à double usage ou de savoir-faire sensibles à l’extérieur du Canada;
  • l’incidence négative potentielle de l’investissement sur l’approvisionnement en biens et services essentiels aux Canadiens ou au gouvernement;
  • le risque de donner ouverture à la surveillance ou à l’espionnage par des étrangers.

Libéralisation relative aux investissements chinois

Les efforts que le gouvernement libéral déploie actuellement pour susciter les investissements étrangers constituent une volte-face remarquable par rapport à la position du précédent gouvernement conservateur. Le gouvernement est dorénavant plus ouvert aux investissements provenant de la Chine. Le Canada et la Chine tiennent des discussions exploratoires sur la possibilité de conclure un accord de libre-échange. Les investissements chinois au Canada, tant sur le plan du nombre d’investissements distincts que sur celui de la valeur d’affaire globale de ces investissements, n’ont été dépassés que par les investissements provenant des États-Unis, au cours de l’exercice 2017. Pour ce qui est de la valeur totale des actifs de ces investissements, celle de la Chine était supérieure à celle des États-Unis.

La récente prise de contrôle de Norsat International (Norsat) par Hytera constitue un exemple notable de l’approche adoptée par le Canada à l’égard d’investissements provenant de la Chine. Norsat, qui a son siège à Vancouver, produit de l’équipement satellite et des émetteurs-récepteurs destinés à des applications militaires. Hytera, entreprise privée chinoise, a proposé une prise de contrôle amicale et, malgré un afflux de critiques, notamment de la part des États-Unis, l’opération a été approuvée par le gouvernement canadien. Cette approbation a été accordée sans examen complet au titre de la sécurité nationale; le processus d’approbation n’a fait l’objet que d’une seule période de prolongation de 45 jours au-delà de la période d’examen initial standard de 45 jours prescrit par la LIC. L’absence d’examen complet au titre de la sécurité nationale, particulièrement à la lumière des hésitations antérieures du gouvernement à permettre aux investisseurs chinois d’acquérir des actifs dans des secteurs d’activité de nature sensible, a suscité beaucoup d’étonnement et a fait l’objet de nombreux commentaires des médias, tant au Canada qu’aux États-Unis (voir, par exemple, cet article du Globe and Mail). Même si l’approche du gouvernement à l’égard des investissements chinois continue d’évoluer et si l’on s’attend à ce que certains types d’investissements continuent de faire l’objet d’examens minutieux, la réaction du gouvernement à l’acquisition de Norsat laisse croire que les investissements provenant de la Chine posent moins problème qu’auparavant.

De nombreuses autres opérations marquantes conclues par des investisseurs chinois ont été examinées et approuvées par le gouvernement, en 2017, y compris la prise de contrôle, par Anbang Insurance (Anbang), de Retirement Concepts qui exploite des maisons de retraite en Colombie-Britannique, à Calgary et à Montréal. Anbang, détenue par des intérêts privés l’un des plus grands assureurs chinois, a dû faire face, aux États-Unis, à des questions relatives à la structure de son capital-social, et à ses liens possibles avec le gouvernement de la Chine. Le gouvernement du Canada a approuvé cette opération, qu’il considérait comme un avantage net pour l’économie canadienne.

Autre fait important relatif à l’examen d’un investissement de la Chine dans des secteurs canadiens de nature sensible, du point de vue de la sécurité nationale : le gouvernement a revu et approuvé la prise de contrôle par O-Net Communications (O-Net), ayant son siège à Hong Kong, de la société montréalaise Technologies ITF, en dépit du fait que cette même opération avait été refusée par le gouvernement conservateur, en 2015. Comme il est décrit plus en détail dans notre bulletin d’Osler relatif à la décision [disponible en anglais seulement], cette approbation a été accordée malgré le fait qu’O-Net appartenait, selon ce qui a été déclaré, à hauteur de 25 % à China Electronics Corporation, une société d’État chinoise. Bien que les faits exceptionnels relatifs à l’opération O-Net puissent restreindre sa valeur de précédent, cela témoigne encore une fois de la disposition du gouvernement à collaborer avec des investisseurs pour trouver des solutions dans certaines circonstances, alors qu’une avenue viable vers l’approbation n’était possiblement pas réalisable auparavant.

Le traitement que le Canada réserve aux investissements chinois diffère quelque peu de celui des États-Unis où la tendance semble plutôt à scruter de plus près les investissements provenant de la Chine. D’après le rapport récemment publié par le Committee on Foreign Investment in the United States (CFIUS), établi sur le fondement des divulgations volontaires qui lui ont été faites, les investisseurs chinois avaient fait plus d’investissements aux États-Unis que toute autre nation en 2015, indiquant que la tendance amorcée en 2012 se maintenait. Cependant, les investissements chinois sont de plus en plus assujettis à de longs examens et à des engagements à prendre des mesures correctrices. Dans quelques cas très médiatisés, ils ont été refusés. On a même supposé que les investisseurs chinois pourraient décider de détourner des investissements vers des territoires de compétence plus favorables aux investissements provenant de la Chine, tels que l’UE ou le Canada.

Politique culturelle

Le 28 septembre 2017, la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, a lancé Canada créatif, un nouveau cadre stratégique destiné aux industries culturelles au Canada. En ce qui concerne les investissements étrangers, cette politique prône le prolongement des protections dont bénéficie actuellement le secteur national. Abordant renégociation de l’ALENA en cours, la ministre Joly a déclaré que le gouvernement est résolu à maintenir la souplesse à l’égard de la culture canadienne dans l’ALENA, en conservant l’exception relative aux industries culturelles. Il semble donc probable que le gouvernement cherchera à maintenir le faible seuil de la valeur comptable de l’actif servant à déclencher l’examen de « l’avantage net » d’un investissement direct dans des industries culturelles (par opposition aux entreprises non culturelles) et que le gouvernement tentera de préserver les politiques restrictives applicables à certains secteurs (p. ex., la distribution de films, les journaux, les magazines) dans un ALENA renégocié, en dépit de l’opposition probable des États-Unis.

Cela dit, le gouvernement a fait preuve d’une certaine souplesse dans le traitement des investisseurs étrangers. L’annonce, au lancement de Canada créatif, que Netflix avait accepté d’investir 500 M$ en cinq ans dans des productions canadiennes et que cette société ne sera pas assujettie au même cadre stratégique de soutien à la culture que les intervenants canadiens du secteur de la télédiffusion laisse croire que le gouvernement pourrait être prêt à faire preuve d’une certaine souplesse dans l’application du cadre traditionnel aux investissements étrangers dans les industries culturelles, particulièrement dans les médias numériques les plus récents.