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L’Accord États-Unis–Mexique–Canada : aperçu de ce qui change et de ce qui ne change pas

Auteur(s) : Riyaz Dattu, Peter Glossop, Gajan Sathananthan, Shalu Atwal

Le 2 octobre 2018

Dans le présent bulletin sur le commerce international, nous abordons l’ALENA renégocié, maintenant appelé « Accord États-Unis–Mexique–Canada » (AEUMC), notamment ce qui a changé, ce qu’il y a de nouveau et l’incidence de l’accord sur le commerce transfrontalier.

Tard le dimanche 30 septembre 2018, après 13 mois de négociations, et juste avant une échéance prévue par la loi américaine, les États-Unis et le Canada ont annoncé qu’ils étaient parvenus à une entente sur le libellé d’un accord de libre-échange renégocié. Des révisions ont été apportées à l’entente de principe intervenue entre les États-Unis et le Mexique à la fin du mois d’août, créant ainsi ce qui succède à l’ALENA, soit l’AEUMC.

Le texte intégral de l’AEUMC, dans son libellé actuel, a été publié par le représentant au Commerce des États-Unis et l’on peut le trouver sur le site Web de ce dernier.

Tel qu’il est décrit dans nos bulletins sur le commerce international précédents, les négociations ont été ardues, et il a semblé parfois que les parties ne parviendraient pas à une entente. Cependant, les parties ont fait des compromis qui semblent restreindre les modifications les plus radicales initialement proposées par l’administration américaine, tout en conservant certaines dispositions essentielles pour que le Canada donne son aval à l’accord trilatéral renégocié.

Ce qui n’a pas changé

Une grande partie de ces difficiles négociations tournait autour de l’insistance du Canada à conserver certaines dispositions de l’ALENA, figurant dans la liste des principales exigences du Canada, publiée peu après le début des négociations. Ces dispositions englobent plusieurs des sujets suivants, qui ne semblent pas avoir subi beaucoup de modifications :

  • Exemption culturelle – L’exemption relative aux industries culturelles du Canada, dans le cadre de l’ALENA, a été maintenue dans l’AEUMC, mais du texte a été ajouté concernant le règlement de différends et les représailles.
  • Chapitre 19 – Le processus binational de règlement des différends en matière de contestation des droits antidumping et compensateurs imposé par les autres parties est conservé apparemment inchangé dans l’AEUMC par rapport à sa version originale dans l’ALENA, sauf qu’il est déplacé au chapitre 10.
  • Chapitre 20 – De même, le chapitre 20 de l’ALENA, qui traite du mécanisme de règlement des différends entre États, devient le chapitre 31 de l’AEUMC.
  • Visa d’admission temporaire – Le Canada avait également comme priorité de maintenir, et même d’élargir, la portée des déplacements de professionnels pouvant obtenir des visas de travail pour une admission temporaire aux termes de l’ALENA. Ces dispositions ne semblent guère avoir été modifiées dans l’AEUMC.
  • Droits de douane sur l’acier et l’aluminium – Les droits de douane sur l’acier et l’aluminium de « l’article 232 », fondés sur des préoccupations relatives à la sécurité nationale, et imposés au Canada par les États-Unis plus tôt cette année, n’ont pas été abordés dans l’AEUMC. Ils seront traités à l’extérieur de l’AEUMC. Cependant, des lettres d’accompagnement de l’AEUMC obligent les États-Unis à chercher une solution négociée avec le Canada et le Mexique pendant 60 jours, avant d’appliquer de nouveaux tarifs aux termes de l’article 232, à l’encontre de l’un ou l’autre des deux autres pays.

Ce qui a changé

Le tableau ci-dessous présente certains des principaux changements entre l’ALENA et l’AEUMC.

Objet

ALENA AEUMC Commentaires

Industrie laitière

Le Canada a largement exempté son industrie laitière, soumise à la gestion de l’offre, de ses obligations générales au titre du libre-échange aux termes de l’ALENA

Aux termes de l’AEUMC, le Canada doit donner l’accès à son marché des produits laitiers, ce qui correspond actuellement à l’équivalent d’environ 3,5 % du marché, et supprimer les restrictions sur les importations de produits laitiers de catégories 6 et 7

Le maintien de la protection du système de gestion de l’offre du Canada pour les produits laitiers (et avicoles) était une priorité pour le Canada dans ces négociations

Chapitre 11

Prévoyait le règlement des différends entre investisseurs et États

Le mécanisme d’arbitrage des différends entre investisseurs et États sera supprimé graduellement pour les plaintes contre le Canada ou par des Canadiens d’ici trois ans

Le Canada prévoyait la refonte du chapitre 11. Étant donné qu’il y avait beaucoup plus de plaintes des États-Unis à l’encontre du Canada, on pourrait soutenir que la suppression graduelle est en fait une « victoire » pour le Canada

Exportation d’automobiles

Exigence relative à la teneur de l’ALENA : 62,5 % pour les voitures de tourisme et les utilitaires légers, 60 % pour les autres véhicules

Exigence relative à la teneur de l’AEUMC : 75 %, assortie d’exigences concernant le salaire horaire minimum des travailleurs (mise en place progressive)

Tarifs de l’article 232 : jusqu’à 2,6 millions de véhicules canadiens exportés aux États-Unis sont exemptés de droits de douane, en cas de droits de sauvegarde imposés par les États-Unis

Le plafond pour l’exemption de tarif aux termes de l’article 232 dépasse de beaucoup les exportations d’automobiles courantes du Canada vers les États-Unis (environ 1,8 million de véhicules par année)

Seuils minimums d’importation aux fins de recouvrement d’impôt et de droits

Le seuil minimum est de 20 $ pour les droits de douane et la taxe de vente

Le seuil minimum est de 150 $ pour les droits de douane et de 40 $ pour la taxe de vente (en dollars canadiens)

Le seuil minimum de 20 $ n’a pas augmenté depuis 1985. Les détaillants canadiens ont affirmé que ces seuils minimums fournissent un avantage inéquitable aux détaillants étrangers, car ils ne s’appliquent qu’aux achats de consommation, et non aux achats effectués par des détaillants.

Propriété intellectuelle

Droits d’auteur correspondant à la vie de l’auteur, plus 50 ans

Protection des données pendant 8 ans pour les produits biologiques

Droits d’auteur correspondant à la vie de l’auteur, plus 70 ans

Protection des données pendant 10 ans pour les produits biologiques

Les dispositions sur la propriété intellectuelle de l’AEUMC reflètent pour l’essentiel l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste que le Canada avait signé plus tôt cette année.

 

Ce qu’il y a de nouveau

Plusieurs nouvelles dispositions, qui semblent avoir été tirées du Partenariat transpacifique (devenu, depuis, l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste, conclu sans les États-Unis) figurent maintenant dans l’AEUMC. Certaines autres dispositions, décrites ci-dessous, ont trait expressément aux préoccupations courantes des États-Unis.

Disposition de temporisation

L’AEUMC contient une disposition appelée « disposition de temporisation », qui prévoit son expiration automatique après une période fixe, à moins que sa prolongation ne soit explicitement convenue entre les parties. Même si les États-Unis visaient à l’origine une disposition de temporisation de cinq ans, l’AEUMC étend cette période à 16 ans, avec une révision exigée au cours des six premières années de l’entente, qui pourrait mener à un renouvellement pour 16 années de plus.

Accès élargi au marché vinicole de la Colombie-Britannique

Pour régler un problème continu entre le gouvernement de la Colombie-Britannique et les viniculteurs américains, aux termes d’une lettre d’accompagnement de l’AEUMC, le Canada a confirmé que la Colombie-Britannique abandonnera son exigence actuelle, selon laquelle seuls les vins britanno-colombiens peuvent être vendus dans les épiceries.

Manipulation monétaire

L’AEUMC comporte le premier chapitre jamais incorporé à un accord de libre-échange sur la manipulation monétaire. Le texte de ce chapitre exige que les parties divulguent publiquement, tous les mois, les données sur les réserves en devises et les interventions sur les marchés boursiers étrangers.

Commerce avec la Chine

L’AEUMC comporte également une disposition nouvelle et pouvant porter à controverse relativement aux accords de libre-échange avec des économies non marchandes, ce qui vise essentiellement la Chine. Plus particulièrement, cette disposition exige la notification de l’intention de négocier un accord de libre-échange avec une économie non marchande, et la divulgation de l’objectif de la négociation ainsi que du texte de tout accord au moins 30 jours avant sa signature. Elle prévoit également de façon explicite un processus de résiliation de l’AEUMC, le remplaçant par un accord bilatéral modifié (sans la partie qui décide de conclure un nouvel accord commercial avec un pays à « économie non marchande »). Même si le gouvernement canadien a envisagé d’entreprendre des négociations relativement à un commerce bilatéral (en supplément au nouvel accord sur la promotion et la protection des investissements étrangers) avec la Chine, cette nouvelle disposition semble limiter les possibilités que le Canada puisse faire cavalier seul dans la négociation d’un accord de libre-échange avec la Chine.

Et ensuite?

Le texte de l’accord publié par le représentant au Commerce des États-Unis doit faire l’objet d’un examen juridique visant à en assurer l’exactitude et l’uniformité. La diffusion dans le public du texte du représentant au Commerce américain déclenche la période d’examen de 60 jours avant que le président des États-Unis, Donald Trump, ne signe l’accord. La période d’examen se termine à la fin de novembre, ce qui permettra à l’administration mexicaine en place de signer l’accord avant la prestation de serment du président du Mexique nouvellement élu, le 1er décembre.

Une fois signé, l’accord suivra le processus de ratification de traité des trois pays en cause. Il est peu probable que la ratification l’AEUMC se heurte à d’importants obstacles au Canada et au Mexique, mais aux États-Unis, elle aura lieu après les élections de mi-mandat de novembre. Cela pourrait poser problème si, par exemple, le Parti démocrate prend le contrôle de l’une ou des deux chambres du Congrès et est insatisfait des dispositions de l’AEUMC, ou n’est pas disposé à accorder au président américain, Donald Trump, une « victoire » politique sous forme d’un nouvel accord commercial. Par conséquent, même si le gros du travail a déjà été accompli, il reste encore beaucoup à faire avant que l’AEUMC ne puisse remplacer l’ALENA et régir le commerce entre le Canada, les États-Unis et le Mexique.

Vous trouverez le Guide de renseignements utiles sur la PI dans l’Accord États-Unis–Mexique–Canada de nos collègues ici.