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Le Canada dépose un AMVM visant la ratification de l’instrument multilatéral; le point sur les réserves à l’égard de l’instrument multilatéral

Le 29 mai 2018

Dans ce bulletin d’actualités :

  • Le 28 mai 2018, le Canada a déposé un Avis de motion de voies et moyens (AMVM), officialisant son intention de ratifier l’instrument multilatéral (IM).
  • Le Canada a l’intention de retirer certaines de ses réserves initiales à l’égard de dispositions facultatives de l’instrument multilatéral.
  • Le calendrier et la procédure requise pour l’entrée en vigueur de l’instrument multilatéral.

 

Le 28 mai 2018, le Canada a déposé un Avis de motion de voies et moyens (AMVM) à la Chambre des communes, officialisant son intention de présenter un projet de loi visant à inscrire dans le droit canadien la Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices [PDF], également appelée « instrument multilatéral » ou « IM ». Il s’agit de l’étape suivante dans le processus de ratification par le Canada de l’instrument multilatéral, qu’il a signé en juin 2017 (dans le Budget fédéral de 2018, le Canada a signifié son intention de ratifier l’IM en 2018).

Contexte de l’instrument multilatéral

L’instrument multilatéral a été signé par plus de 75 juridictions, dont le Canada. Une fois en vigueur, l’instrument multilatéral modifiera un grand nombre de conventions fiscales bilatérales existantes, notamment jusqu’à 75 conventions fiscales bilatérales du Canada (appelées « conventions fiscales couvertes »; voir la liste exhaustive [PDF]). Les modifications les plus importantes aux conventions mises en œuvre par l’instrument multilatéral seront l’adoption des normes minimales convenues de l’OCDE relativement à l’utilisation abusive des conventions fiscales et l’amélioration du règlement des différends.

La norme minimale visant à prévenir l’utilisation abusive des conventions fiscales comporte deux volets : (i) un préambule modifié, proposant que les conventions fiscales couvertes entendent éliminer la double imposition, sans créer de possibilités de non-imposition ou d’imposition réduite via des pratiques d’évasion fiscale ou de fraude/évitement fiscal; et (ii) une règle anti-évitement étendue, appelée « critère des objets principaux » ou « COP ». Selon le COP, un avantage au titre d’une convention pourrait être refusé s’il est raisonnable de conclure que son octroi était l’un des objets principaux d’un montage ou d’une transaction, à moins qu’il soit établi que l’octroi de cet avantage serait conforme à l’objet et au but des dispositions pertinentes de cette convention.

Le Canada a convenu, aux termes de l’instrument multilatéral, de mettre en œuvre la norme minimale en ce qui concerne l’aspect du règlement des différends de ses conventions fiscales, et a également convenu d’adopter l’arbitrage obligatoire et contraignant afin de faciliter le règlement de différends relatifs à des conventions en temps opportun.

Le Canada modifie ses réserves initiales

Le Canada a annoncé son intention de retirer certaines de ses réserves initiales à l’égard de dispositions facultatives de l’instrument multilatéral (il est à noter que les réserves peuvent être retirées en tout temps, mais qu’il n’est pas permis d’en émettre de nouvelles). La première modification consiste à ajouter une période de détention d’un an pour bénéficier des réductions, fondées sur une convention, des taux de retenues d’impôt applicables à des dividendes, en vertu d’une convention fiscale couverte. Ces réductions s’appliquent généralement lorsque le bénéficiaire effectif ou le destinataire du dividende est une société qui possède, détient ou contrôle dans la société qui paie les dividendes plus d’un certain montant des actions ou des droits de vote. Cependant, l’article 8 de l’instrument multilatéral interdit ces allègements spéciaux si les conditions de détention ne sont pas satisfaites tout au long d’une période de 365 jours incluant le jour du paiement des dividendes. À cette fin, il n’est pas tenu compte des changements de détention résultant de certaines réorganisations de la société.

La deuxième modification consiste à ajouter une période de vérification rétrospective d’un an afin d’établir si une convention fiscale couverte exempte les gains en capital sur la vente de participations (y compris les actions) dans des entités ne tirant pas leur valeur principalement de biens immobiliers. Les règles internes du Canada relatives aux « biens canadiens imposables » imposent une période de retour en arrière de cinq ans pour déterminer si les actions tirent leur valeur principalement de certains types de biens canadiens (tels que les biens réels et les avoirs miniers). En revanche, de nombreuses conventions fiscales du Canada exonèrent les gains de l’impôt au Canada lorsque les actions vendues par un résident de l’autre État ne tirent pas leur valeur principalement de biens immobiliers au Canada au moment de l’aliénation. Le paragraphe 9(1) de l’instrument multilatéral, que le Canada se propose d’adopter, permettra au pays source d’imposer ces gains si le seuil de valeur pertinent est atteint à un moment donnée au cours des 365 jours qui précèdent l’aliénation.

La nouvelle disposition sur les gains en capital élargira également l’application de dispositions existantes dans les conventions fiscales couvertes qui ne prévoient pas déjà cette imposition afin de permettre que ces gains tirés d’actions et d’autres participations (telles que des participations dans des sociétés de personne et des fiducies ou des trusts) soient imposés, si dans chaque cas, le seuil pertinent de biens immobiliers est atteint au cours de la période nécessaire de 365 jours.

La troisième modification consiste à adopter une disposition visant à résoudre les cas d’entité ayant une double résidence. De nombreuses conventions fiscales du Canada prévoient que la question de la double résidence de personnes autres que des particuliers (telles que des personnes morales) doit être réglée, s’il est possible de parvenir à une entente, par les autorités compétentes des deux pays qui sont parties à la convention dans lesquels l’entité est résidente. L’article 4 de l’instrument multilatéral ajoute certains facteurs que les autorités compétentes devraient prendre en compte pour déterminer le statut de résident : le lieu où se situe son siège de direction effective, le lieu où elle a été constituée en société ou en toute autre forme juridique, et « tout autre facteur pertinent ».

Le nouvel article sur les entités ayant une double résidence ne tranche pas clairement les cas où une entité a une double résidence à la suite d’une continuation de la société. Certaines de ces entités peuvent être régies par les lois du pays où elles ont été constituées et par les lois du pays où elles sont continuées. La convention entre le Canada et les États-Unis contient une règle décisive qui prévoit que cette entité ne serait résidente que du pays où elle a été créée. En mentionnant le lieu où l’entité a été constituée en société ou en toute autre forme juridique comme facteur pertinent, la nouvelle disposition de l’instrument multilatéral pourrait indiquer qu’une approche semblable devrait être appliquée, sans pour autant considérer un facteur particulier comme une règle explicite concrète.

Enfin, le Canada prévoit adopter une disposition de l’instrument multilatéral qui permettra à certains signataires de convention de passer d’un système d’exemption comme moyen de se soustraire à la double imposition, à un système de crédits pour impôt étranger. Cette modification semble conforme à la politique générale du Canada des deux dernières décennies en matière de conventions, selon laquelle les garanties fondées sur une convention ont généralement été retirées des systèmes d’exemption. Nous constatons que l’article 5 de l’instrument multilatéral permet aux pays de choisir l’une de trois options différentes lorsqu’ils retirent ces garanties fondées sur des conventions, et nous ignorons pour le moment laquelle des trois options le Canada prévoit adopter. Dans tous les cas, le retrait d’une garantie fondée sur une convention d’un système d’exemption permettrait aux parties d’une convention avec le Canada de modifier leurs lois nationales pour adopter un système de crédits pour impôt étranger comme solution de rechange. Cependant, selon la tendance générale depuis de nombreuses années, les pays (y compris le Canada) appliquent un système d’exemption, et toute modification à un système de crédits pour impôt étranger apportée par les signataires d’une convention avec le Canada pourrait avoir des répercussions négatives importantes sur les investissements transfrontaliers.

Malheureusement, le Canada n’a pas annoncé son intention de retirer sa réserve à l’égard du paragraphe 7(4) de l’instrument multilatéral, qui autoriserait expressément des avantages au titre des conventions, avantages qui seraient autrement refusés en partie ou en totalité en fonction du COP par les autorités compétentes dans les circonstances appropriées. Par exemple, supposons qu’un investisseur pourrait prétendre à un taux de retenue à la source de 15 % sur les dividendes, s’il avait fait un investissement direct au Canada, mais qu’il investit plutôt au Canada par le truchement d’un intermédiaire qui aurait droit à un taux de retenue à la source de 10 %. Le refus des avantages au titre de la convention en raison du COP pourrait mener à imposer un taux de retenue à la source de 25 % sur les dividendes de l’investisseur. Cependant, le paragraphe 7(4) prévoit un mécanisme particulier permettant à l’investisseur de se prévaloir du taux de 15 %, malgré l’application du COP, dans les cas où l’ARC établit que le taux de 15 % se serait appliqué si l’investisseur avait investi directement au Canada. C’est particulièrement important, par exemple, pour les investisseurs dans des fonds de capital-investissement et autres instruments de placement collectif qui sont résidents de plusieurs pays. Le Canada n’a pas donné davantage d’indications sur le moment ou la façon dont le COP devrait s’appliquer aux fonds de capital-investissement et autres instruments de placement collectif, malgré de nombreuses suggestions voulant que d’autres indications soient nécessaires (sur une base unilatérale ou bilatérale). Plus particulièrement, le COP est libellé en termes très généraux, et les indications actuelles de l’OCDE sont ambiguës et peuvent donner lieu à différentes interprétations.

Calendrier d’entrée en vigueur de l’IM

L’instrument multilatéral entrera en vigueur le 1er juillet 2018, à la suite de sa ratification par au moins cinq pays (l’Autriche, l’Île de Man, Jersey, la Pologne et la Slovénie).

Dans le cas du Canada, l’instrument multilatéral entrera en vigueur le premier jour du mois commençant trois mois après le dépôt, par le Canada, de son document de ratification auprès de l’OCDE. Dans les cas où l’instrument multilatéral est déjà en vigueur pour une partie contractante à une convention fiscale couverte, l’instrument multilatéral prendra alors effet pour cette convention fiscale couverte, concernant (a) les retenues à la source, le premier jour de l’année civile suivante, et concernant (b) les autres impôts, à l’égard des années d’imposition débutant six mois après l’entrée en vigueur de l’instrument multilatéral pour le Canada. Dans les cas où l’instrument multilatéral n’est pas encore en vigueur pour une partie contractante, la date de prise d’effet pour cette convention fiscale couverte dépendra de la date à laquelle l’instrument multilatéral entre en vigueur pour cette partie.

Les procédures de ratification applicables au Canada consistent en ce qui suit :

  1. l’AMVM doit être déposé en tant que projet de loi (projet de loi de mise en œuvre) qui devra faire l’objet de débats tant à la Chambre des communes qu’au Sénat, avant que ces deux chambres ne soumettent éventuellement le projet de loi de mise en œuvre à l’étude d’un comité;
  2. le projet de loi de mise en œuvre doit être approuvé par le Parlement et recevoir la sanction royale (étant donné que le Parlement doit ajourner pour l’été le 22 juin 2018, et que la rentrée parlementaire est prévue pour le 17 septembre 2018, il est peu probable qu’il reçoive la sanction royale avant l’automne 2018);
  3. un décret doit ensuite être pris pour informer l’OCDE de la conclusion des procédures de ratification au Canada.

Par exemple, si le Canada informe l’OCDE en septembre 2018 de la conclusion de ses procédures internes de ratification, l’instrument multilatéral entrerait en vigueur, pour le Canada, le 1er janvier 2019. L’IM prendrait alors effet dans le cas de ces conventions fiscales couvertes pour lesquelles l’IM serait également entré en vigueur pour une partie contractante (a) à l’égard des retenues à la source, le 1er janvier 2020, et (b) à l’égard des autres impôts, pour les années d’imposition commençant le 1er juillet 2019 ou ultérieurement.

À la suite de la ratification, le Canada ne pourra plus émettre d’autres réserves, mais les signataires pourront retirer ou limiter une réserve après la ratification. Étant donné que l’AMVM mentionne la mise en œuvre intégrale de l’instrument multilatéral, et qu’il n’est assujetti à aucune réserve particulière, le retrait d’une réserve semble relever du pouvoir exécutif du gouvernement, et nécessitera probablement un décret, plutôt qu’une fonction parlementaire. Certains retraits de réserves pourraient avoir de fortes répercussions sur le fisc canadien (par exemple, si le Canada acceptait les modifications au seuil d’« établissement stable » de l’IM, ce qui pourrait faciliter à d’autres pays l’imposition de bénéfices relatifs à des ressources canadiennes). Par conséquent, il est à espérer que le Parlement porte une attention particulière à l’instrument multilatéral, ainsi qu’aux possibles conséquences du retrait des réserves du Canada, avant d’approuver la ratification de l’IM.

Pour un complément d’information sur l’IM – y compris un exposé sur le rapport final du Projet BEPS de l’OCDE (comprenant des recommandations sur l’IM et 14 autres actions à mettre en œuvre), sur les dispositions facultatives de l’IM et sur les procédures de mise en œuvre du Canada – veuillez consulter nos bulletins d’actualités Osler « Le Canada entame le processus de ratification de la convention fiscale multilatérale pour mettre en œuvre le BEPS », « Rapports finaux 2015 du Projet BEPS – Réforme de la fiscalité internationale », « Importantes modifications aux conventions fiscales proposées dans la convention multilatérale », « Le Canada signe une convention fiscale multilatérale », et « Nouvelle règle COP dans l’Instrument multilatéral de l’OCDE pour déloger la RGAE canadienne? »

Pour plus de renseignements sur l’instrument multilatéral, la règle COP ou sur d’autres questions fiscales, veuillez communiquer avec un membre du groupe de droit fiscal d’Osler.