Passer au contenu

Renégociations de l’ALENA – Les entreprises se préparent pour une route cahoteuse

Le 8 juin 2018

Dans notre dernier bulletin sur le commerce international, nous nous sommes penchés sur les contre-mesures proposées par le Canada en réaction à l’imposition de tarifs douaniers sur l’aluminium et l’acier par l’administration américaine. Dans le présent bulletin sur le commerce, nous traitons de l’état d’avancement des renégociations en cours de l’ALENA et de la possibilité que l’administration américaine négocie des accords commerciaux bilatéraux avec le Canada et le Mexique.

Le rythme du processus de renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), lancé en août 2017, a considérablement ralenti, et l’administration américaine a exprimé son mécontentement ces derniers jours en imposant des tarifs de 10 % sur l’aluminium et de 25 % sur l’acier en provenance de ses partenaires de l’ALENA. Depuis, l’administration américaine a également laissé entendre que plutôt que d’entreprendre un processus de renégociation trilatéral, elle chercherait à conclure des accords commerciaux bilatéraux avec le Canada et le Mexique. 

Larry Kudlow, directeur du National Economic Council du président Trump, aurait déclaré que monsieur Trump est maintenant d’avis que la négociation d’ententes commerciales bilatérales avec le Canada et le Mexique donnerait des résultats plus favorables pour les États-Unis, en plus de faciliter et d’accélérer la conclusion des renégociations trilatérales de l’ALENA. Cependant, de nombreux représentants du Canada ont eu tôt fait de refuser cette manière de procéder et ont déclaré que le gouvernement canadien était déterminé à conclure un accord trilatéral. 

Ce changement subi de stratégie intervient à un moment où les renégociations de l’ALENA sont manifestement en perte de vitesse par rapport au rythme effréné des pourparlers à la fin d’avril et au début de mai, une « période plus intense des négociations » plutôt que de rondes de négociations généralement ponctuées de rencontres improvisées entre de hauts responsables du Canada, du Mexique et des États-Unis. On espérait alors la conclusion d’un « accord de principe » au début de mai. Dans un contexte où la signature d’un accord semble désormais hors d’atteinte et où les négociations piétinent, l’administration américaine a brusquement révoqué l’exonération de tarifs mondiaux sur l’acier et l’aluminium qu’il avait accordée au Canada et au Mexique, pour des motifs de « sécurité nationale ». Comme nous l’avons mentionné dans un bulletin antérieur sur le commerce international, il se peut que l’imposition de ces tarifs ne soit pas conforme aux obligations des États-Unis en application des accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et, en réaction à cette mesure, le Canada a présenté une demande de consultations à l’OMC, cette démarche ayant pour effet d’amorcer le processus de règlement de plaintes et de différends. De plus, le Canada a présenté des contre-mesures tarifaires ciblant un éventail étendu d’importations des États-Unis, qu’il propose d’appliquer le 1er juillet. La date limite de remise des présentations dans le cadre des consultations publiques est le 15 juin 2018. Les États-Unis envisagent également l’imposition de tarifs pouvant atteindre 25 % sur les véhicules automobiles[1] et, selon de nombreuses rumeurs, le président Trump entrevoit l’adoption de mesures supplémentaires pour riposter aux contre-mesures prises par ses partenaires de l’ALENA en réaction à l’imposition de tarifs sur l’aluminium et l’acier.[2]

Étant donné l’approche d’élections au Mexique et aux États-Unis, il semble improbable que le processus de négociation progresse beaucoup à brève échéance. L’élection présidentielle mexicaine, qui aura lieu le 1er juillet 2018, peut mener à un changement de gouvernement, auquel cas un changement d’attitude du Mexique à l’égard des négociations de l’ALENA serait plausible. Pareillement, les élections législatives aux États-Unis, qui auront lieu le 6 novembre 2018, pourraient entraîner un changement de contrôle à la Chambre des représentants et des changements au Sénat, ce qui rendrait nettement plus difficile la ratification d’un ALENA renégocié.

Il y a encore de nombreux points litigieux à aborder dans les renégociations. Le tableau ci-dessous présente quelques-uns des grands dossiers ouverts qui feront l’objet de renégociations, et l’information rendue publique au sujet des positions des parties.

Tableau 1 : Résumé des principaux points en suspens dans les renégociations de l’ALENA

Sujet

Situation actuelle

Proposition initiale des États-Unis

Contre-proposition du Canada ou du Mexique

Règles d’origine dans le secteur automobile

De 60 à 62,5 % du contenu en provenance des partenaires de l’ALENA

85 % du contenu en provenance des partenaires de l’ALENA et 50 % de contenu américain pour les véhicules (les exigences relatives au contenu américain peuvent être remplacées par des exigences fondées sur le salaire)

Renforcement des exigences relatives au contenu en provenance des partenaires de l’ALENA, et élargissement des définitions du contenu pour inclure les dépenses de recherche et développement.

Règlement des différends entre investisseurs et États

Ce mécanisme s’applique aux investisseurs de toutes les parties, conformément aux dispositions du chapitre 11.

Permet aux États de se prévaloir d’un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS, en anglais) de façon que seuls les États qui ont choisi d’y adhérer puissent faire l’objet de notifications entre investisseurs et États. 

Ce mécanisme n’est offert qu’aux investisseurs d’États qui ont choisi d’y adhérer. Si les États-Unis renoncent au mécanisme de règlement, ce pays ne pourrait pas être répondant, mais les personnes des États-Unis ne pourraient pas non plus recourir à l’ISDS contre les autres parties.

Résolution de différends commerciaux entre États

S’applique à toutes les parties, conformément aux dispositions du chapitre 19.

Supprimer le chapitre 19.

Conserver le chapitre 19.

« Disposition de temporisation »

Aucune disposition de temporisation ni révision périodique n’est en place.

L’ALENA expirera dans cinq ans à moins que son renouvellement ne soit convenu par les parties.

Révision de l’Accord tous les cinq ans, et propositions relatives aux modalités régissant son éventuelle mise à jour.

Marchés publics

Aucune restriction fondée sur la valeur réciproque.

Limiter la valeur des marchés à la valeur monétaire réciproque des marchés que les entreprises des États-Unis obtiennent des autres parties.

Ne pas limiter la valeur des marchés publics que peuvent passer les entreprises de l’un ou l’autre des trois pays (le Mexique a proposé d’imposer aux entreprises américaines une limite quant au montant des marchés passés par le gouvernement des États-Unis avec des entreprises mexicaines si la proposition des États-Unis est mise en œuvre).

 

Les points indiqués au tableau 1 font partie des enjeux les plus difficiles à négocier, mais même une fois qu’ils auront été réglés, les dispositions de nombreux chapitres de l’Accord nécessiteront des pourparlers substantiels. Compte tenu du volume des travaux en suspens et des événements politiques prévus à court terme, il semble improbable qu’un ALENA renégocié soit ratifié cette année. L’administration des États-Unis étant de plus en plus impatiente et le Canada et le Mexique ayant fait peu de concessions importantes, les chances que les renégociations aboutissent à un accord trilatéral à brève échéance sont apparemment minces.  

Le processus de renégociation de l’ALENA se poursuivra vraisemblablement jusqu’en 2019 et une grande incertitude régnera dans les milieux d’affaires nord-américains d’ici à la conclusion d’une entente définitive et à l’imposition de tarifs douaniers et de contre-mesures. Comme nous l’avons noté précédemment, il est essentiel que les entreprises revoient les stratégies d’affaires qu’elles ont adoptées dans un contexte où un tel niveau de risque politique en Amérique du Nord était inconcevable.

 


 

[1] Andrew Mayeda, Ryan Beene et Jenny Leonard, « Trump said to risk global confusion with threat to hit allies with auto tariffs », Financial Post, 24 mai 2018.

[2] Josh Dawsey, Philip Rucker et Ashley Parker, « Trump complains about traveling to Canada ahead of Singapore summit with Kim », Washington Post, 6 juin 2018.