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L’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) entre en vigueur et Biden est déclaré président élu : s’agit-il d’un retour au calme dans les échanges commerciaux entre les États-Unis et le Canada?

Auteur(s) : Alan Kenigsberg

Le 8 décembre 2020

Après une année 2019 mouvementée, le commerce mondial a connu une autre année difficile en 2020 avec la pandémie de COVID-19 et la poursuite des mesures commerciales agressives adoptées par les États-Unis.

Le changement le plus important dans les relations commerciales du Canada avec le reste du monde s’est produit près de chez nous avec la mise en œuvre de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) qui a succédé à l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Toutefois, la stabilité que beaucoup espéraient que l’ACEUM allait apporter au commerce entre le Canada et les États-Unis a été de courte durée. Quelques mois seulement après l’entrée en vigueur de l’ACEUM, l’administration Trump a imposé des droits tarifaires sur certains produits canadiens en aluminium en raison d’une prétendue augmentation soudaine des importations, ce à quoi le Canada a répondu en annonçant des contre-mesures potentielles en guise de représailles. Bien que les États-Unis aient finalement suspendu les droits tarifaires avant l’application des contre-mesures canadiennes, il subsiste un certain risque que ces tarifs soient remis en vigueur à la suite des élections américaines (quoique l’élection de Joe Biden devrait réduire sensiblement ce risque). Tout cela s’étant produit parallèlement à une pandémie mondiale qui a perturbé les chaînes d’approvisionnement et introduit de nouvelles attitudes « protectionnistes », 2020 s’est révélée être une année mouvementée en matière de commerce transfrontalier.

Mise en œuvre de l’ACEUM

Le 1er juillet 2020, environ deux ans et demi après que l’administration Trump ait lancé la renégociation de l’ALENA, l’ACEUM est entré en vigueur, introduisant plusieurs changements importants. Nous avons précédemment passé en revue quelques-uns de ces changements (ainsi que ce qui n’a pas changé) dans notre bulletin sur le commerce international, en soulignant certaines des dispositions importantes suivantes :

  • Les modifications substantielles aux règles d’origine pour l’industrie automobile, y compris une nouvelle exigence de contenu spécifique selon laquelle une certaine partie de la valeur du véhicule doit provenir de pièces produites dans des usines où le salaire horaire moyen des travailleurs est d’au moins 16 $ US;
  • Les contingents tarifaires qui permettent aux États-Unis de faire entrer au Canada leurs produits laitiers en franchise de droits pour des volumes équivalant à environ 3,5 % du marché canadien des produits laitiers; 
  • L’exclusion du Canada des chapitres sur le règlement de différends entre un investisseur et un État et sur les marchés publics, ce qui signifie que les investisseurs canadiens aux États-Unis et au Mexique et les investisseurs américains et mexicains au Canada ne peuvent tirer avantage des dispositions de ces chapitres. Cette modification n’affecte toutefois pas la capacité du gouvernement canadien à intenter une action contre un État.  

Un développement qui a fait peu de bruit pourrait présenter une occasion pour les détaillants américains, à savoir, les modifications des seuils de minimis pour l’importation de marchandises au Canada. Il s’agit du seuil au-delà duquel les importateurs sont tenus de payer des taxes ou des droits de douane sur les marchandises importées. Avant la mise en place de l’ACEUM, le seuil canadien était assez bas, les taxes et les droits de douane s’appliquant à tous les biens d’une valeur supérieure à 20 dollars. Toutefois, dans le cadre des négociations entourant l’accord, le Canada a accepté de relever considérablement ce seuil. En ce qui concerne les biens importés des États-Unis et du Mexique, des taxes sont appliquées lorsque la valeur dépasse 40 dollars et des droits de douane sont perçus lorsque la valeur dépasse 150 dollars. Les marchandises importées d’autres pays sont toujours assujetties au seuil de 20 dollars. Il s’agit d’une augmentation relativement importante, quoique moins élevée que ce que demandait le gouvernement américain. Étant donné qu’un nombre croissant des consommateurs canadiens achètent leurs marchandises en ligne, ce changement pourrait être avantageux pour les entreprises de commerce électronique qui remplissent des commandes à partir des États-Unis ou du Mexique, ce qui leur permettrait de réduire le coût de leurs produits pour les acheteurs canadiens et d’augmenter ainsi leurs ventes transfrontalières. 

Droits tarifaires imposés par les États-Unis sur l’aluminium canadien

Un autre développement majeur dans le commerce entre les États-Unis et le Canada a été la mise en place par l’administration Trump en août de droits tarifaires sur certaines exportations canadiennes d’aluminium vers les États-Unis. Ces droits ont ensuite été unilatéralement suspendus quelques heures avant que le gouvernement canadien ne mette officiellement en œuvre les contre-mesures qu’il avait annoncées. Les États-Unis, lorsqu’ils ont annoncé ces tarifs, alléguaient que les exportations canadiennes de ces produits avaient bondi à des niveaux record, ce qui, comme le prévoyait la Déclaration conjointe signée par les États-Unis et le Canada en mai 2019 à l’issue d’un différend d’une durée d’un an sur l’acier et l’aluminium, justifiait l’imposition de tarifs spéciaux.   

Bien que le gouvernement américain ait cessé d’appliquer les tarifs en septembre, le Bureau du représentant américain au Commerce (United States Trade Representative, ou USTR) a indiqué qu’ils pourraient être appliqués de nouveau si les importations mensuelles de ces produits en aluminium canadiens étaient supérieures aux volumes prévus par l’USTR pour le mois en question. Comme nous l’avons indiqué dans notre bulletin sur le commerce international à propos de ce développement, il est très probable que les importations américaines de ces produits en provenance du Canada dépasseront les estimations de l’USTR. Au moment d’écrire ces lignes, il n’est pas certain que les États-Unis remettront ces tarifs en vigueur. Comme nous le verrons plus loin, avec la déclaration de Joe Biden en tant que président élu, nous pensons que les États-Unis sont moins susceptibles de le faire. Néanmoins, un certain risque demeure, car la porte reste ouverte pour une remise en vigueur de ces tarifs. Si les États-Unis appliquent de nouveau ce tarif, on peut s’attendre à ce que le Canada réplique au moyen de contre-mesures, ce qui pourrait avoir des répercussions pour les entreprises canadiennes qui importent de l’aluminium ou des produits contenant de l’aluminium des États-Unis. 

Conséquences des élections américaines et de la COVID-19

Cette année, la pandémie de COVID-19 et les conséquences des élections américaines ont jeté beaucoup d’ombre sur le commerce mondial. 

La pandémie de COVID-19 a mis à rude épreuve le commerce international et les chaînes d’approvisionnement, obligeant les entreprises à s’adapter rapidement à l’évolution de la situation au fur et à mesure que la pandémie se propageait à travers la planète. Elle a également mis en lumière les chaînes d’approvisionnement mondiales qui donnent accès à un grand nombre des biens nécessaires à la lutte contre la pandémie. L’appel lancé par l’administration Trump à la société 3M pour empêcher l’exportation de masques N95 fabriqués aux États-Unis vers le Canada (en anglais), exigence que les États-Unis ont fini par abandonner, a suscité une vive inquiétude au Canada. Cela a encouragé le gouvernement canadien à trouver et à soutenir les producteurs nationaux potentiels de produits essentiels, comme des masques et des ventilateurs. Il est probable que le gouvernement canadien, à l’instar d’autres gouvernements dans le monde, surveille ses stocks de produits essentiels, d’équipements de protection individuelle et d’autres fournitures médicales. Il soupèse sans aucun doute la nécessité d’un soutien national plus important pour garantir que les restrictions à l’exportation imposées par les gouvernements étrangers n’affectent pas la capacité du Canada à répondre aux crises sanitaires mondiales, notamment la pandémie de COVID-19 en cours.  

Étant donné les mesures énergiques prises par l’administration Trump en matière de commerce international dans le cadre de la campagne visant à réduire le déficit commercial américain et à rapatrier aux États-Unis certains emplois manufacturiers perdus, le résultat de l’élection présidentielle américaine pourrait également avoir une incidence sur l’état du commerce mondial à l’avenir. Biden a indiqué qu’il ne maintiendrait pas l’imposition de tarifs basés sur des raisons de sécurité nationale qui ont été la marque de l’administration Trump et le fondement des tarifs sur l’acier et l’aluminium qui ont été appliqués aux exportations canadiennes (y compris celles mentionnées ci-dessus). 

Biden a également indiqué précédemment qu’il serait disposé à rejoindre l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (sous réserve de sa renégociation), ce qui pourrait modifier le cadre commercial canado-américain qui repose actuellement en grande partie sur l’ACEUM. Entre autres choses, une telle démarche pourrait réintroduire le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États et des obligations renforcées en matière de marchés publics. 

Biden a également exprimé précédemment son opposition au projet du pipeline Keystone XL et pourrait révoquer l’autorisation présidentielle délivrée par le président Trump pour ce projet, compromettant ainsi son achèvement. 

En ce qui concerne la Chine, Biden semble plus enclin à travailler avec ses alliés traditionnels pour cibler collectivement toute pratique commerciale abusive de la part de la Chine, par opposition aux mesures plus unilatérales que l’administration Trump a privilégiées.

Bien qu’il ne soit pas du tout certain qu’un changement de gouvernement améliorerait sensiblement les liens commerciaux, une investiture de Joe Biden en tant que président pourrait marquer le retour à des relations commerciales plus stables entre le Canada et son principal partenaire commercial. Une administration Biden serait toutefois toujours susceptible d’examiner de près les cadres internationaux qui régissent le commerce mondial et de faire pression en faveur de changements là où elle estime que les Américains sont injustement désavantagés, notamment par rapport à la Chine. Compte tenu de notre exposition au marché américain, il ne fait guère de doute que ces mesures auront une incidence sur les entreprises canadiennes.