Passer au contenu

Les entrepreneurs canadiens doivent-ils se constituer en société aux États-Unis?

Auteur(s) : André Perey

Le 22 janvier 2020

Les entrepreneurs canadiens se tournent souvent vers les États-Unis en ce qui concerne les perspectives financières futures de leurs entreprises en démarrage, principalement au moyen de financement pour le développement de la part d’investisseurs providentiels et de sociétés de capital-risque ou d’un accord de sortie de transformation avec un acquéreur plus important. Cette réalité fait monter les enjeux à l’égard d’une décision initiale clé pour une société sur la question de l’endroit où la démarrer et peut amener les entrepreneurs canadiens à se demander s’il est préférable de constituer leur société aux États-Unis.

D’une part, neuf des dix plus importants financements canadiens de capital de risque en 2018 comprenaient des investissements directs d’un ou de plusieurs investisseurs en capital de risque américains, ce qui indique que le territoire de constitution en société n’entrave pas le flux de capitaux vers le nord. Le Canada offre également des avantages personnels et fiscaux attrayants aux entreprises technologiques canadiennes en démarrage et à leurs actionnaires résidents, dont les plus appréciables sont des crédits d’impôt remboursables pour des activités de recherche et de développement qui peuvent être essentielles pour une société dans les premières étapes de son développement.

D’autre part, les fondateurs et les investisseurs de la phase de démarrage craignent parfois que la constitution en société au Canada entraîne une perception négative sur le marché américain et que les questions fiscales limitent les possibilités de financements ou de sorties transfrontaliers futurs. Même si un fondateur est convaincu qu’une certaine structure fonctionne d’une manière efficace aujourd’hui sur le plan fiscal, les règles peuvent changer (et c’est bien souvent le cas), rendant une structure établie inefficace ou peu performante.

Bien qu’une opération potentielle freinée par une constitution en société initiale au Canada puisse généralement être surmontée – par exemple en créant une filiale américaine, en établissant des sociétés sœurs des deux côtés de la frontière ou en mettant en œuvre une structure d’actions échangeables – les solutions disponibles peuvent être considérées par les fondateurs et les actionnaires canadiens, ainsi que par les investisseurs et les acquéreurs américains, comme étant trop complexes et coûteuses à mettre en œuvre, ou trop susceptibles de causer une distraction ou un détournement de l’attention non désiré. La question finale qui se pose est la suivante : les avantages fiscaux généreux, mais probablement à court terme, que le gouvernement canadien offre priveront-ils par la suite la capacité d’une entreprise en démarrage de financer sa croissance future à plus long terme?

Nous discutons des avantages et des inconvénients potentiels de ces choix. Est-il jamais dans l’intérêt d’un fondateur de renoncer à de l’« argent donné » sous forme de crédits d’impôt remboursables au Canada dans l’espoir de faciliter un accès plus aisé aux marchés des capitaux et de sortie des États-Unis? Le régime fiscal canadien à l’égard des entreprises technologiques en démarrage est-il trop tentant pour passer à côté?

Avantages

SPCC

La constitution en société au Canada a pour principal avantage les avantages offerts par le gouvernement canadien aux sociétés privées sous contrôle canadien (SPCC) à l’égard des activités de recherche scientifique et de développement expérimental (RS&DE). Aux termes du programme fédéral canadien de RS&DE, les SPCC sont admissibles à recevoir des crédits d’impôt remboursables au taux de 35 % à l’égard des dépenses de RS&DE admissibles, jusqu’à concurrence d’une limite de dépenses de 3 M$ CA. Dans certaines circonstances, les dépenses de RS&DE admissibles peuvent être plus élevées que le montant réellement engagé aux fins du crédit d’impôt. Par exemple, une dépense admissible de 100 $ CA pourrait être considérée comme une dépense admissible de 155 $ CA aux fins du crédit d’impôt fédéral, ce qui permettrait à la société de bénéficier d’un crédit d’environ 55 $ CA (ou 35 % de 155 $ CA). Lorsque les crédits d’impôt remboursables dépassent les impôts payables pour l’année, une SPCC admissible a droit à un remboursement en espèces du gouvernement canadien. Par conséquent, le coût des activités de RS&DE au Canada pourrait être considérablement réduit par les incitatifs de crédit d’impôt de RS&DE.

Les questions préliminaires essentielles pour tout fondateur consistent alors à savoir si la société est une SPCC et si elle admissible au crédit de RS&DE? 

Une SPCC est une société constituée au Canada au palier provincial ou fédéral qui n’est pas « contrôlée » (en droit ou en fait) par un ou plusieurs non-résidents du Canada ou des sociétés ouvertes. En pratique, et en l’absence de circonstances atténuantes, les entreprises technologiques en démarrage dont la majorité des fondateurs résident au Canada auront le statut de SPCC.

Les dépenses de RS&DE admissibles comprennent les coûts de recherche fondamentale et appliquée et de développement expérimental pour l’avancement technologique dans le but de créer de nouveaux matériaux, dispositifs, produits ou procédés ou d’améliorer ceux qui existent déjà. Pour les sociétés admissibles ayant un faible montant de revenus et des dépenses de recherche et de développement, ces avantages peuvent contribuer de manière significative à la viabilité d’une société, particulièrement à ses débuts.

En examinant la valeur de cet avantage, les fondateurs et les investisseurs doivent être conscients du fait que la croissance de la société peut nuire à la disponibilité du crédit pour la RS&DE. Généralement, un revenu imposable supérieur à 500 000 $ CA et un capital imposable supérieur à 10 M$ CA au cours d’une année antérieure peuvent commencer à réduire la disponibilité des crédits de RS&DE améliorés et remboursables dont dispose une société.

Les autres avantages à la qualification en tant que SPCC sont les suivants :

  • Des taux d’imposition des sociétés inférieurs sur les premiers 500 000 $ CA de revenus tirés d’une entreprise exploitée activement.
  • Un traitement fiscal avantageux pour les actionnaires résidents canadiens sur la vente d’actions de certaines SPCC, y compris (i) une exonération ponctuelle des gains en capital (883 384 $ CA pour 2020) et (ii) le report des gains en capital réalisés si le produit de la vente est réinvesti dans une autre SPCC. Dans chaque cas, certaines conditions doivent être satisfaites.
  • Un traitement fiscal avantageux pour certains employés canadiens sans lien de dépendance à l’égard de l’exercice d’options, y compris (i) un report d’impôt jusqu’à ce que l’employé dispose des actions sous-jacentes (contrairement aux options des sociétés qui ne sont pas des SPCC où l’avantage imposable est réalisé au moment de l’exercice), et (ii) une déduction représentant 50 % de l’avantage tiré des options sur la vente des actions sous-jacentes (même si les options n’ont pas été accordées à la juste valeur marchande), à condition que l’employé ait détenu les actions pendant au moins deux ans à compter de la date d’exercice (contrairement aux options des sociétés qui ne sont pas des SPCC qui seraient uniquement admissibles à la déduction de 50 % lorsque les options ont été attribuées avec un prix d’exercice à la juste valeur marchande).

En raison de ces avantages, l’admissibilité des SPCC pourrait bien être le facteur déterminant quant au lieu d’établissement de la société. En fait, les investisseurs américains qui sont conscients de ces avantages peuvent s’attendre à ce que les entreprises technologiques canadiennes en démarrage dans lesquelles ils investissent profitent de l’admissibilité en tant que SPCC et la conservent le plus longtemps possible. De plus, lorsque des fondateurs résidents canadiens ont pris la décision initiale de constituer leur société aux États-Unis, mais qu’ils se rendent compte qu’un grand nombre de leurs activités de R&D seraient « admissibles en tant que RS&DE », il n’est pas rare que ces sociétés envisagent des options de réorganisation dans une structure établie au Canada; ces réorganisations transfrontalières impliquent toutefois des coûts et une complexité supplémentaires, comme on le verra plus loin.

Investissements étrangers

L’efficacité fiscale des investissements au Canada est devenue d’autant plus importante depuis que les barrières fiscales autrefois imposées aux investisseurs non résidents ont été retirées. Auparavant, les investisseurs américains faisaient l’objet d’obstacles importants à la cession d’un investissement transfrontalier en raison du régime fiscal canadien, principalement sous la forme des exigences de demande et d’obtention de certificats de décharge auprès des autorités fiscales canadiennes, faute de quoi des exigences de retenue importantes seraient imposées aux acheteurs. Ces barrières faisaient en sorte que la plupart des investissements étrangers (i) se faisaient au moyen de territoires favorables sur le plan fiscal ou de pays qui avaient conclu des conventions fiscales avec le Canada pour faciliter l’obtention des certificats de décharge fiscale ou (ii) exigeaient que la cible canadienne mette en place une structure d’échange d’actions (voir ci-dessous) ou se réorganise en tant que société américaine. L’élimination de ces barrières, qui a été provoquée en grande partie par des efforts de sensibilisation des investisseurs américains, a rendu beaucoup plus facile pour les entreprises canadiennes en démarrage d’attirer des capitaux américains. Cela a permis aux fondateurs de se concentrer sur l’admissibilité des SPCC comme étant le principal facteur déterminant à l’égard de l’endroit où constituer une société.

Documents de la NVCA

La pratique a évolué au cours des dix dernières années, de sorte que les entreprises émergentes au Canada mettent maintenant couramment en place des documents analogues à ceux de la National Venture Capital Association (NVCA) que les investisseurs américains connaissent bien, mais qui ont été modifiés pour répondre aux exigences des territoires de compétence au Canada. Ce changement a effectivement éliminé une distinction juridique qui avait donné à certains investisseurs américains une pause lorsqu’ils envisageaient d’investir dans des entreprises canadiennes en démarrage.

À titre de référence, les lois sur les sociétés dans la plupart des territoires de compétence canadiens, et certainement au niveau fédéral et en Ontario, sont des lois sur les sociétés « modernes » qui reflètent les principes du droit des sociétés du Delaware. Néanmoins, il existe certaines différences, comme la portée des obligations fiduciaires du conseil d’administration, les changements qui déclenchent les votes par catégorie d’actions, les exigences en matière de consentement des actionnaires et la disponibilité de redressements pour abus qui continuent de distinguer les territoires de compétence. Les documents canadiens analogues à ceux de la NVCA sont conçus pour harmoniser les différences entre le droit canadien des sociétés et le droit des sociétés du Delaware au moyen d’une entente contractuelle. Par exemple, de nombreuses entreprises technologiques canadiennes prévoiront un consentement unanime des actionnaires à l’égard des instruments écrits et énuméreront certains changements déclenchant des votes par catégorie d’actions. Ils traitent également des considérations fiscales américaines qui découlent de la propriété d’une société étrangère (p. ex., les règles relatives aux SPEP et aux SEC). Les investisseurs américains connaissent et comprennent ces documents, ce qui accroît la confiance et rationalise les processus lorsqu’ils recherchent des investissements potentiels au Canada.

Inconvénients

Compte tenu des avantages intéressants à l’égard des SPCC, qu’est-ce qui pourrait inciter un fondateur prévoyant ou peu enclin à prendre des risques à envisager de constituer sa société aux États-Unis?

Régime de retenue incertain?

Tout d’abord, tout investissement transfrontalier est intrinsèquement complexe et comporte certains risques. C’est parce que tout investisseur ou acquéreur d’une entreprise étrangère doit d’abord se poser la question qui suit : « puis-je récupérer mon investissement d’une manière efficace sur le plan fiscal? » Par exemple, cet investisseur sera-t-il en mesure de recevoir des dividendes ou des distributions de son investissement sans d’importantes exigences en matière de retenue? Un acquéreur non américain sera-t-il en mesure d’intégrer avec succès les flux de trésorerie et de gérer efficacement la cible dans sa structure existante? Les entités sont-elles en mesure de partager la propriété intellectuelle et d’autres commodités de part et d’autre de la frontière? Si la valeur créée par l’investissement ou l’acquisition ne peut pas être retirée du territoire d’origine de la société cible d’une manière significative, l’opération peut ne pas valoir la peine d’être effectuée. Ce risque est amplifié par le fait que la plupart des obstacles fiscaux potentiels s’appliquent lorsque la partie étrangère se retire de l’investissement (p. ex., à la vente des actions), plutôt qu’au moment où l’investissement est effectué. Cela signifie que la société et les investisseurs doivent avoir confiance dans le futur régime fiscal entre les territoires de compétence concernés.

Le Canada et les États-Unis n’échappent pas à cette règle. Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, avant 2010, certaines barrières ont été imposées aux investisseurs étrangers d’entreprises canadiennes, ce qui a amené de nombreux investisseurs à investir pas le truchement d’autres territoires, ou à ne pas investir du tout. Bien que ces barrières aient été depuis éliminées, rien ne garantit que le régime plus efficace sur le plan fiscal sera permanent ou que des règles tout aussi efficaces resteront en place. Par exemple, la réforme fiscale aux États-Unis (qui a eu lieu à la fin de 2017) a introduit beaucoup d’incertitude sur le marché du capital de risque et du capital-investissement privé américain dans des sociétés de portefeuille non américaines lorsque, dans le cadre de cette refonte, le gouvernement américain a introduit le nouveau régime fiscal du revenu mondial à faible taux d’imposition tiré de biens incorporels (GILTI). Les règles du GILTI, comme elles ont adoptées dans le Internal Revenue Code, auraient eu une incidence défavorable importante et perturbatrice sur le traitement fiscal américain des investissements étrangers par certains investisseurs américains en accélérant effectivement l’imposition des revenus étrangers et en créant ainsi une forme nouvelle et omniprésente de revenu « fictif ». Heureusement, la portée des règles du GILTI a considérablement été réduite par le règlement du département du Trésor des États-Unis publié en juin 2019. À part cette restriction réglementaire largement imprévue imposée à l’égard des règles du GILTI, le régime du GILTI aurait toutefois créé des problèmes importants pour les investisseurs américains dans des sociétés étrangères, et les entreprises canadiennes en démarrage auraient certainement ressenti cet effet. Ainsi, bien que les régimes fiscaux actuels appuient l’investissement étranger dans les sociétés canadiennes, ces considérations fiscales récentes démontrent qu’il est possible que ce ne soit pas le cas à l’avenir.

Absence de traitement à imposition différée

Pour les fondateurs visionnaires, une autre considération est celle des questions fiscales qui peuvent être soulevées lorsqu’une société canadienne est acquise par une société étrangère. Cette question est surtout pertinente lorsqu’un acquéreur veut acquitter une partie (ou dans certains cas la totalité) du prix d’achat avec ses propres actions – une structure d’acquisition habituelle pour les entreprises technologiques. Au Canada, les actionnaires d’une société cible ont le droit de différer les impôts dus sur les actions de contrepartie dans le cadre d’une opération d’échange d’actions jusqu’à ce que ces actions aient été vendues. Ce traitement à imposition différée n’est toutefois pas possible lorsque les actions d’une cible canadienne sont échangées contre des actions d’une société étrangère.

Cela signifie que dans le cas d’une opération d’échange d’actions transfrontalière, les actionnaires canadiens peuvent hériter d’une facture fiscale sans avoir reçu d’espèces pour la payer. Cette situation peut s’avérer particulièrement problématique pour les résidents canadiens qui ont réalisé des gains importants sur leurs actions. Par ailleurs, face aux objections des actionnaires canadiens à ce qui est effectivement un prix net par action plus bas, l’acquéreur pourrait ne pas être en mesure d’utiliser ses fonds propres pour tout ou partie du prix d’achat, ce qui pourrait limiter la sphère des acheteurs potentiels à ceux qui peuvent payer en espèces.

Ce risque pour le groupe d’acheteurs amène les fondateurs et les investisseurs à considérer l’incidence à long terme sur l’endroit de la constitution d’une société. Pour éviter le risque de nuire à une opération de sortie avec un acheteur américain offrant des actions en contrepartie ou de ne pas avoir d’accord du tout en raison d’un groupe d’acheteurs restreint, un fondateur peut envisager de créer une entité américaine.

Une structure d’actions échangeables est-elle la solution (et, soit dit en passant, de quoi s’agit-il)?

Une chose à garder à l’esprit lorsque l’on considère le risque de sortie mentionné ci-dessus (c.-à-d. le risque que la base d’actionnaires canadiens d’une entreprise en démarrage s’oppose à une opération de sortie d’échange d’actions impliquant les actions américaines d’un acheteur en raison de l’absence de traitement à imposition différée) est la complexité de la « solution » habituelle à ce risque. Dans ce qu’on appelle souvent une structure d’« actions échangeables », l’acquéreur américain établira une société canadienne et autorisera l’émission d’une catégorie d’« actions échangeables » en contrepartie à l’égard des détenteurs canadiens des actions visées. Les actions échangeables sont censées reproduire autant que possible les droits des actions de l’acquéreur américain, y compris le droit de recevoir des dividendes du même montant déclaré sur les actions de l’acquéreur, le droit de recevoir des actions de l’acquéreur à l’égard de certaines opérations de liquidités et le droit d’échanger les actions canadiennes contre des actions de l’acquéreur sur demande.

Bien qu’il s’agisse d’une solution efficace et assez couramment utilisée dans le cadre d’une opération qui, autrement, n’aboutirait pas à un traitement à imposition différée pour les actionnaires qui sont des résidents canadiens, sa mise en œuvre est complexe et coûteuse. De plus, le manque de compréhension de ces structures par les sociétés concernées, ainsi que par leurs actionnaires et conseillers, peut entraîner de la confusion pendant et après l’acquisition. Cela se produit généralement lorsque les actionnaires tentent de vendre ou d’exercer d’autres droits à l’égard de leurs actions échangeables. Malheureusement, cette situation signifie que la solution habituelle n’est pas toujours une solution efficace.

Autres questions

Enfin, une société peut vouloir tenir compte d’autres facteurs, comme les subventions gouvernementales qui ne sont offertes qu’aux sociétés constituées aux États-Unis (p. ex., les programmes de recherche sur l’innovation dans les petites entreprises et de transfert de technologie pour les petites entreprises offerts par le gouvernement fédéral des États-Unis), l’emplacement de ses employés, clients et fournisseurs et si la société a l’intention d’un jour déménager ses activités aux États-Unis. Bien que chacun de ces éléments n’ait pas suffisamment de poids pour renoncer aux avantages fiscaux offerts aux SPCC, particulièrement à l’étape de la constitution en société, il s’agit de considérations valables au départ étant donné la difficulté, ou dans certains cas l’impossibilité, de modifier le territoire d’une société en cours de route.

Structure de rechange d’entreprise en démarrage

Une autre option, qui peut être plus appropriée lorsque l’entreprise en démarrage est susceptible d’avoir des dépenses admissibles de RS&DE, mais peut ne pas être ou demeurer contrôlée par des Canadiens, consiste à mettre en œuvre ce que l’on appelle une « structure de RS&DE ».

Une structure de RS&DE est utilisée lorsque les activités d’une entreprise sont menées à partir des États-Unis, mais que les activités de recherche et de développement sont menées à partir du Canada par une société qui remplit les critères d’une SPCC. Diverses considérations entre les parties intéressées doivent faire l’objet d’un examen minutieux dans ces arrangements, notamment la mise en place des protections requises à l’égard de l’entreprise et du commerce.

Dans les circonstances appropriées, ce type de double arrangement peut permettre aux investisseurs d’une entreprise américaine en démarrage de tirer profit des incitatifs favorables à la RS&DE du Canada. Toutefois, la mise en œuvre et l’administration de ces structures sont complexes et coûteuses (p. ex., la consultation de conseillers juridiques et fiscaux est essentielle), ce qui signifie, dans certains cas, qu’elles peuvent ne pas constituer une option viable pour une entreprise en démarrage n’ayant pas de ressources importantes.

La migration d’entreprise de l’autre côté de la frontière canado-américaine par continuation peut être compliquée (et coûteuse)

Une entité qui souhaite migrer de l’autre côté de la frontière peut donner effet à ce changement par une restructuration d’entreprise ou par l’option d’un transfert de son territoire (connue sous le nom de « continuation » en vertu de la loi du Delaware) du Canada aux États-Unis (ou vice versa). Les fondateurs doivent toutefois garder à l’esprit qu’une continuation peut avoir des conséquences fiscales importantes au Canada et aux États-Unis. Plus précisément, aux fins fiscales canadiennes, la société qui poursuit ses activités du Canada aux États-Unis sera réputée avoir cédé la totalité de ses biens à leur juste valeur marchande et devra payer l’impôt sur le revenu sur la partie de son revenu et de son gain en capital qui est réputée avoir été réalisée là-bas. De plus, la société doit payer des impôts de succursale équivalant à 25 % de l’excédent de la juste valeur marchande de ses actifs par rapport au total du capital versé de ses actions et de ses dettes. Les actionnaires américains de la société canadienne qui migre peuvent également être assujettis à l’imposition actuelle des États-Unis relativement à la continuation (ce qui est particulièrement peu attrayant étant donné qu’il n’y a souvent pas de liquidités dans le cadre d’une opération de continuation). 

Dans l’autre sens, lorsqu’une société américaine entreprend une continuation aux termes d’une loi sur les sociétés à l’extérieur des États-Unis et au Canada, une question de seuil importante concerne la question de savoir si cette migration accomplira un effet fiscal aux États-Unis. En particulier, les règles anti-inversion des États-Unis sont conçues en ayant pour objectif particulier d’empêcher l’expatriation des entreprises à l’extérieur des États-Unis. Lorsqu’elles sont applicables, ces règles peuvent traiter la société assurant la continuation comme si elle demeurait une société américaine aux fins de l’impôt fédéral américain sur le revenu (même si, sur le plan du droit des sociétés, l’entité qui change de territoire est une société canadienne). Les règles anti-inversion sont notoirement complexes et, en guise de résumé, il est très difficile pour une société américaine de réussir à s’expatrier dans un territoire non américain à moins que la société ait des « activités commerciales substantielles » (c.-à-d. des revenus substantiels, des actifs et des employés) dans le nouveau territoire étranger. Si la société américaine qui s’expatrie au Canada est victime des règles anti-inversion des États-Unis, elle sera dans la situation peu enviable d’être traitée en même temps comme une société contribuable américaine assujettie à l’impôt américain et une société contribuable canadienne assujettie à l’impôt canadien. Pour certaines sociétés, ce double statut peut être géré, mais pour beaucoup d’autres, ce n’est pas le cas.

Même si la société américaine qui s’expatrie est en mesure d’éviter l’application des règles anti-inversion, la continuation elle-même peut entraîner une lourde charge fiscale aux États-Unis. En particulier, la continuation a) est susceptible de déclencher l’impôt sur le revenu des sociétés à l’égard de la société américaine (c.-à-d. que la société américaine assurant la continuation serait assujettie à l’impôt fédéral sur le revenu des États-Unis, actuellement au taux de 21 %, sur le gain accumulé [le cas échéant] de ses actifs au moment de la continuation), et b) est généralement imposable à l’égard des actionnaires américains de la société assurant la continuation s’ils ont un gain accumulé dans leurs actions de la société américaine au moment de la continuation. Dans certains cas, ces questions peuvent être gérées au moyen de la structuration ou autrement, mais le processus de détermination et de traitement systématique des questions fiscales pertinentes peut faire de la migration une affaire compliquée (et coûteuse).

Conclusion

Pour les entreprises canadiennes en démarrage qui envisagent des dépenses de recherche et de développement, particulièrement au cours de leurs premières années d’existence, la constitution en société au Canada pour tirer parti des avantages fiscaux offerts par le gouvernement canadien est très logique.

Ou, si un entrepreneur doté de ressources suffisantes à l’égard des frais juridiques prévoit à la fois exercer ses activités aux États-Unis et être admissible au statut de SPCC, il peut être utile d’envisager d’autres arrangements qui peuvent encore préserver certains avantages du programme de RS&DE au Canada.

D’autre part, même si les régimes fiscaux au Canada et aux États-Unis ont soutenu l’investissement transfrontalier au cours de la dernière décennie, un entrepreneur qui prévoit être acquis par une société américaine, particulièrement à court terme, peut choisir une autre voie. Il peut choisir de renoncer aux incitatifs fiscaux initiaux potentiels à l’égard des crédits de RS&DE offerts par le gouvernement canadien et de procéder en constituant une société aux États-Unis dans le but d’assurer la plus vaste sphère d’acheteurs potentiels et d’éliminer le besoin possible de s’appuyer sur des mécanismes de sortie complexes, comme des structures d’actions échangeables, qui pourraient nuire à une opération de sortie autrement simple.

La constitution en société au Canada est une option viable et souvent intéressante, mais il n’existe pas de solution unique. Il est donc conseillé aux fondateurs avertis d’examiner la question afin de pouvoir prendre une décision éclairée.