Passer au contenu

La décision United Mexican States v. Burr réaffirme la réticence des tribunaux canadiens à annuler les décisions des tribunaux internationaux

Auteur(s) : Alan Kenigsberg, Malcolm Aboud, Chelsea Rubin

Le 16 février 2021

Dans notre dernier bulletin sur le commerce international, nous nous sommes penchés sur ce à quoi les parties engagées dans le commerce entre le Canada et le Royaume-Uni doivent s’attendre maintenant que le Brexit est officiellement entré en vigueur. Dans ce bulletin sur le commerce international, nous examinons les répercussions de la décision United Mexican States v. Burr, 2020 ONSC 2376, dans laquelle la Cour supérieure de justice de l’Ontario a récemment refusé une fois de plus d’annuler la décision d’un tribunal international. 

Les tribunaux canadiens ont toujours été réticents à annuler les décisions des tribunaux internationaux, y compris ceux constitués en vertu des accords commerciaux bilatéraux et multilatéraux du Canada. Les décisions récentes montrent que cette tendance est peu susceptible de changer. La Cour supérieure de justice de l’Ontario a une fois de plus, dans le cadre d’un appel d’une décision rendue par un tribunal international, refusé d’annuler le jugement. Dans la décision United Mexican States v. Burr, 2020 ONSC 2376, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a maintenu la décision d’un tribunal arbitral constitué dans le cadre de l’ALENA selon laquelle il était compétent pour entendre un litige intenté en vertu du chapitre 11 contre le Mexique par des ressortissants américains, des entreprises américaines et des entreprises mexicaines. Ce faisant, la cour a rejeté les arguments du Mexique, des États-Unis et du Canada selon lesquels leur traitement historique de dispositions particulières de l’ALENA équivalait à une « pratique ultérieurement suivie » et, qu’en tant que tel, le tribunal était tenu d’interpréter ces dispositions conformément à cette pratique historique.

Bien que l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) – le traité qui a succédé à l’ALENA – élimine progressivement les arbitrages entre investisseurs et États semblables à ceux prévus au chapitre 11 de l’ALENA, la décision renforce le fait que les règles de procédure des accords commerciaux internationaux doivent être interprétées conformément à l’objectif général, au contexte et au sens ordinaire du traité, et que le seuil d’examen demeure élevé, les tribunaux n’étant pas susceptibles d’annuler ces décisions en appel.

Le différend

Le différend est né des décisions prises par le Mexique entre 2011 et 2013 de fermer un certain nombre de casinos au Mexique. Ces casinos comprenaient les casinos exploités par les demandeurs initiaux – trois ressortissants américains et cinq entreprises américaines. Les demandeurs initiaux ont engagé une procédure contre le Mexique en vertu du chapitre 11[1], et ont ensuite déposé une demande d’arbitrage auprès du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) aux termes de l’article 1117 de l’ALENA. Les demandeurs initiaux réclamaient 100 millions de dollars en dommages et intérêts. Le siège de l’arbitrage était à Toronto, en Ontario.

Lorsque la demande a été déposée auprès du CIRDI, les demandeurs initiaux ont ajouté 31 nouveaux investisseurs américains, dont 16 étaient des actionnaires minoritaires de certaines entreprises mexicaines contrôlées par les demandeurs initiaux.

Le Mexique s’est opposé à l’inscription des plaintes auprès du CIRDI, alléguant ce qui suit :

  • les demandeurs supplémentaires n’ont pas fourni de notification d’intention au moins 90 jours avant la présentation de la plainte, comme l’exige l’article 1119 de l’ALENA;
  • les demandeurs devant le tribunal n’ont pas consenti à l’arbitrage et n’ont pas fourni de renonciations conformément à l’article 1121 de l’ALENA;
  • les demandeurs initiaux n’avaient pas l’autorité pour engager une action au nom d’entreprises mexicaines qu’ils ne possédaient ou ne contrôlaient pas.

Les États-Unis et le Canada ont également présenté des observations à l’appui de la position du Mexique, faisant valoir que les principes d’« accord ultérieur » et de « pratique ultérieurement suivie » – selon lesquels une séquence commune et cohérente d’actes ou de déclarations suffit pour sous-entendre l’accord des parties concernant l’interprétation d’une loi – exigeaient le strict respect des exigences procédurales des articles 1119 et 1121.

Le 19 juillet 2019, le tribunal a rendu une sentence partielle rejetant les trois objections du Mexique à l’égard de la compétence. Les arbitres majoritaires ont estimé que le tribunal était compétent à l’égard de toutes les actions intentées par les demandeurs et ainsi que des actions intentées au nom de toutes les entreprises mexicaines, sauf une. Dans l’opinion dissidente, un arbitre estimait que le tribunal n’était pas compétent à l’égard des actions intentées par les 31 demandeurs supplémentaires et au nom de certaines entreprises mexicaines pour non-respect de l’article 1119.

Appel devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario

Le Mexique a déposé une demande d’annulation de la sentence du tribunal en interjetant appel devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario en vertu du paragraphe 11(1) de la Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international. Dans sa demande, le Mexique a fait valoir que le tribunal avait commis une erreur en concluant qu’il était compétent, notamment en ce qui concerne les observations des États-Unis et du Canada sur l’« accord ultérieur » et la « pratique ultérieurement suivie ». Selon la norme de la décision correcte[2], l’appel a été rejeté avec dépens, la cour estimant que le tribunal avait correctement établi sa compétence à l’égard de toutes les questions :

Article 1119 : compétence à l’égard des « demandeurs supplémentaires »

La cour a jugé qu’il n’y avait pas d’erreur dans la décision du tribunal d’affirmer sa compétence sur les actions intentées par les demandeurs supplémentaires, estimant que le tribunal n’était pas tenu de respecter strictement l’article 1119. Plus particulièrement :

  • Les rédacteurs de l’ALENA ont utilisé un langage interprétatif (le terme « signifiera ») à l’article 1119. Il n’est donc pas nécessaire de se conformer strictement à l’article 1119.
  • Si l’on applique son « sens ordinaire », le fait de ne pas inclure tous les renseignements exigés dans la notification ne vicie pas le consentement d’une partie.
  • Lorsqu’elle est lue dans le contexte du reste de l’ALENA, la notification de l’intention constitue le fondement des négociations entre les parties. Ces renseignements ne sont pas essentiels à la procédure d’arbitrage.
  • Les objectifs et objets de l’ALENA ne peuvent être favorisés en interdisant l’accès à l’arbitrage en raison de l’omission de noms dans la notification de l’intention.

Ainsi, en affirmant sa compétence à l’égard des demandeurs supplémentaires, l’interprétation de l’article 1119 par le tribunal correspond à l’objectif général, au contexte et au sens ordinaire de l’ALENA. Une telle approche de l’interprétation des traités est appropriée et bien établie dans la jurisprudence de l’Ontario.

Article 1121 : questions relatives au consentement

Le tribunal a conclu qu’il n’était pas compétent pour examiner la manière dont le consentement a été donné aux termes de l’article 1121 puisque, selon la jurisprudence de l’Ontario, les questions liées à l’admissibilité (par exemple, la manière dont le consentement a été exigé) ne peuvent faire l’objet d’un examen par les tribunaux de l’Ontario, quelle que soit la norme utilisée[3].

« Accord ultérieur » et « pratique ultérieurement suivie »

La Cour a rejeté les arguments du Mexique, du Canada et des États-Unis selon lesquels, nonobstant les principes d’interprétation ci-dessus, leur pratique commune et établie au titre de laquelle le consentement des parties à l’ALENA à l’arbitrage est subordonné aux exigences procédurales pertinentes constituait une « pratique ultérieurement suivie » et un « accord ultérieur » dictant le strict respect de ces exigences procédurales.

Comme le codifie l’alinéa 31(3)b) de la Convention de Vienne sur le droit des traités, les termes « pratique ultérieurement suivie » et « accord ultérieur » désignent les actions et omissions cohérentes liées aux traités des parties aux organisations créées par les traités internationaux. Ces actions et omissions doivent être interprétées d’une manière qui reflète les idées communes de toutes les parties à l’égard de l’interprétation du traité. Lorsque les observations constituent une « pratique ultérieurement suivie », elles doivent être considérées comme relevant du droit international coutumier. En Ontario, les tribunaux ont défini la « pratique ultérieurement suivie » comme [TRADUCTION] « une position commune claire, bien comprise et convenue conformément à l’alinéa 31(3)b) »[4]. Les tribunaux ont déclaré qu’un tribunal de l’ALENA commet une erreur de compétence s’il ignore les observations des parties à l’ALENA à l’égard du paragraphe 31(3) en rendant une décision si ces observations démontrent une pratique ultérieurement suivie convenue par les parties.

Bien que la cour ait approuvé l’interprétation commune, concordante et cohérente des articles 1119 et 1121 par le Mexique et le Canada – chacun d’eux ayant soumis qu’il est exigé et établi par la pratique que les parties au traité adhèrent aux articles 1119 et 1121 pour reconnaître la compétence – la cour a conclu que la pratique n’était pas clairement identifiable et que les points de consensus n’étaient pas clairement discernables comme requis pour équivaloir à une pratique ultérieurement suivie en vertu du droit ontarien. En particulier, étant donné qu’il s’agissait de la première cause dans laquelle les parties à l’ALENA présentaient des observations unanimes à l’égard de l’interprétation des articles 1119 et 1121, et qu’une approche technique stricte de l’interprétation de l’ALENA a été rejetée aux termes du droit ontarien, la cour a jugé que les faits ne répondaient pas à la norme de la « pratique ultérieurement suivie ».

Principaux points à retenir

Les entreprises canadiennes doivent être conscientes du fait qu’il s’agit d’un domaine du droit en constante évolution. Le 1er juillet 2020, l’ALENA a été remplacé par l’ACEUM. Le Canada s’étant retiré du règlement des différends entre investisseurs et États dans le cadre de l’ACEUM, les investisseurs canadiens disposent de trois ans (jusqu’en 2023) pour intenter des réclamations « antérieures » contre le Mexique ou les États-Unis – si ces réclamations ne sont pas intentées dans les trois ans, ils risquent de faire face à d’importantes contestations à l’égard de la compétence.

Quoi qu’il en soit, la décision de la cour dans l’affaire United Mexican States v. Burr réaffirme la position des tribunaux ontariens à l’égard des décisions des tribunaux internationaux, qu’ils soient constitués en vertu de l’ALENA ou d’un autre accord commercial : le seuil d’examen est élevé et il est peu probable que les tribunaux annulent ces décisions en appel. Bien que la cour ait affirmé son intention de se conformer au droit international, ce droit sera appliqué d’une manière conforme à la jurisprudence de l’Ontario.

 

Les investisseurs canadiens devraient en tenir compte dans le contexte des investissements étrangers, notamment lorsqu’ils décident s’il y a lieu d’interjeter appel des décisions des tribunaux internationaux et comment le faire. Étant donné la réserve dont font preuve les tribunaux canadiens à l’égard des sentences arbitrales des tribunaux internationaux et la réticence des tribunaux à intervenir à l’égard des décisions de tels tribunaux, il est important que les parties à un litige relevant du droit international, y compris les accords commerciaux pertinents, fassent de leur mieux en première instance. De même, les plaideurs devront présenter des arguments solides devant les tribunaux lorsqu’ils interjetteront appel de sentences arbitrales.

Osler possède une vaste expérience à tous les stades de l’arbitrage national et international, ce qui confère à nos clients un avantage stratégique évident. L’équipe de droit du commerce international et de l’investissement d’Osler intervient dans les différends en matière de commerce et d’investissement, dans le cadre de différends liés aux douanes, de poursuites antidumping et de droits compensateurs, de mesures de sauvegarde, d’enquêtes économiques et de contestations visant les marchés publics devant l’Institut canadien du trafic et du transport (ICTT), ainsi que les questions relatives à la réglementation en matière de commerce international, aux mesures gouvernementales et aux actions et politiques qui entravent l’accès aux marchés canadiens et étrangers.

 

[1] B-Mex, LLC and Others v. United Mexican States, affaire CIRDI n° ARB (AF)/16/3 (disponible en anglais).

[2] The United Mexican States v. Cargill, 2011 ONCA 622, au paragraphe. 50 (disponible en anglais).

Ibid.

[4] The United Mexican States v. Cargill, Incorporated, 2011 ONCA 622 (disponible en anglais).