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Solutions législatives à la cessation du TIOL en dollars américains

Auteur(s) : Andrew G. Herr

Le 19 mars 2021

Des solutions contractuelles à la cessation du TIOL sont certes nécessaires. On compte parmi celles-ci le recours au libellé de « modification » ou au libellé de « substitution programmée » du comité sur les taux de référence de remplacement (l’Alternative Reference Rates Committee ou l’« ARRC »), ainsi que l’adhésion au protocole de substitution des taux IBOR de 2020 de l’International Swaps and Derivatives Association (ISDA) et au protocole de substitution des taux y afférent qu’elle a publiées en 2006 (ou la conclusion de conventions bilatérales équivalentes) pour les produits dérivés. En revanche, bien que ces solutions contractuelles soient essentielles, elles risquent, à elles seules, de ne pas suffire. Cette situation est attribuable au nombre important de contrats liés au TIOL en dollars américains – y compris les hypothèques, les titrisations, les billets à taux variable et les contrats commerciaux – dans le cadre desquels la substitution au TIOL en dollars américains est inadéquate, ambiguë ou tout simplement inexistante et qui, par conséquent, pourraient se révéler impossibles à modifier. C’est dans ce contexte qu’interviennent les solutions législatives.

Proposition législative à l’intention de l’État de New York

Le 19 janvier 2021, le gouverneur Andrew Cuomo a présenté une proposition législative à l’intention de l’État de New York portant sur la suppression du TIOL en dollars américains, dans le cadre d’un projet de loi budgétaire plus large de l’État[1]. Cette législation est très semblable au projet de loi proposé par l’ARRC en mars 2020[2]. [3] Le budget de l’État de New York doit être présenté avant le 31 mars 2021, date de fin d’exercice financier de l’État. La législation portant sur la cessation du TIOL en dollars américains qui a été proposée dans le cadre du projet de loi budgétaire serait mise en œuvre par l’introduction d’un nouveau paragraphe 18-400 dans la section General obligations des Consolidated Laws of New York et entrerait en vigueur immédiatement après l’adoption du projet de loi budgétaire.

La législation prévoit le remplacement du TIOL en dollars américains par le « taux de remplacement recommandé » dans les contrats, les titres et les instruments – ce taux de remplacement étant essentiellement défini comme le taux établi selon le Secured Overnight Financing Rate (le SOFR) et comprenant l’ajustement de l’écart et tout changement conforme au taux de référence qui aura été sélectionné ou recommandé par la Réserve fédérale, la Banque fédérale de réserve de New York ou l’ARRC en ce qui concerne ce type de contrat, titre ou instrument.

Les principaux éléments de la législation proposée sont les suivants :

  • elle s’applique aux contrats, titres et instruments régis par le droit de New York, bien que les parties soient autorisées à s’y soustraire;
  • elle s’applique de plein droit (application obligatoire) pour remplacer le TIOL en dollars américains par le taux de remplacement recommandé lorsqu’un contrat, un titre ou un instrument ne comporte pas de libellé de substitution du TIOL en dollars américains ou lorsqu’il se replie sur un taux LIBOR en dollars américains;
  • (il est à noter que les prêts sont habituellement ramenés à un taux préférentiel, ce qui veut dire que la législation ne s’applique généralement pas aux prêts; par opposition, la législation s’appliquerait aux billets à taux variable qui se replient sur le TIOL en dollars américains le plus récent, comme c’est généralement le cas pour ces billets);
  • elle prévoit une règle refuge contre les litiges au profit de la partie qui a la discrétion de remplacer le TIOL en dollars américains par le taux de remplacement recommandé (application large);
  • elle empêche toute partie de refuser d’exécuter ses obligations contractuelles ou de rompre un contrat suivant la suppression du TIOL en dollars américains ou l’application du taux de remplacement recommandé;
  • elle établit que le taux de remplacement recommandé est raisonnable et équivalent au TIOL en dollars américains sur le plan commercial;
  • elle remplace les dispositions de rechange du TIOL en dollars américains fondées sur le sondage des courtiers, comme celles qui figurent dans les définitions publiées en 2006 par l’ISDA (p. ex., avant l’intégration du protocole de substitution des taux IBOR);
  • son application devient obligatoire ou optionnelle lorsque surviennent certains événements déclencheurs, notamment si le TIOL en dollars américains est éliminé, de manière permanente ou pour une durée indéterminée, ou s’il déclaré non représentatif; ces événements déclencheurs sont essentiellement les mêmes que ceux recommandés par l’ARRC et adoptés par l’ISDA[4].

Étant donné que le droit de New York (parallèlement au droit anglais) est nettement privilégié comme droit régissant les contrats faisant référence au TIOL en dollars américains, l’adoption de cette loi constituerait un ajout législatif important aux solutions contractuelles à la cessation du TIOL en dollars américains. Sa promulgation servirait également de modèle à d’autres États.

Projet de législation fédérale américaine

Le 13 octobre 2020, un avant-projet de loi[5] comportant un libellé est très semblable à celui du projet de loi proposé par l’ARRC en mars 2020 (et donc également très comparable au projet de législation de New York décrit ci-dessus) a été soumis pour commentaires au Congrès des États-Unis. Ce projet de loi, parrainé par Brad Sherman, représentant démocrate du 30e district de Californie et président du sous-comité de la protection des investisseurs, de l’entrepreneuriat et des marchés financiers (Subcommittee on Investor Protection, Entrepreneurship and Capital Markets) du U.S. House Committee on Financial Services, n’a pas été présenté lors de la séance du Congrès de 2020. Une version du projet de loi devrait cependant être officiellement présentée au Congrès au cours du deuxième trimestre de 2021. Il est important de noter qu’un avant-projet de loi ayant fait l’objet d’un débat au Congrès écarterait expressément les lois applicables des États.

Des solutions législatives ou plutôt des litiges d’un autre type?

En l’absence de solutions législatives (parallèlement aux solutions contractuelles), la suppression du TIOL en dollars américains pourrait causer des perturbations économiques importantes et entraîner des litiges découlant de solutions de substitution inadéquates, ambiguës ou inexistantes. Bien que la législation concernant la cessation du TIOL en dollars américains constitue une solution considérable, elle n’empêche pas nécessairement les litiges. Le projet de loi proposé par l’ARRC, qui a servi de fondement au projet de loi de New York et au projet de loi fédérale, a été reconnu comme étant « soigneusement rédigé pour passer l’examen constitutionnel »;[6] néanmoins, selon les commentaires, la législation peut tout de même être contestée, notamment pour les motifs suivants :

  • la clause sur les contrats (Contracts Clause) de la Constitution des États-Unis ou celle sur l’application régulière de la loi (Due Process) le permet;
  • dans le cas des titres émis aux termes d’un acte de fiducie assujetti à la United States Trust Indenture Act of 1939, une violation des droits prévus à l’alinéa 316(b) de cette loi a été commise[7]; ou
  • en ce qui concerne le projet de législation de New York, une violation de la clause de non-délégation (Non-Delegation Clause) en vertu de la Constitution de l’État de New York a été commise[8].
 

[1]       Voir https://www.budget.ny.gov/pubs/archive/fy22/ex/artvii/ted-bill.pdfsous « Part PP », aux pages 233-242.

[2]      https://www.newyorkfed.org/medialibrary/Microsites/arrc/files/2020/ARRC-Proposed-Legislative-Solution.pdf  La législation proposée par le gouverneur Cuomo fait suite à des projets de loi complémentaires très semblables de l’Assemblée et du Sénat de l’État de New York (AB A11098 et S9070, respectivement) déposés vers la fin de la session législative de 2020. Ces derniers suivent étroitement le projet de loi proposé par l’ARRC en mars 2020. Ces projets de loi complémentaires mettraient en œuvre la législation au moyen du nouvel article 12 proposé du Uniform Commercial Code de New York.

[3]      Le 1er mars 2021, l’ARRC a publié une version mise à jour de son projet de loi proposé, comportant des modifications techniques : https://www.newyorkfed.org/medialibrary/Microsites/arrc/files/2021/libor-legislation-with-technical-amendments

[4]Voir https://www.osler.com/en/resources/cross-border/2021/libor-endgame-announced (en anglais seulement). Il convient de noter que la déclaration de non-représentativité comme élément déclencheur prévu dans le projet de loi proposé par l’ARRC, ainsi que dans la législation étudiée dans le présent bulletin, vise uniquement la non-représentativité actuelle, par opposition à l’élément déclencheur adopté par l’ISDA qui vise également la non-représentativité future.

[7]      L’alinéa 316(b) du United States Trust Indenture Act of 1939 (TIA) prévoit, entre autres, que « le droit de tout détenteur de titres émis aux termes d’un acte de fiducie de recevoir le versement du capital de ce titre et des intérêts sur ceux-ci à compter des dates d’exigibilité respectives qui y sont indiquées ou d’intenter une poursuite pour obtenir ce versement à compter de ces dates respectives, ne doit pas être compromis ou affecté sans le consentement de ce détenteur... ». La législation des États ne peut généralement pas abroger les droits prévus par la législation fédérale. Le projet de législation de New York et la législation fédérale tentent de remédier à l’alinéa 316(b) du TIA en considérant que l’application du taux de remplacement recommandé ne porte pas atteinte aux droits ou aux obligations d’une personne à l’égard d’un contrat, d’un titre ou d’un instrument. On ignore encore si cette mesure pourra s’appliquer dans le cadre d’une législation d’État visant à annuler les droits édictés dans la législation fédérale.

[8]      Par exemple, dans le cas d’une délégation inadmissible du pouvoir de l’Assemblée législative de l’État d’établir le taux de remplacement recommandé.