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Les tendances en matière d’activisme actionnarial

Le 1er avril 2024

 
Durée : 42 min  Date: 2024/01/26
 

 

Dans cet épisode du balado, l’animatrice invitée Teresa Tomchak, une associée au sein du groupe Litiges chez Osler, ainsi que David Salmon, président de Laurel Hill Canada, examinent en profondeur les tendances en matière d’activisme actionnarial. Teresa et Dave discutent de sujets tels que les facteurs ESG au cœur de l’activisme actionnarial, les mesures que les entreprises peuvent prendre pour aborder les facteurs ESG et s’y préparer, et le rôle des services-conseils sur le vote par procuration.

Ce balado comprend 40 minutes admissibles en tant que crédit de contenu de droit de fond pour les avocats et avocates de l’Ontario. Cliquez pour inscrire vos heures sur le portail du BDLO.


Balado Exploration ESG

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Portant sur l’évolution des exigences réglementaires, sur l’activisme des investisseurs et sur les effets physiques des changements climatiques sur les activités commerciales ainsi que sur d’autres sujets encore, le plus récent balado d’Osler, Exploration ESG, examine les évolutions et les enjeux qui touchent votre entreprise. Aux côtés d’invités bien informés d’Osler et du monde des affaires, John Valley, associé d’Osler, Droit des sociétés et Chef, ESG, guide les auditeurs sur les sujets essentiels auxquels font face les organisations modernes.

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Hôte(sse)s

John M. Valley
John M. Valley
Associé, Droit des sociétés
Toronto
Teresa Tomchak
Teresa Tomchak
Associée, Litige
Vancouver

Invité(e)s

David J. Salmon
David J. Salmon
Président, Laurel Hill Advisory Group
 

Transcription

JOHN VALLEY : Dans cet épisode de notre balado, nous plongerons dans le sujet de l’activisme actionnarial avec notre animatrice invitée, Teresa Tomchak. Teresa est associée au sein du groupe Litiges chez Osler. Elle compte plus de 20 ans d’expérience au cours desquels elle a traité un grand nombre de différends entre actionnaires, d’offres publiques d’achat hostiles et de courses aux procurations. Teresa sera accompagnée de David Salmon, président de Laurel Hill Canada. David est responsable des solutions stratégiques pour les actionnaires, du développement des affaires et de l’exploitation générale de la division canadienne de Laurel Hill. De nombreuses entreprises canadiennes de premier plan ont fréquemment recours à ses conseils concernant des stratégies liées aux acquisitions hostiles et amicales, aux courses aux procurations, à la rémunération des dirigeants et aux enjeux de gouvernance d’entreprise.

Teresa et Dave discuteront de sujets tels que les enjeux ESG au cœur de l’activisme actionnarial, les mesures que les entreprises peuvent prendre pour traiter les enjeux ESG et s’y préparer et le rôle des services-conseils sur le vote par procuration.

Teresa, je vous cède la parole.

TERESA TOMCHAK : Merci, John. Dave, je suis ravie d’animer ce balado avec vous. D’entrée de jeu, j’aimerais simplement vous poser une question très générale. Pouvez-vous me dire quels types d’enjeux ESG font actuellement l’objet d’initiatives d’actionnaires activistes?

DAVID SALMON : Merci, Teresa. C’est un plaisir d’être ici. D’un point de vue très large, si l’on prend l’activisme lié aux propositions d’actionnaires, l’activisme opérationnel et ce que la plupart des gens associent à l’activisme à l’égard des conseils d’administration, il ressort manifestement que 81 % des propositions d’actionnaires dénombrées au Canada cette année portent sur des facteurs environnementaux et sociaux. Globalement, les facteurs ESG sont de toute évidence dans le viseur des actionnaires activistes. En ce qui concerne l’activisme opérationnel, les facteurs ESG sont présents jusqu’à un certain point. Pensons à Suncor, dont le bilan de santé et de sécurité a été la cible d’activistes. À l’heure actuelle, les facteurs ESG ne sont assurément pas aussi présents au Canada qu’aux États-Unis, où ces facteurs font l’objet de campagnes d’activisme. Starbucks est dans la mire d’activistes et Carl Icahn est monté au créneau pour dénoncer certaines pratiques de McDonald’s et d’autres émetteurs à l’égard de maltraitance animale. Je pense que les revendications ESG sont comparativement moins intenses au Canada. Je m’attendrais à ce que l’importance accordée aux enjeux ESG par les activistes canadiens augmente. Enfin, du côté de l’activisme à l’égard des CA, les questions de gouvernance prédominent encore. La stratégie entre toujours en ligne de compte. Que prenez-vous en considération? Que faites-vous? Quels sont vos résultats financiers? Cependant, même dans certaines entreprises très solides – et je ne pense pas juste aux sociétés pétrolières, qui sont dans la zone de frappe des activistes – on observe encore des problèmes liés à la gouvernance et à des considérations semblables, ce qui m’incite à croire que les facteurs ESG dans leur globalité ont leur place dans la gouvernance. La gouvernance est sans contredit et toujours le moteur des revendications à l’égard des CA.

TERESA TOMCHAK :  Plus précisément, pouvez-vous me parler un peu des types d’enjeux que vous observez dans chacune des catégories de facteurs ESG?

DAVID SALMON : Oui, certainement. Les enjeux de santé et de sécurité sont de toute évidence dans le radar des activistes. Il en va de même pour les enjeux environnementaux. Selon le type d’activité et le secteur, compte tenu du fait que 60 % environ des sociétés cotées en bourse au Canada exercent leurs activités dans les industries extractives, soit dans les secteurs pétrogazier et minier, les actionnaires activistes militent en faveur du climat, de la prise de conscience climatique et de la durabilité. Ces enjeux interpellent généralement les investisseurs. Dans d’autres secteurs, pensons à ce qui se passe du côté des fiducies de placement immobilier. On assiste de toute évidence à un retour en force de l’activisme depuis la fin de la pandémie. Les FPI sont indéniablement dans la mire des activistes. Les enjeux sont liés à la transition et à l’utilisation de l’espace. Je pense que, de ces points de vue, les initiatives portant sur des enjeux environnementaux et sociaux sont appelées à se poursuivre dans ce segment du marché. Dans le secteur minier, les questions de gouvernance et de diversité des conseils sont toujours présentes, tout comme celle de la responsabilisation des CA. Les revendications à cet égard concernent surtout les facteurs sociaux et de gouvernance.

TERESA TOMCHAK : Si j’ai bien compris, et cela correspond à ce que j’ai moi-même observé, les enjeux environnementaux et sociaux sont actuellement plus présents dans les propositions d’actionnaires, mais le sont moins dans les courses aux procurations visant le remplacement d’administrateurs, qu’il s’agisse d’abstentions de vote, de candidats à un poste d’administrateur ou de n’importe quelle initiative de type opérationnel.

DAVID SALMON : Tout à fait. Les propositions d’actionnaires portent principalement sur des facteurs environnementaux et sociaux. Les propositions relatives au climat ont fait beaucoup de bruit il y a, je dirais, deux ou trois ans. Cette thématique a visiblement perdu du terrain. En 2022, six propositions d’actionnaires canadiens ont été dénombrées à cet égard. Nous avons relevé sept propositions, dont six concernaient les mêmes organisations. Elles n’ont pas récolté beaucoup d’appuis. En fait, le soutien reçu par les propositions de cette nature a diminué d’année en année. J’ai donc la certitude qu’en ce qui concerne les propositions d’actionnaires, les facteurs environnementaux et sociaux continueront de retenir l’attention. Vous souvenez-vous de Robert Verdun? Je me fais plaisir en évoquant son nom. Robert Verdun est un agriculteur de l’Ontario. Il a déposé une quinzaine de propositions d’actionnaire différentes visant les grandes banques. Les banques se sont généralement toutes opposées aux propositions qu’il a faites en l’espace de cinq ou six ans. Onze d’entre elles étaient perçues comme des normes de gouvernance et se sont frayé un chemin au point d’avoir été intégrées dans le mode de gouvernance courant.

TERESA TOMCHAK :  Est-il juste de dire que ces propositions proviennent de tous les secteurs et touchent tous les domaines? Vous avez cité le cas d’un exploitant agricole. Qu’en est-il des investisseurs institutionnels? Que pouvez-vous en dire?

DAVID SALMON : Je pense que le point de vue est un peu différent selon qu’on se place du côté de l’entreprise ou de celui du proposeur. Robert Verdun était un investisseur individuel assez unique. À vrai dire, les propositions d’actionnaires sont plutôt soumises par des caisses de retraite ou des institutions telles que SHARE ou la BCIMC. Un grand nombre de ces groupes prennent maintenant ce genre d’initiative au nom des actionnaires qu’ils représentent. Selon moi, les militants sont moins nombreux parmi les actionnaires individuels. Au Québec, les services du MÉDAC sont sollicités pour la présentation de propositions d’actionnaires. Cependant, les organisations ciblées, comme j’y ai fait allusion à propos des enjeux climatiques, étaient six grandes institutions financières canadiennes et la septième était une compagnie d’assurance de premier plan. Les activistes ciblent généralement des sociétés à mégacapitalisation, de grandes entreprises sur lesquelles ils peuvent exercer une influence et contre lesquelles ils peuvent selon toute probabilité recueillir des appuis de la part des investisseurs institutionnels. Les sociétés de petite taille ne sont pas dans leur radar. Elles ne sont pas aussi médiatiques. Elles n’ont pas la même visibilité. De plus, la composition des actionnaires est généralement différente et, selon toute vraisemblance, l’appui des actionnaires ne serait pas comparable au niveau de soutien requis de la part des investisseurs institutionnels.

TERESA TOMCHAK : Vous avez mentionné des statistiques concernant les propositions d’actionnaires et leur taux de succès. Quel genre de succès les revendications des actionnaires dissidents obtiennent-elles à l’égard des CA?

DAVID SALMON : C’est une excellente question, Teresa. En fait, la réponse est assez déconcertante. Nous évaluons le degré de succès en fonction de deux statistiques, qui portent sur les propositions qui sont officialisées et celles qui sont retirées. Dans le second cas, les actionnaires dissidents se heurtent à l’opposition des entreprises et retirent leurs propositions. En d’autres termes, ils renoncent à la médiatisation et à la sollicitation de procurations au moyen de documents de procuration et ne donnent pas suite à leurs propositions. Cela dit, au cours des deux dernières années, 74 propositions concernant des CA ont été dénombrées; dans 72 % des cas, les actionnaires ont donné suite à leurs revendications. C’est un pourcentage extrêmement élevé. En somme, trois propositions d’actionnaires sur quatre auxquelles les entreprises s’étaient opposées ont été officialisées. Il se peut que cela tienne aux résultats obtenus. En 2022, les activistes ont obtenu une victoire complète ou partielle dans 88 % des cas; l’an dernier, ce taux a atteint 79 %. Ce sont des chiffres effarants qui jouent en faveur des dissidents. En général, sur une période de dix ans, les actionnaires dissidents réussissent dans l’ensemble un peu mieux, mais n’obtiennent certainement pas de tels taux de succès. Bref, le niveau de confiance dont les activistes font preuve en passant officiellement à l’action plutôt que de s’en tenir à la rhétorique est assez élevé et ces dissidents reçoivent de nombreux appuis des autres actionnaires.

TERESA TOMCHAK : Dans le passé, j’ai vu en coulisses qu’une foule de courses aux procurations ont été réglées avant d’être annoncées publiquement. Est-ce une tendance en déclin?

DAVID SALMON : C’est intéressant. Non, je ne crois pas. Je pense que les règlements sont dans l’intérêt de tous. L’activisme coûte très cher. L’activisme à l’égard des CA arrive en tête, puis selon une échelle décroissante, vient l’activisme opérationnel dont le coût est moindre, suivi des propositions d’actionnaires avec des coûts encore plus bas. Mais il y a quand même un prix à payer. Selon la rumeur, le lancement d’une course aux procurations a déjà coûté neuf millions de dollars en frais à l’entreprise ciblée; la confrontation directe avec le CA n’a même pas encore été engagée. Je pense que les deux parties ont tout intérêt à trouver un terrain d’entente. Évidemment, les activistes qui remportent la victoire peuvent réclamer un dédommagement. Ce n’est certainement pas le cas s’ils échouent. Pour sa part, l’entreprise ciblée doit décaisser une somme considérable, ce qui fait croître son investissement. C’est pourquoi j’estime que les parties ont de bonnes raisons de régler leur différend avant qu’il soit rendu public. De plus, le risque d’atteinte à la réputation est énorme. Il suffit de feuilleter le Globe and Mail de cette semaine pour se rendre compte que la réputation d’entreprises canadiennes de renom et de leurs anciens chefs de la direction est entachée.

TERESA TOMCHAK : Pourriez-vous décrire la manière dont les entreprises peuvent traiter les enjeux ESG et s’y préparer? Nous avons parlé des règlements, je le sais, mais nous avons en quelque sorte sauté à la fin du processus. Que faut-il faire dès le départ pour tenter de se prémunir contre l’activisme des actionnaires?

DAVID SALMON : Je pense que la première étape, qui est aussi la plus importante, consiste à dialoguer. Je suis franchement surpris de constater à quel point il est fréquent que les parties ne discutent pas des questions ESG. Ces enjeux sont pourtant appelés à susciter une mobilisation. Les entreprises parlent de leur stratégie et de leurs résultats financiers. Le plus souvent, c’est avec le gestionnaire de portefeuille que les entretiens ont lieu. Tout cela est très bien et ces questions doivent être soulevées. Cependant, les points de vue des personnes qui exécutent la stratégie ESG et procèdent au vote entrent aussi en ligne de compte. Ce ne sont pas toujours les mêmes parties. Dans de nombreux cas, le gestionnaire de portefeuille n’intervient pas dans l’évaluation proprement dite des votes. Lorsqu’on engage un dialogue, il faut donc s’assurer de parler à la bonne partie et d’aborder les considérations ESG. Déterminez ce qui importe pour vos principaux investisseurs. Lorsque vous découvrez ce qui est important pour eux, je ne suggère en aucun cas que vous vous contentiez de cela, il faut porter cette question à la connaissance du CA pour qu’il en discute. Le conseil pourra alors prendre une décision éclairée au sujet des attentes des actionnaires et établir une politique en conséquence. Si cette politique est en adéquation avec les attentes des actionnaires, ce sera formidable. Sinon, au moins les administrateurs en auront-ils débattu. Autant que je sache, la plupart des investisseurs institutionnels sont très rationnels; ils seront sensibles à cette attitude. Peut-être ne seront-ils pas d’accord, mais ils apprécieront et comprendront l’attitude de l’entreprise. À mon avis, c’est probablement la mesure la plus importante que les émetteurs peuvent prendre à cet égard. Évitez évidemment de vous retrouver en situation de vulnérabilité. Vous savez, on dit sans cesse que ce qui peut être mesuré peut être géré. De nombreux enjeux, en particulier les facteurs environnementaux et sociaux, sont mesurés. Une foule de promesses ont été faites, surtout au début de la présente décennie. Les entreprises qui mesurent leurs résultats et constatent qu’elles n’ont pas atteint leurs cibles ou qui cessent de produire des rapports sur leurs progrès deviennent vulnérables. Cela est crucial pour les investisseurs individuels et ce sont des objectifs difficiles à atteindre. Les temps changent. Nous sommes en marche, en particulier en ce qui concerne les facteurs environnementaux et sociaux. Je pense que les gens le comprennent et apprécient ces efforts. Il faut aussi donner des explications, communiquer de l’information et tenir compte de ces objectifs dans les entretiens.

TERESA TOMCHAK : Vous avez parlé de la nécessité de dialoguer avec les actionnaires et de parler aux bons interlocuteurs, en particulier ceux qui sont appelés à prendre part au vote. Pourriez-vous nous dire en quoi consiste le rôle des conseillers en vote par procuration, l’ISS et Glass Lewis, en ce qui a trait aux facteurs ESG?

DAVID SALMON : Oui. Nos amis des services-conseils en vote par procuration jouent manifestement un rôle décisif. Je pense qu’ils préconisaient dans un premier temps un rôle de surveillance relatif aux facteurs environnementaux, à la durabilité climatique et au capital humain de même qu’à la cybersécurité. Ce rôle de surveillance est assurément ce qu’ils envisageaient auparavant. Ils ont quelque peu élargi leur champ d’action. C’est notamment le cas de Glass Lewis. GL exerce une surveillance sur la responsabilisation des CA à l’égard des enjeux climatiques, qui étaient auparavant ciblés par Climate Action 100+ et qui s’appliquent maintenant aux sociétés de l’indice TSX 60. En cas de problèmes ou de manquements, GL fait en sorte que les CA rendent des comptes et réagissent. Un deuxième enjeu est dans la mire de GL : la gestion du capital humain. En présence de problèmes ou d’événements importants pour la conduite des affaires, GL veille à ce que le CA exerce une surveillance et, là encore, qu’il intervienne en conséquence. La surveillance des cyberrisques est le troisième volet du rôle des services-conseils. En cas de problème sérieux, l’organisme veut avoir la certitude que le CA apportera des correctifs adéquats. GL garde à l’esprit la mise en garde qu’elle a déjà faite : le CA doit exercer une surveillance en matière de cybersécurité. Actuellement, l’ISS se concentre plutôt sur les facteurs sociaux. Selon moi, une surveillance s’impose aussi dans les domaines du climat et de la durabilité. Comme vous le savez, Teresa, l’ISS a ajouté les enjeux liés à la diversité des CA à ses activités de surveillance. GL et l’ISS ont fixé un seuil de 30 % pour la diversité de genre. Les deux organismes ont élargi leur surveillance en matière de diversité puisque de nombreux investisseurs institutionnels s’intéressent à cet enjeu. La diversité ethnique fait maintenant elle aussi l’objet de leur surveillance. Leur objectif est qu’au moins un administrateur soit d’une origine ethnique représentative de la diversité dans les CA des sociétés de l’indice composé S&P/TSX.

TERESA TOMCHAK : À quelles conséquences s’exposent les entreprises qui ne respectent pas les normes établies par l’ISS et Glass Lewis?

DAVID SALMON : L’ISS et GL se montreront inflexibles. Je m’explique. Si le CA d’une entreprise a un taux de représentativité de 29,8 %, l’ISS et GL n’arrondiront pas les chiffres. Le seuil de 30 % doit impérativement être respecté. Cette situation s’est présentée en de multiples occasions. Nous sommes actuellement en pourparlers avec un client dont le taux frôle le seuil. Cette initiative a malencontreusement été confiée aux sociétés de services-conseils en vote par procuration par leurs propres actionnaires, c’est-à-dire vos investisseurs institutionnels en votre qualité d’émetteurs. L’ISS et GL s’attendent à ce que cette norme minimale soit respectée. Si cette cible n’est pas atteinte, le président du comité de mise en candidature ou du comité de la gouvernance devra s’abstenir de voter. Si le problème devient récurrent, l’ISS et GL envisageront d’imposer l’abstention de vote à tous les membres du comité, voire au président du conseil.

TERESA TOMCHAK : Avez-vous eu connaissance d’une situation dans laquelle l’ISS et GL avaient recommandé que l’abstention de vote s’applique au-delà des membres d’un comité?

DAVID SALMON : À ma connaissance, il n’est pas arrivé que tous les membres d’un CA soient touchés, si c’est à cela que vous pensez. Nous avons constaté que ce mécanisme avait été imposé à des comités récalcitrants. L’ISS et GL ont mis en place une politique relative à la réceptivité des CA. Pour des questions comme le vote sur la rémunération ou un taux de vote de moins de 80 % en faveur d’un administrateur, l’ISS et GL examinent les mesures prises par l’émetteur pour redresser la situation. Quelle est la nature des problèmes et quels correctifs l’entreprise apportera-t-elle? Faute de coopération et si les préoccupations exprimées subsistent, il est certain que l’ISS et GL imposeront l’abstention de vote aux comités, mais pas forcément aux CA dans leur ensemble.

TERESA TOMCHAK : Si l’ISS et GL expriment des préoccupations, ces sociétés offrent-elles aux émetteurs la possibilité d’en discuter directement ou s’attendent-elles à ce que l’information soit communiquée dans la circulaire de sollicitation de procurations, par exemple, ou encore ont-elles recours à ces deux méthodes?

DAVID SALMON : Elles utilisent les deux méthodes. En dehors de la période des procurations, l’ISS et GL permettent aux émetteurs de communiquer avec elles en utilisant leurs différents portails et d’engager le dialogue. GL et ISS sont généralement en mode d’écoute et se reportent à certaines de leurs politiques pour justifier les conclusions auxquelles elles sont arrivées. Le dialogue est certes utile, mais l’ISS et GL consultent aussi la circulaire afin d’acquérir une compréhension beaucoup plus large des attentes des actionnaires.

TERESA TOMCHAK : Laissons de côté les questions relatives aux conseillers en vote par procuration. En ce qui concerne les enjeux ESG en général, quelle est la taille et quel est le type d’entreprise, je pense que vous en avez parlé de sociétés minières, mais quelles sont les autres entreprises les plus susceptibles d’être concernées par les enjeux ESG?

DAVID SALMON :  C’est intéressant parce que l’historique de l’activisme actionnarial au Canada au cours des dix dernières années, comme le montrent les statistiques de Laurel Hill, nous fait voir que 70 % des initiatives d’activistes à l’égard des CA ont porté sur des sociétés à microcapitalisation et à petite capitalisation, dont la capitalisation boursière était inférieure à 250 millions de dollars. Ce segment est nettement plus susceptible d’être ciblé. Les entreprises les plus visées sont celles du commerce de détail dans lesquelles les activistes peuvent prendre pied, de sorte que les niveaux de succès sont aussi plus élevés. Cela dit, ce sont les sociétés à mégacapitalisation qui retiennent l’attention des médias. Il s’agit de grandes entreprises. Ce sont elles qui font d’un sujet une histoire à sensation. Les gens pensent encore à Telus ou au CP. Ces entreprises ont fait la manchette il y a plus de dix ans. Évidemment, Gildan fait couler beaucoup d’encre en ce moment. Ce sont les grandes entreprises qui captent l’attention des médias. Cependant, l’activisme cible au jour le jour les sociétés dont la capitalisation boursière s’établit à 250 millions de dollars ou moins. Pour revenir aux facteurs ESG, comme nous en avons parlé plus tôt, ils font généralement l’objet de propositions d’actionnaires, qui portent sur des entreprises assujetties à la réglementation ou ayant un grand nombre d’actionnaires institutionnels et des politiques ESG. Il s’agit de sociétés à mégacapitalisation. Vous saisissez la nuance : les campagnes d’activisme ciblent en grande majorité les sociétés à microcapitalisation, qui subissent bel et bien des pressions liées à la réglementation. Les facteurs ESG y sont certes moins présents, mais ils ne sont pas inexistants. Ils revêtent nettement moins d’importance dans ces entreprises. En revanche, l’activisme dont les sociétés à grande ou à mégacapitalisation sont les cibles porte davantage sur les facteurs ESG. Quand ces entreprises se retrouvent sous la loupe d’actionnaires activistes, les revendications ont beaucoup plus de retentissement.

TERESA TOMCHAK : Comme la présentation de l’information sur divers enjeux climatiques est soumise à des exigences de plus en plus grandes, sans entrer dans les détails, mais toutes les entreprises, quelle que soit l’étape à laquelle elles sont rendues, sont concernées. Les mécanismes utilisés ne se limitent pas aux propositions d’actionnaires. Vous attendez-vous à une intensification de l’activisme ESG à l’égard des entreprises de moindre envergure?

DAVID SALMON : Oui, et je crois que l’activisme prendra la forme dont nous avons parlé plus tôt. Les entreprises qui mesurent leurs résultats, mais n’atteignent pas leurs cibles se rendent terriblement vulnérables. Je pense que de nombreuses entreprises ont malheureusement estimé bon de s’engager à prendre des mesures, puis se sont abstenues d’agir ou ont tenté d’adopter des mesures et se sont heurtées à des obstacles d’une taille inattendue. Peut-être n’avaient-elles pas les ressources nécessaires ou ont-elles été rebutées par la complexité des aspects à mesurer. Ces entreprises font face à une foule de considérations et les activistes ne manqueront pas de les cibler, car ils misent sur leurs vulnérabilités. Il est clair que les facteurs environnementaux sont appelés à occuper une place centrale dans les revendications.

TERESA TOMCHAK : Est-il juste de dire que les entreprises déclarent parfois ce que les actionnaires souhaitent entendre, sans réfléchir aux conséquences ni à leur éventuelle incapacité de réaliser leurs ambitions? Observez-vous cette tendance?

DAVID SALMON : La politique est bien vivante et bien présente sur les marchés. Beaucoup de promesses ne sont pas forcément tenues et, selon moi, le cours d’une action peut laver bien des péchés. Il y a dix ans, comme j’y ai déjà fait allusion, la défense des entreprises ciblées par des frappes d’activistes consistait à faire valoir leur rendement boursier. Ce n’est pas toujours la chose la plus facile à faire, mais c’était le moyen de défense employé. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. J’ai parlé plus tôt de Suncor. Le cours de son action était excellent, mais cela n’a pas dissuadé Elliott (Investment Management LP) de mener une croisade. Faire des promesses non tenues rend vulnérable de sorte que les CA doivent faire preuve de rigueur et réfléchir à leurs promesses plutôt que de se borner à apposer un timbre et à imiter certains de leurs pairs. Les entreprises sont toutes différentes et doivent tenir compte des particularités de leurs actionnaires. Nous en avons déjà parlé dans le passé, Teresa; je ne suis pas en faveur des solutions prêtes à l’emploi. Je pense que cette approche n’est bonne pour personne, car chaque entreprise a une culture, un personnel, des actionnaires et un secteur d’activité qui lui sont propres. Selon moi, les entreprises qui ne tiennent pas compte de ces subtilités dans leur approche se condamnent à l’échec.

TERESA TOMCHAK : Parlons maintenant de gouvernance. La gouvernance est traditionnellement un terrain de jeu de prédilection pour les actionnaires activistes. Pouvez-vous nous parler un peu de ce que vous observez dans ce domaine?

DAVID SALMON : D’accord. Il n’y a pas eu de différences prononcées entre 2022 et 2023. Je pense qu’à l’approche de la pandémie et au sortir de la crise sanitaire, les gens avaient d’autres priorités. Les entreprises se souciaient de leur survie, de la survie de leurs affaires et du bien-être de leur personnel. Il est compréhensible que la gouvernance n’ait pas évolué autant qu’elle l’avait fait antérieurement. En 2022 et 2023, la gouvernance a commencé à revêtir d’autres aspects. Comme je l’ai dit auparavant, les enjeux de diversité ont fait leur apparition en 2015. La diversité a maintenant une acception plus large et couvre non seulement les aspects liés à la diversité ethnique, qui sont dans le radar des services-conseils en vote de procuration, mais aussi la définition de la LCSA et les quatre différents groupes désignés dont cette loi fait état. Je pense que la définition de la diversité témoigne de l’essor global de la gouvernance. En dehors de cela, le secteur dans lequel nous observons des avancées intéressantes est celui de l’audit. Les abstentions gagnent en importance. Dans le passé, le taux d’appuis aux auditeurs était de 99 %. Sous l’influence de l’Europe, on réclame maintenant l’indépendance des auditeurs. Une fois que le seuil de dix ans a été franchi, le soutien accordé aux auditeurs diminue. De plus, les taux d’appuis chutent considérablement quand on passe de 15 à 20 ans, puis à 25 ans. Pour la toute première fois, le taux d’appuis aux auditeurs tombe sous la barre de 90 % une fois franchi le cap de 15 ans. Il existe des moyens d’aborder ce problème : parler des modalités mises en place en matière d’impartialité des auditeurs, par exemple changer de partenaire ou de bureau ou lancer un appel d’offres; toutes ces mesures peuvent se révéler utiles. S’agissant d’investisseurs institutionnels, gardez toutefois à l’esprit la nécessité de vous demander à quel type d’investisseurs institutionnels vous avez affaire. Sont-ils passifs? Externalisent-ils le vote? Se bornent-ils à cocher une case? Qu’ils aient recours à l’externalisation du vote ou qu’ils se contentent de cocher une case, si des lignes directrices indiquent que les auditeurs se trouvent en situation de conflit d’intérêts après dix ans, vous ne pouvez strictement rien faire. Je pense que l’équipe de direction doit connaître le profil des actionnaires et prévenir les problèmes parce que le CA n’entre généralement pas dans ce genre de détails. J’ai cependant la certitude que le CA s’intéresse aux résultats ultimes du vote. Il y a quelques années, une très grande société pétrolière a recueilli un taux de vote de 71 % en faveur de ses auditeurs; je sais pertinemment que le CA a pris cela au sérieux et s’est promis de remédier à la situation. Je pense qu’on observe une baisse prononcée des appuis avec le temps. Le taux d’appuis est globalement passé de 96 % à 92 %.

TERESA TOMCHAK : Vous avez mentionné l’externalisation du vote. Pouvez-vous préciser votre pensée?

DAVID SALMON : En ce qui concerne la responsabilisation des administrateurs et même la rémunération des dirigeants, l’influence des services-conseils en vote par procuration demeure assez forte. Chaque entreprise devrait comprendre l’influence de ses conseillers et le rôle qu’ils jouent. Qui gère le vote en votre nom? Comment procédez-vous au vote? Dans de nombreux cas, les entreprises s’abonnent à une société de services-conseils en vote par procuration, mais leurs politiques internes sont généralement plus strictes. Elles n’ont pas forcément recours à l’externalisation du vote, mais les services-conseils ont une influence décisive sur la manière dont les entreprises vont voter. Vous pouvez consulter les statistiques sur l’observance. Un cabinet comme le nôtre serait en mesure de fournir ces services. Beaucoup d’entreprises confient cependant le vote à d’autres institutions telles que SHARE. Il importe de comprendre en quoi consistent leurs politiques afin de pouvoir en tenir compte et composer avec leurs exigences. Selon moi, il est important dans les entretiens avec les actionnaires institutionnels de déterminer comment ils votent, qui procède au vote et ce qui est pertinent pour eux plutôt que de se présenter à la table de négociation en position de faiblesse alors qu’une résolution est en vue. Il est de loin préférable d’aborder la situation de front que de rester en arrière-plan.

TERESA TOMCHAK : Vous avez mentionné plus tôt le rôle des services-conseils en vote par procuration à l’égard des facteurs ESG. Vous avez parlé de Glass Lewis plus que de l’ISS, notamment parce que l’ISS n’a pas autant de lignes directrices sur les facteurs ESG. Quelle a été votre expérience auprès d’entreprises qui externalisent le vote ou concernant leurs politiques ESG internes? Leurs politiques sont-elles plus rigoureuses que celles des services-conseils en vote par procuration? Je sais que cette question est relativement nouvelle.

DAVID SALMON : Je pense que oui. Je pense que l’argumentaire est le suivant : les entreprises qui externalisent le vote sans faire appel aux deux principales sociétés de services-conseils, l’ISS et Glass Lewis, procèdent ainsi parce qu’elles ont une approche plus stricte, qu’il s’agisse d’environnement, de climat, de durabilité, d’enjeux sociaux, de capital humain ou de cybersécurité. En général, ces entreprises abordent l’un de ces aspects, sinon plusieurs d’entre eux, d’une manière nettement plus rigoureuse. Là encore, les services-conseils, pour ne citer que cet exemple, n’ont pas de politique établie au sujet des auditeurs. Pourquoi observe-t-on un recul du taux d’appuis de 4 %, bon an mal an? En raison des politiques plus strictes de certaines de ces entreprises et de certaines de celles qui ont recours à l’externalisation.

TERESA TOMCHAK : Vous avez évoqué la pandémie et ce qui s’observe depuis 2022 et 2023. Que pensez-vous des réunions virtuelles et quelle a été votre expérience?

DAVID SALMON : C’est un sujet d’actualité que vous abordez là, Teresa. J’ai la certitude qu’on vous a aussi posé cette question.

TERESA TOMCHAK : J’ai évidemment eu quelques expériences à ce sujet et elles n’ont généralement pas été positives dans des contextes de contestation. Nous devons admettre, et c’est mon point de vue, mais je suis curieuse de connaître le vôtre, que les réunions virtuelles ou hybrides comportent une foule d’avantages en dehors des situations de contestation. En contexte de contestation, j’estime toutefois que le mode virtuel fait problème.

DAVID SALMON : Je partage votre opinion. Les réunions virtuelles peuvent indéniablement causer de graves difficultés, en particulier si les deux groupes n’ont pas au préalable trouvé un terrain d’entente. Leurs conseillers prennent généralement la parole et veillent à ce que les deux parties s’entendent jusqu’à un certain point, mais ce n’est pas toujours le cas. Dans les situations conflictuelles, la réunion risque de paraître bien longue et pénible; la probabilité que les parties se retrouvent devant un tribunal est forte. Je me fonde sur ce qui se passe sur le marché. Prenons 2023 par exemple : 52 % des réunions des sociétés comprises dans l’indice composé S&P/TSX ont eu lieu virtuellement. Les 48 % restants se sont répartis à hauteur de 20 % et de 28 % entre les réunions hybrides et les réunions en présentiel, respectivement. Les réunions virtuelles sont donc monnaie courante. Je m’attends néanmoins à ce que leur popularité diminue, pas juste parce que la CCGG a exposé clairement sa position dans le Globe and Mail, faisant valoir que les personnes qui contrôlent la technologie contrôlent aussi la réunion. Plus précisément, la CCGG a publié dans ce quotidien une lettre d’opinion que vous avez sûrement vue passer, se faisant le porte-voix de 55 actionnaires institutionnels du Canada dont les actifs totalisent des milliers de milliards de dollars. La CCGG a, pour l’essentiel, exprimé son opposition aux réunions virtuelles. En Colombie-Britannique, le BCGEU a exprimé son opposition aux réunions virtuelles; quelques autres investisseurs institutionnels ont aussi fait connaître leur opposition parce qu’ils craignent la manipulation de la technologie. Cela ne veut pas dire que les réunions virtuelles ne présentent pas d’intérêt; je pense que leurs avantages sont nombreux. Il est clair que le taux de participation aux réunions virtuelles est plus élevé. Il me semble que la règle d’or consiste à privilégier les réunions hybrides ou les réunions comportant un volet en présentiel et un webinaire, ce type de formule ne se prêtant pas forcément à la participation des actionnaires en mode virtuel. La présence est quand même obligatoire, mais le mode hybride permet d’atteindre les deux objectifs et la plupart des participants ont la possibilité d’assister aux réunions. N’oublions pas que dans l’immense majorité des réunions virtuelles, les questions ne sont pas nécessairement légion. On ne procède pas forcément ni fréquemment au vote sur les plateformes proprement dites. Les réunions virtuelles se déroulent plutôt en mode d’écoute. Je pense donc qu’un webinaire peut avoir son utilité. Il sera difficile à l’avenir de s’en tenir à des réunions strictement virtuelles et, je le répète tout en sachant que c’est de l’acharnement de ma part, les services-conseils en vote par procuration ont bel et bien une influence.  L’ISS ne prend pas position sur la question des réunions virtuelles. Elle tient simplement à ce que les réunions virtuelles calquent dans toute la mesure du possible les réunions en présentiel et que les droits et les obligations des deux parties soient les mêmes que dans les réunions en présentiel. Glass Lewis et, bien sûr, l’Association canadienne de normalisation ont adopté des approches plus rigoureuses. GL exige que les circulaires fassent état de quatre éléments. Le non-respect de cette exigence ne donne pas lieu inévitablement à une abstention de vote pour le président du comité de la gouvernance, mais nos clients seraient avisés de ne pas s’exposer à ce risque. De plus, les actionnaires qui assistent à des réunions virtuelles doivent avoir les mêmes droits que dans les réunions en présentiel. Cela dit, peuvent-ils poser des questions? Peuvent-ils faire des commentaires? En cas de problèmes techniques, quels sont leurs recours? C’est le genre de point sur lequel GL s’attend à ce qu’il y ait des précisions dans les circulaires. Je veux dire, dans le cas où le mode virtuel est choisi pour une réunion.

TERESA TOMCHAK : Savez-vous si la plupart des entreprises divulguent vraiment l’information exigée par Glass Lewis, dont vous venez de parler?

DAVID SALMON : Nous avons effectué une analyse portant sur les réunions qui ont eu lieu l’an dernier et, dans une grande majorité des cas, ces exigences n’ont pas été respectées. En fait, dans les deux tiers des cas environ, les normes de GL n’ont pas été respectées.

TERESA TOMCHAK : Que pensez-vous des plateformes virtuelles proprement dites? Avez-vous fait face à un grand nombre de problèmes techniques? J’ai l’impression que chaque fois qu’une conférence téléphonique a lieu, quelqu’un a des problèmes audio ou vidéo ou des ennuis de ce genre. Quelle a été votre expérience?

DAVID SALMON : Les aspects techniques ont été considérablement améliorés au cours des quatre dernières années. Avant la pandémie, on ne parlait pas des réunions virtuelles. La tenue de réunions virtuelles était exceptionnelle. Après l’éclatement de la pandémie, leur nombre a augmenté; leur fonctionnement était très rudimentaire. Ces réunions ne se prêtaient pas tellement aux échanges. Il y avait une foule de problèmes à résoudre. Vous avez parfaitement raison. Au fil des années, les principaux fournisseurs, y compris ceux qui proposent d’utiliser les réunions virtuelles comme mode de scrutin, ont perfectionné leurs services. Les applications sont nettement plus fiables et les fournisseurs veillent à ce que la formation, la mise en pratique et les essais aient lieu au préalable, plutôt que 15 minutes avant une réunion. Une foule de problèmes que vous et moi avons connus au cours des 2 ou 3 dernières années ne se posent plus.

TERESA TOMCHAK : En résumé, quels conseils pratiques donneriez-vous aux entreprises qui tentent de résoudre leurs problèmes liés aux facteurs ESG?

DAVID SALMON : Bon. Mon premier point, et je crois que vous serez d’accord avec moi, est que le dialogue est capital. Sans dialogue, les entreprises se mettent en mauvaise posture. Elles s’exposent à des ennuis. Même sur le terrain de l’activisme, si vous êtes en désaccord avec quelqu’un, il n’y a pas de souci. En revanche, si des actionnaires activistes peuvent affirmer qu’il n’y a eu aucun entretien avec la haute direction ou le CA, l’entreprise est en mauvaise posture. Pour emprunter une image aux westerns américains, prenez soin de porter un chapeau blanc, c’est-à-dire d’être du côté des bons, et non un chapeau noir. Vous voulez sauvegarder votre intégrité. Vous voulez être capables de dire : « Nous avons dialogué avec eux, nous leur avons fait connaître notre position. » Vous voulez que les actionnaires continuent d’acquérir des titres même s’ils connaissent votre position. Je pense donc que le dialogue doit aller au-delà, je le répète, de la stratégie de l’entreprise et des aspects financiers. Assurez-vous de parler au bon interlocuteur en ce qui concerne le vote et les facteurs ESG. Certains grands joueurs, que ce soit BlackRock, State Streets ou Vanguard, ont des services de gestion des facteurs ESG et des services de relations avec les actionnaires, qui dialoguent avec les investisseurs individuels tout au long de l’année, pas juste pendant la période du vote. L’une des mesures les plus cruciales consiste sans doute à entrer en contact avec eux et à établir une relation. Je suis toujours surpris de constater l’absence de dialogue, que ce soit au niveau du CA ou de la haute direction.

TERESA TOMCHAK : En ce qui concerne les relations avec les actionnaires, vous parlez souvent des actionnaires institutionnels et de la nécessité de s’adresser au bon interlocuteur. Recommandez-vous d’engager le dialogue à ce niveau, c’est-à-dire avec les grands actionnaires institutionnels, ou incluez-vous les autres actionnaires?

DAVID SALMON : Je pense que je commencerais par les principaux actionnaires. De prime abord, on se demande toujours comment engager le dialogue. Quelle est la première étape? Concentrez-vous d’abord sur les principaux actionnaires. Vous pourriez envisager de produire une présentation, de parler de votre gouvernance, de vos plans relatifs aux enjeux environnementaux et sociaux et des motifs qui vous ont poussés à amorcer ce dialogue. Peut-être même n’avez-vous pas encore de stratégie ESG; une foule de travaux de recherche peuvent être exécutés au préalable pour définir la position des actionnaires. Vous pouvez les consulter pour qu’ils vous aident à comprendre leur position. Adhèrent-ils à vos points de vue? Que souhaitent-ils? Je pense que ce genre de dialogue avec vos principaux investisseurs institutionnels est crucial et que la condescendance n’est pas de mise. L’activisme n’est plus l’apanage de vilains fonds de couverture new-yorkais qui veulent piéger les entreprises. L’activisme a radicalement changé. Des sociétés de capital-investissement font partie des activistes. Regardons ce qui se passe dans le contexte de l’activisme au Canada. La société de gestion de placements Letko n’est pas une nouvelle venue. CI a récemment lancé des initiatives et des actionnaires du secteur du commerce de détail font équipe. Le paysage a radicalement changé et vous auriez tort de balayer du revers de la main les revendications d’un groupe sous prétexte qu’il n’a pas assez de poids. Une fois que vous commencez à mettre en place une plateforme ESG, par exemple, ou une plateforme de gouvernance, vous pouvez faire connaître votre responsabilité sociale d’entreprise ou rendre compte de vos résultats en matière d’environnement. Je dis souvent que la circulaire d’information de la direction ne doit pas être juste un document juridique. Ce document vous offre la possibilité de communiquer chaque année avec vos actionnaires. Rendez-le intéressant, relatez l’histoire de votre entreprise, faites en sorte qu’il véhicule votre récit parce que les enjeux ESG ne vont pas disparaître. Ils sont là pour de bon. Il y a des embûches, c’est vrai. Oui, l’écoblanchiment est préoccupant. Mais c’est une réalité. Les stratagèmes d’écoblanchiment sont perçus, à tout le moins, comme des moyens d’atténuer les risques. Je pense que le CA doit relayer l’information à tous les actionnaires, peut-être de manière générale plutôt que dans le cadre d’entretiens individuels comme ce serait le cas avec quelques-uns des principaux actionnaires institutionnels.

TERESA TOMCHAK : Lorsque des préoccupations vous sont communiquées ou que vous entendez des rumeurs, l’information ne vous parvient parfois même pas directement. Comment recommanderiez-vous aux entreprises de réagir dans de telles circonstances?

DAVID SALMON : C’est intéressant. Je viens d’avoir des discussions au sujet de la vente à découvert et je vais emprunter les propos d’une personne que j’estime beaucoup. Quand faut-il déclencher l’alarme? Je pense que si vous entendez des commentaires de vos actionnaires ou de parties prenantes, vous devriez immédiatement déclencher l’alarme. Trop souvent, quand nous intervenons dans une affaire, nous constatons que le problème est présent depuis trois ou quatre mois, voire un an. Pourquoi tarde-t-on autant à agir? Je pense que les entreprises doivent accorder à ces problèmes toute l’attention qu’ils méritent. Soyez du bon côté de la loi, dialoguez avec les actionnaires, déterminez ce qui importe pour eux même si cela n’est pas pertinent, vous aurez au moins agi correctement, vous serez en bonne posture pour défendre vos actes. La condescendance jouerait contre vous. Vous vous attireriez de graves problèmes. À mon avis, vous devez procéder au cas par cas pour apporter des correctifs. Prenons un vendeur à découvert. Voulez-vous vous lancer dans une bataille publique avec lui? Il se pourrait que la situation s’envenime et que ce ne soit pas la meilleure conduite à tenir. Cela nous ramène aux solutions toutes faites. Je pense qu’il est nécessaire d’examiner le profil des actionnaires. Regardez qui sont les parties prenantes, les membres de la direction, les administrateurs et quelles sont les critiques qu’on vous adresse, puis intervenez adéquatement. Ayez minimalement un entretien individuel avec l’intéressé et, comme mes parents le disaient, si l'on a deux oreilles et une bouche, c’est pour écouter deux fois plus qu’on ne parle. Je pense que cette attitude est appropriée pendant l’entretien initial.

TERESA TOMCHAK : Vous recommandez de ne pas être condescendant, de ne pas suivre des règles préétablies et de traiter chaque cas en fonction des faits qui s’y rapportent. Je suis curieuse de savoir ce que vous pensez de ces entreprises américaines qui décident d’adopter une attitude belliqueuse envers leurs actionnaires. Elles ne se bornent pas à s’opposer à leurs propositions, mais tentent de les poursuivre en justice pour les mettre en échec. Je suis curieuse de vous entendre à ce sujet, en ce qui concerne les propositions d’actionnaires liées aux facteurs ESG.

DAVID SALMON : Bien, il n’est pas rare que cette approche soit utilisée aux États-Unis. Dans le domaine des fusions et acquisitions, dès qu’une opération de fusion et acquisition est annoncée, l’affaire devient litigieuse. Ce genre d’approche binaire qui a cours aux États-Unis ne me surprend pas outre mesure. Au Canada, les litiges sont généralement mal reçus lorsque vous figurez dans le dossier d’un activiste. Lorsqu’une entreprise décide d’attaquer ses actionnaires, je me prends à souhaiter qu’il y ait eu une amorce de dialogue, qu’il y ait eu des pourparlers, que l’entreprise ait tenté de parvenir à un règlement négocié avant de partir en croisade et d’intenter des poursuites. Je pense que cela ternit la réputation de l’organisation.

TERESA TOMCHAK : Lorsque vous parlez de règlement négocié, pensez-vous à la composition du CA ou à autre chose? Pouvez-vous nous donner des explications aussi précises que possible, sans toutefois entrer dans les détails des règlements confidentiels?

DAVID SALMON : D’après ce que nous avons pu voir, je dirais qu’au moins la moitié des dossiers d’activistes que nous avons traités ont été réglés à l’amiable. En fait, cette proportion est plus élevée; elle frôle probablement 60 %. Là encore, cela fait écho à ce dont nous avons parlé plus tôt. En somme, la plupart des gens adopteront une attitude rationnelle. Ils ne veulent pas que les différends portent atteinte à leur réputation. Or, les conséquences peuvent être extrêmement lourdes. Personne ne veut voir sa photo en première page du Globe and Mail. Il y a toujours une solution, selon moi, si l’entreprise agit de manière rationnelle et consulte ses conseillers. Dans de nombreux cas, la cible est le chef de la direction ou un administrateur; il est difficile d’empêcher une personnalité alpha de riposter. Peut-être est-ce possible. Du moins, je l’espère. La plupart de ces personnes sont des professionnels chevronnés, mais est-ce que ce sont les personnes les mieux placées pour négocier alors qu’elles sont les cibles des frappes? Je pense que les conseillers ont la possibilité d’avoir des entretiens rationnels, non seulement avec leurs clients prioritairement, mais aussi avec l’autre partie, pour déterminer ce qu’ils envisagent et comment parvenir à une solution acceptable pour tous, y compris tous les autres actionnaires.

TERESA TOMCHAK : Lorsqu’il y a des discussions avec les actionnaires, qui dirige généralement les échanges, est-ce l’entreprise? Est-ce vous? Est-ce un conseiller juridique? Et si c’est l’entreprise, qui précisément dans l’entreprise? Il se peut, là encore, que cela dépende de chaque cas, mais que pouvez-vous dire à ce propos?

 DAVID SALMON : En général, trois parties mènent les discussions. Je dirais qu’il s’agit généralement d’un administrateur ou d’un directeur, d’un cadre supérieur ou du chef de la direction, selon l’envergure de l’organisation. En l’absence de ces personnes, je pense qu’un conseiller juridique joue habituellement un rôle un peu plus actif et qu’il est à l’abri des attaques personnelles. Les conseillers juridiques obtiennent ordinairement de meilleurs résultats et proposent des solutions plus satisfaisantes. Dans de nombreux cas, les services de cabinets comme le nôtre sont retenus parce qu’ils travaillent dans ce domaine. Ils connaissent souvent les parties et sont par conséquent en mesure de négocier efficacement avec elles.

TERESA TOMCHAK : Dave, aimeriez-vous faire d’autres commentaires avant de conclure? Vous avez parlé de l’importance de dialoguer avec les actionnaires, sans embellir la réalité. Ce ne sont sans doute pas les mots que vous avez employés, mais les entreprises doivent éviter d’embellir la réalité et d’avoir une attitude condescendante envers les activistes. Aimeriez-vous ajouter quelque chose?

DAVID SALMON : J’ajouterais simplement qu’il faut bien sûr dialoguer et bannir toute condescendance. J’aimerais aussi insister sur un point : ce qui peut être mesuré peut être géré. Avant de divulguer une information, assurez-vous de bien en connaître la teneur et ne vous mettez pas en situation de vulnérabilité. Le cas échéant, veillez à rectifier le tir par la suite.

TERESA TOMCHAK : Dave, j’ai lu des articles au sujet de certaines agences de notation des facteurs ESG. Qu’en pensez-vous?

DAVID SALMON : Disons qu’elles peuvent être assez polarisantes. D’après les rapports les plus récents, on recense jusqu’à 250 agences de notation environ dans le domaine des facteurs ESG. Un article paru l’an dernier dans le Globe and Mail a fait état de disparités entre les notations attribuées aux entreprises canadiennes. Une même entreprise peut être notée 10 et 1 par deux agences différentes, ce qui montre que les notations peuvent être totalement contradictoires. Vis-à-vis des agences de notation, là encore, l’essentiel est de relater l’histoire de votre entreprise et de livrer votre propre récit. Ces agences prennent connaissance des documents que les entreprises publient et les utilisent tels quels ou les interprètent. Plutôt que de laisser une agence de notation relater l’histoire de votre entreprise, faites-le vous-mêmes, construisez votre récit et communiquez-le directement à vos actionnaires. Vous pouvez le faire lorsque vous interagissez avec les actionnaires. Vous pouvez aussi utiliser vos rapports sur la durabilité ou le climat ou encore votre rapport sur la RSE. Je pense cependant que les éléments que vous utilisez pour créer votre récit doivent coller à votre réalité. Il serait illusoire de vouloir effectuer le suivi des résultats des agences de notation puisqu’il y en a 250. Les entreprises n’ont tout simplement pas le temps ni les ressources nécessaires pour y parvenir. Je ne crois pas qu’il soit opportun de rendre compte des notes qui vous sont attribuées par une agence parce qu’une autre agence pourrait vous noter d’une manière opposée. Si vous voulez aller sur ce terrain, créez votre propre récit. Évidemment, comme je l’ai dit plus tôt, si vous avez l’intention de communiquer des informations... Teresa, vous en avez parlé clairement dans votre vidéo sur les conseils en matière d’activisme. Donc, si vous avez l’intention de rendre des informations publiques, assurez-vous d’effectuer un suivi, de communiquer des renseignements exacts et de continuer à divulguer des renseignements.

TERESA TOMCHAK : Que pensez-vous des agences de notation par opposition aux services-conseils en vote par procuration? Travaillent-ils de pair? Les entreprises devraient-elles accorder de l’attention aux unes de préférence aux autres? Comment leurs activités se recoupent-elles, si tel est le cas?

DAVID SALMON : Les services-conseils en vote par procuration attribuent leurs propres notes ESG et, à ce propos, l’ISS a récemment ajouté la notation de la cybersécurité à ses activités. Ils sont donc très actifs. Ils utilisent un système de pointage fondé sur les renseignements divulgués. Il y a toutefois beaucoup d’autres acteurs. Du côté des agences de notation, citons MCSI; il y a aussi de nombreuses autres agences de notation dont vous ne connaissez peut-être pas l’existence, à moins que votre entreprise ne soit abonnée à toutes les agences. Il y a donc une myriade d’agences de notation.

TERESA TOMCHAK : Est-ce que Glass Lewis a une agence de notation?

DAVID SALMON : Oui, absolument. De plus, GL effectue le suivi de vos notes ESG et exerce une surveillance à cet égard.

TERESA TOMCHAK : Les entreprises obtiennent-elles des notes à la fois d’ISS et de Glass Lewis?

DAVID SALMON : Ces informations figurent dans les rapports annuels. Si les entreprises produisent un rapport sur le vote des actionnaires, c’est-à-dire si elles font des recommandations relatives au vote, vous verrez les cotes de qualité attribuées par l’ISS et GL dans ces rapports.

TERESA TOMCHAK : Je suis intriguée par les disparités qui existent entre les 250 agences de notation dont vous avez fait mention. Y a-t-il des disparités aussi grandes entre les notations de l’ISS et de Glass Lewis ou leurs notations s’apparentent-elles davantage?

DAVID SALMON : Je pense que leurs notations sont généralement plus proches. Autant que je sache, leurs modèles ne sont pas très différents. Là encore, l’ISS et GL utilisent les renseignements rendus publics et les interprètent en fonction de leur modèle.

TERESA TOMCHAK : Bien. Merci, Dave. Je vous suis sincèrement reconnaissante de vous être joint à moi aujourd’hui et d’avoir répondu à toutes mes questions. Comme toujours, c’était très intéressant; merci.

DAVID SALMON : Quelle belle expérience! Merci de m’avoir invité. C’était très agréable.