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Nuisances pour le voisinage : la Cour d'appel de l'Ontario confirme que les nuisances doivent provenir du terrain d’un tiers

Auteur(s) : Paul Morassutti, Jennifer Fairfax, Daniel Kirby, Patrick G. Welsh

20 février 2015

Le propriétaire d'un bien-fonds a tenté de faire changer le droit en matière de nuisance en alléguant que les travaux d'assainissement effectués par le propriétaire antérieur étaient insuffisants et que cela constituait une entrave à l'utilisation et à la jouissance du bien-fonds. La Cour d'appel de l'Ontario s'est montrée en désaccord avec cette allégation et confirmé que pour qu'une réclamation soit défendable, la nuisance alléguée doit provenir d'un autre terrain que celui du demandeur.

Contexte

Dans French v. Chrysler (French), les demandeurs, les Chippewas de la Thames Land Claim Trust, ont poursuivi un certain nombre de parties, dont Chrysler, au sujet de la contamination alléguée par hydrocarbures de pétrole et amiante d’un bien-fonds situé à Sarnia, en Ontario connu comme étant la Holmes Foundry. Chrysler avait obtenu ce bien-fonds en 1987 et déclassé la Holmes Foundry en étroite consultation avec le ministère de l’Environnement de l’Ontario avant de la vendre à un promoteur en 1989. Les demandeurs ont acheté le bien-fonds auprès de ce promoteur en 1999. En 2005, ils ont déposé une réclamation contre le promoteur et Chrysler et allégué, notamment, qu’il y avait eu négligence dans le déclassement du bien-fonds. En juillet 2014, alors que le procès n’était pas encore commencé, les demandeurs ont demandé l'autorisation de modifier leur déclaration afin d'y ajouter une réclamation pour nuisance contre Chrysler. En août 2014, le juge saisi de la demande a rejeté celle-ci au motif que la réclamation pour nuisance décrite dans les modifications proposées n'était pas défendable en droit.

Éléments essentiels à une nuisance

Dans French, les demandeurs ont soutenu, devant le juge saisi de l’affaire et la Cour d’appel, que l’incapacité alléguée de Chrysler de déclasser la Holmes Foundry de façon appropriée constituait une entrave continue et permanente à l’utilisation et à la jouissance du bien-fonds et donc une nuisance. Après avoir examiné la jurisprudence portant sur les éléments essentiels à une nuisance, les demandeurs ont soutenu qu’aucune règle explicite n’exigeait que la nuisance provienne du bien-fonds d’un tiers. À ce sujet, les demandeurs ont évoqué la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Antrim Truck Centre c. Ontario (Transports), selon laquelle pour pouvoir présenter une demande fondée sur la nuisance privée, l'entrave à l'utilisation et à la jouissance du bien-fonds d'un demandeur doit être substantielle et déraisonnable (dans toutes les circonstances). De plus, les demandeurs ont mentionné la décision Morguard Real Estate Investment Trust c. ERM Canada Corp., dans laquelle le juge saisi de cette affaire a indiqué que les tribunaux s'étaient longuement prononcés sur la difficulté de fournir une définition exhaustive du délit de nuisance; que les catégories de nuisances n'étaient pas figées et que les principes de nuisance privée sont suffisamment souples pour englober des cas de nuisance moins typiques.

Dans French, le juge n’était pas d’accord avec la façon dont les Chippewas caractérisaient la nuisance et expliqué que pour donner de la cohérence à une jurisprudence par ailleurs confuse, il avait lieu d’appliquer le principe selon lequel la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres. Le juge a convenu que le défendeur ne devait pas nécessairement avoir la propriété des terrains adjacents ou les occuper pour être reconnu coupable de nuisance, mais il a conclu que la nuisance devait néanmoins provenir d’un autre bien-fonds que celui occupé par le demandeur.

La Cour d’appel de l’Ontario était d’accord avec ce juge et a rejeté l’argument selon lequel les demandeurs auraient tenté de modifier de façon fondamentale le droit en matière de nuisance. Le tribunal a expliqué qu’une nuisance possède [TRADUCTION] « certaines caractéristiques définies depuis longtemps que les tribunaux considèrent comme essentielles au délit. En particulier, la nuisance alléguée doit provenir d’un autre terrain que celui du demandeur. » Comme la réclamation présentée par les demandeurs ne possédait pas cette « caractéristique essentielle », elle n’avait aucune chance de succès raisonnable.

Analyse

La décision rendue par la Cour d’appel de l’Ontario est utile puisqu’elle clarifie un aspect du délit de nuisance qui, à ce jour, avait été très peu examiné par les tribunaux. En résumé, une nuisance doit provenir d’une autre source que le bien-fonds du demandeur. Ainsi, le propriétaire d’un bien-fonds qui présente une réclamation pour nuisance contre l’ancien propriétaire du même bien-fonds et qui allègue, par exemple, que les travaux d’assainissement qui ont été effectués à l’égard de ce bien-fonds étaient insuffisants aurait peu de chances d’obtenir gain de cause. Si la Cour d’appel avait rendu une autre décision, tous les anciens propriétaires du bien-fonds auraient pu s’exposer à des responsabilités importantes dans l’éventualité où un acte ou une omission de la part du propriétaire antérieur aurait été considéré comme une entrave substantielle et déraisonnable à l’utilisation et à la jouissance du bien-fonds par son propriétaire actuel – sans mentionner la menace importante qu’aurait posée une telle décision pour le principe du caveat emptor. Conjuguée à la décision de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse dans W. Eric Whebby Limited, la décision du tribunal met fin au concept de « voisin temporel » et exclut la possibilité pour le propriétaire actuel d’un bien-fonds de présenter une réclamation pour nuisance contre l’ancien propriétaire de celui-ci.

Certains corédacteurs du présent Actualités Osler sont des conseillers juridiques de NA Water Systems LLC, défendeur mis en cause.