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La Cour d’appel de l’Ontario confirme la tenue d’audiences de novo sur une demande visant à déterminer la compétence d’un tribunal arbitral en vertu de la Loi type

Auteur(s) : Lauren Tomasich, Andrea Korajlija

Le 15 juin 2023

Dans l’affaire Russian Federation v. Luxtona Limited,[1] la Cour d’appel de l’Ontario vient de confirmer que la Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international – qui est en vigueur en Ontario en vertu de la Loi sur l’arbitrage commercial international (la Loi type) – prescrit une audience de novo en vue de statuer sur une demande judiciaire visant à déterminer la compétence du tribunal arbitral à la suite d’une décision initiale du tribunal arbitral. Lors d’une audience de novo, les parties peuvent de plein droit produire des éléments de preuve, y compris des expertises sur le droit étranger, relativement à la question de la compétence.

Contexte

Luxtona, ancien actionnaire d’une société énergétique russe, allègue que la Russie a violé les dispositions du Traité sur la charte de l’énergie[2] relatives à la protection des investissements.

La Russie est signataire du traité, mais elle ne l’a pas ratifié. Luxtona soutient que la Russie a accepté d’appliquer provisoirement le traité, y compris ses dispositions en matière d’arbitrage (dans la mesure où cette application provisoire n’était pas incompatible avec la constitution, les lois et les règlements de la Russie). La Russie s’oppose à l’application provisoire, alléguant que les dispositions du traité relatives à l’arbitrage sont incompatibles avec le droit russe.

Le tribunal arbitral s’est déclaré compétent pour trancher les réclamations de Luxtona contre la Russie. Le tribunal arbitral a [Traduction] « siégé » à Toronto, de sorte que les tribunaux ontariens ont compétence sur l’appel de la décision initiale du tribunal arbitral sur la compétence.

Historique des procédures

La Russie a demandé à la Cour supérieure de l’Ontario d’annuler la sentence arbitrale.

La Russie a déposé de nouvelles expertises sur le droit russe à l’appui de sa demande, ce à quoi Luxtona s’est opposée. Le juge Dunphy inscrit au rôle commercial a conclu que la Russie pouvait déposer de nouveaux éléments de preuve en appel de la sentence arbitrale sur la compétence. 

L’affaire a ensuite été confiée au juge Penny, à qui les parties ont demandé de trancher des questions supplémentaires concernant les nouveaux éléments de preuve produits par la Russie. Le juge Penny a estimé que, en tant que juge de première instance, il n’était pas lié par la décision interlocutoire antérieure du juge Dunphy. Il a conclu que la Russie ne pouvait pas, de plein droit, déposer d’éléments de preuve concernant la demande et qu’elle ne pouvait le faire que si elle pouvait satisfaire au critère d’admission de nouvelles preuves en appel énoncé dans l’affaire Palmer c. la Reine[3] ou se prévaloir de l’une des exceptions au principe selon lequel le contrôle d’une sentence arbitrale a lieu sur la base du dossier dont est saisi le tribunal.

La Russie a fait appel de la décision interlocutoire du juge Penny refusant d’admettre les nouveaux éléments de preuve proposés à la Cour divisionnaire. La Cour divisionnaire a déclaré que le juge Penny était compétent pour réexaminer la décision interlocutoire du juge Dunphy, que les demandes d’annulation de sentences arbitrales sur la compétence donnaient lieu à des audiences de novo et que, par conséquent, les parties pouvaient, de plein droit, présenter des éléments de preuve non encore au dossier.

Luxtona a demandé et obtenu l’autorisation de faire appel de la décision de la Cour divisionnaire, lequel appel a, in fine, été rejeté par la Cour d’appel.

Le principe de compétence-compétence est une règle axée sur la priorité chronologique

La Cour d’appel a conclu que la Cour divisionnaire avait correctement appliqué le principe de compétence-compétence. Ce principe permet a) de combler un vide juridique tenant au fait qu’un tribunal arbitral qui s’estime incompétent ne serait pas habilité à rendre une sentence à cet effet, et b) de promouvoir l’efficacité en limitant la capacité d’une partie à retarder l’arbitrage en contestant la compétence du tribunal devant les tribunaux judiciaires.

Comme la Cour suprême l’a précisé dans l’affaire Dell Computers c. Union des consommateurs,[4] en règle générale, une contestation de la compétence de l’arbitre doit d’abord être tranchée par l’arbitre (ce qui fut le cas). Le principe de compétence-compétence n’exige pas que l’on fasse preuve d’une déférence particulière à l’égard de la détermination par un tribunal arbitral de sa propre compétence. Conformément à la jurisprudence du Royaume-Uni, de la France et de Singapour, le tribunal doit être libre de tout principe limitant sa capacité à établir les faits, puisqu’il conserve le dernier mot sur les questions de compétence.

Bien qu’il ne soit pas nécessaire d’appliquer à la lettre le critère de l’arrêt Palmer, lorsqu’une partie a pleinement participé à l’arbitrage, le fait qu’elle n’ait pas soulevé un élément de preuve devant le tribunal peut être pertinent quant au poids que le tribunal doit accorder à cet élément de preuve.

Solide consensus international en faveur d’une audience de novo

La Cour d’appel a jugé que la décision de la Cour divisionnaire était étayée par un solide consensus international en faveur d’une audience de novo, citant notamment l’arrêt de principe de la Cour suprême du Royaume-Uni, Dallah Real Estate and Tourism Holding Company v. The Ministry of Religious Affairs, Government of Pakistan.[5]

Dans l’affaire Dallah, les juges ont confirmé que les tribunaux ont pour pratique constante d’examiner ou de réexaminer eux-mêmes la compétence des arbitres. La Cour d’appel a souligné que plusieurs autres pays, dont Hong Kong, Singapour et l’Australie, ont explicitement approuvé et suivi le raisonnement des juges dans l’affaire Dallah.

L’article 34 de la Loi type est compatible avec la conclusion en faveur d’une audience de novo

Enfin, la Cour d’appel a conclu que la Cour divisionnaire n’avait pas commis d’erreur en se concentrant – selon les allégations de l’appelante – exclusivement sur l’article 16 de la Loi type et en ignorant l’article 34, qui régit les circonstances dans lesquelles un tribunal peut annuler une sentence arbitrale. La Cour divisionnaire a correctement interprété le paragraphe 16(3) qui prévoit une procédure de novo, plutôt qu’une révision ou un appel. Rien dans le libellé du sous-alinéa 34(2)a)(i) ou (iii) ne donne à penser que la nature de la procédure en vertu de ces dispositions est différente.

Principaux points à retenir

Lorsque le tribunal arbitral siège en Ontario, les parties à une convention d’arbitrage commercial international bénéficient désormais d’une plus grande certitude quant aux règles de procédure relatives à la preuve qu’un tribunal de l’Ontario appliquera pour trancher une demande d’annulation d’une sentence arbitrale sur la compétence en vertu de l’article 16. Les parties doivent se préparer à une audience de novo, ce qui peut inclure de produire de nouveaux éléments de preuve, qui n’avaient pas été présentés au tribunal arbitral, ou d’y répondre.


[2] 17 décembre 1994, 2080 UNTS 95.

[5] [2010] UKSC 46.