Passer au contenu

La Cour suprême de la Colombie-Britannique estime que la Province a l’obligation de consulter lorsqu’elle est saisie d’une demande touchant une tenure minière

Auteur(s) : Maureen Killoran, c.r., Richard J. King, Sander Duncanson, Sean Sutherland, Ankita Gupta, Marleigh Dick

Le 3 octobre 2023

Le 26 septembre 2023, la Cour suprême de la Colombie-Britannique (la Cour) a statué, dans l’affaire Gitxaala v. British Columbia (Chief Gold Commissioner)[1] (la décision), que la province de la Colombie-Britannique (la Province) avait l’obligation de consulter les groupes autochtones lors de l’enregistrement, en vertu de la loi intitulée Mineral Tenure Act[2] (la Loi sur les tenures minières ou MTA), de claims miniers situés dans leurs territoires traditionnels. La Cour a suspendu sa déclaration pour une durée de 18 mois afin de faciliter la conception d’un mode de tenure minière qui prévoit la consultation ou permet au gouvernement de modifier la MTA, au besoin.

La décision a d’importantes conséquences pour les modes de tenure minière au Canada et pour l’application de la loi de la Colombie-Britannique intitulée Declaration of the Rights of Indigenous Peoples Act (la DRIPA), que la Cour a interprétée pour la première fois dans le cadre de cette affaire.

Contexte

En Colombie-Britannique, l’exploration minière est réglementée par la MTA et la loi intitulée Mines Act (la Loi sur les mines ou MA). En vertu de la MTA, les « mineurs autorisés » (free miners) ont le droit de faire enregistrer des « claims miniers » situés sur des terres de la Couronne non revendiquées et de faire des travaux d’exploration minière préliminaires sur les terres visées. Aux termes d’un claim minier, un mineur autorisé peut prélever des échantillons en vrac pouvant atteindre 1 000 tonnes de minerai par année sur chaque parcelle d’un claim ou un échantillon en vrac de 10 000 tonnes de minerai sur l’ensemble du claim minier, en creusant des fosses, des tranchées ou des puits, en effectuant des échantillonnages géologiques à l’aide d’outils tels que des foreuses portatives, et en établissant sur la zone du claim un campement temporaire comportant des tentes, des roulottes ou des fourgonnettes de camping[3].

Le mineur autorisé qui souhaite poursuivre les travaux d’exploration doit demander un « bail minier » (mineral lease) en vertu de la MTA. Le paragraphe 42(1) de cette loi décrit les étapes à suivre pour convertir un claim minier en bail minier (c.-à-d. le paiement de droits, le levé des terres et la publication d’un avis). Si le Chief Gold Commissioner (le Commissaire de l’or en chef ou le CGC) est convaincu que toutes les exigences du paragraphe 42(1) de la MTA ont été remplies, il est tenu de délivrer un bail minier. Bien qu’un bail minier confère au preneur un droit exclusif sur les minéraux[4], il n’autorise aucune activité d’extraction[5]. Le mineur qui souhaite extraire des minéraux à l’échelle commerciale doit demander un permis en vertu de la MA[6]. Contrairement à un claim minier, un bail minier ne comporte pas l’obligation d’effectuer des travaux d’exploration pour demeurer en règle[7]. Une demande de conversion d’un claim minier en bail minier est généralement déposée en même temps qu’une demande de permis d’extraction en vertu de la MA[8].

Le régime actuel des claims miniers n’exige pas la consultation des Premières Nations au moment de l’enregistrement d’un claim minier.

Les requérants, la nation Gitxaala et la nation Ehattesaht (les Nations), ont fait valoir que l’absence de consultation de la part de la Province avant l’enregistrement de claims miniers en vertu de la MTA violait l’obligation de consulter prévue à l’article 35 de la Constitution du Canada et de la DRIPA de la Colombie-Britannique[9]. La Province a fait valoir qu’elle avait correctement « tracé la ligne » (drew the line) en exigeant la tenue d’une consultation à des étapes ultérieures du processus d’exploration minière, soit après que les travaux d’exploration préliminaires ont été couronnés de succès et que le mineur cherche à passer à un niveau d’exploration et d’extraction plus avancé.

La décision de la Cour

La Province a l’obligation de consulter

La Cour a statué que la Province avait l’obligation de consulter les groupes autochtones en vertu de l’article 35 de la Constitution. Conformément à deux décennies de jurisprudence émanant de la Cour suprême du Canada, l’obligation de consulter prend naissance lorsque la Couronne (en l’occurrence, la Province) a connaissance que : (1) un groupe autochtone a fait valoir une revendication sur un territoire, (2) la Couronne envisage de prendre des mesures, et (3) ces mesures sont susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur un droit ou une revendication autochtone[10].

La Province a concédé que les critères (1) et (2) étaient satisfaits. Elle a admis qu’elle avait une connaissance réelle des revendications des Nations sur les territoires faisant l’objet de la contestation et a admis que la décision de concevoir un régime permettant l’octroi de claims miniers sans consulter les Autochtones constituait des mesures prises par la Couronne[11].

En ce qui concerne le troisième critère, la Cour a statué que l’enregistrement des claims miniers avait un effet préjudiciable sur les zones revêtant une importance culturelle et spirituelle pour les Nations, ainsi que sur les droits revendiqués par les Nations d’être propriétaires des minéraux se trouvant sur leurs territoires revendiqués et d’en tirer un avantage financier, ce qui déclenche l’obligation de consulter[12]. La Cour a notamment noté que l’octroi d’un claim minier[13] :

a) confère le droit de retirer une quantité prescrite de minéraux de la zone visée par le claim, ce qui réduit la valeur du territoire et, par conséquent, a un effet préjudiciable sur les droits et titres autochtones;

b) transfère un élément de propriété des minéraux au titulaire de l’enregistrement. Comme les Nations ont fait valoir des droits sur ces minéraux dans cette affaire, il y a obligation de consulter avant de transférer ces droits à une tierce partie;

c) confère le droit exclusif de faire des travaux d’exploration minière dans la région, ce qui comporte un avantage financier et le droit de lever des capitaux par le biais d’opérations de placement, possibilité dont la Première Nation est privée;

d) confère au titulaire de l’enregistrement le droit de perturber la terre, ce qui, du point de vue des autochtones, a plus qu’un effet « insignifiant ou nul ».

Plusieurs de ces considérations semblent être fondées sur des zones où les groupes autochtones revendiquent des titres de propriété. Néanmoins, en discutant du concept d’« effet préjudiciable » (adverse impacts), la Cour a souligné qu’il devait être considéré « du point de vue de la Première Nation » (through the lens of the First Nation)[14]. Ce raisonnement a conduit la Cour à rejeter l’argument de la Province selon lequel les claims miniers avaient des effets physiques « insignifiants ou nuls » (nil or negligible) et à conclure au contraire que les activités autorisées, soit creuser des fosses, des tranchées ou des puits, effectuer des échantillonnages géologiques et/ou établir un campement temporaire pour les travailleurs, pouvaient avoir, d’un « point de vue autochtone », un effet préjudiciable qui déclenchait l’« obligation de consulter »[15]. Ce raisonnement est remarquable parce qu’il applique, sans doute, un point de vue subjectif au déclenchement de l’obligation de consulter de la Couronne lorsqu’il y a un risque d’« effet préjudiciable ».

En conséquence, la Cour a statué que la Province avait l’obligation de consulter les groupes autochtones lors de l’enregistrement de claims miniers en vertu de la MTA. La Cour a suspendu sa déclaration pour une durée de 18 mois afin de faciliter la conception d’un mode de tenure minière qui prévoit la consultation des Autochtones.

L’application de la DRIPA et de la Déclaration des Nations Unies

En plus d’invoquer l’article 35 de la Constitution, les Nations ont soutenu que la DRIPA et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (la Déclaration des Nations Unies) exigeaient que les Autochtones soient consultés avant l’enregistrement des claims miniers en vertu de la MTA. Après avoir noté que cette affaire constituait le premier examen judiciaire des effets juridiques de la DRIPA, la Cour a statué que les Nations n’avaient droit à aucune mesure de redressement en vertu de la DRIPA ou de la Déclaration des Nations Unies, car : (1) l’article 2 de la DRIPA n’a pas pour effet de transposer la Déclaration des Nations Unies dans le droit interne de la Province, et (2) l’obligation prévue à l’article 3 de la DRIPA de consulter les peuples autochtones, de coopérer avec eux et de prendre toutes les mesures nécessaires pour s’assurer que les lois provinciales sont conformes à la Déclaration des Nations Unies impose une coopération permanente entre la Province et les peuples autochtones pour déterminer quelles lois sont incompatibles avec la Déclaration des Nations Unies; elle ne permet pas à la Cour d’intervenir pour trancher unilatéralement la question[16].

Cependant, conformément à la loi de la Colombie-Britannique intitulée Interpretation Act, la Cour a utilisé la DRIPA pour interpréter la MTA. Ce faisant, la Cour a pu conclure que, en interprétant la MTA comme si elle permettait l’enregistrement de claims miniers sans aucune consultation préalable, la Province l’avait mise en œuvre de manière inappropriée.

Importance

Le raisonnement de la Cour selon lequel l’obligation de consulter de la Couronne s’applique à l’enregistrement de claims miniers pourrait s’appliquer à d’autres régimes similaires au Canada. Dans cette affaire, la Cour a expressément noté que, bien que les Nations aient demandé des mesures de redressement particulières pour chacun de leurs territoires revendiqués, la nature du contrôle judiciaire concernait une question plus vaste et systémique : l’effet physique et économique de l’octroi de droits miniers en vertu de la MTA, qui s’applique de manière générale à toute la Colombie-Britannique. La même logique pourrait s’appliquer à d’autres régimes de droits miniers.

De manière générale, en englobant les activités qui sont autorisées par la réglementation sans autorisation expresse de la Couronne et en tenant compte du risque d’« effet préjudiciable » du point de vue des groupes autochtones, la décision abaisse encore le critère, déjà minime, à remplir pour le déclenchement de l’obligation de consulter de la Couronne. Si le raisonnement de la Cour est adopté par les tribunaux du reste du Canada, il pourrait y avoir d’autres circonstances dans lesquelles l’obligation de consulter de la Couronne est déclenchée alors qu’elle ne l’était pas auparavant.

La décision est également remarquable parce que c’est la première fois qu’un tribunal de la Colombie-Britannique examine l’effet juridique de la DRIPA. La Cour a confirmé que la DRIPA et la Déclaration des Nations Unies devaient être utilisées comme des aides à l’interprétation tout au long du processus d’interprétation et ne devaient pas avoir un simple rôle de « confirmation » à la fin. Cet aspect de la décision de la Cour a fait l’objet de critiques importantes, notamment de la part du commissaire aux droits de la personne de la Colombie-Britannique, qui est intervenu dans l’affaire pour faire valoir que la Cour a un rôle à jouer dans l’application de la DRIPA (article en anglais seulement). Étant donné que les gouvernements de la Colombie-Britannique et du Canada mettent actuellement en œuvre des plans d’action pour la DRIPA et son équivalent législatif fédéral, nous nous attendons à ce que cette question fasse l’objet d’un débat animé à l’avenir.

Enfin, contrairement à d’autres décisions judiciaires qui ont annulé rétroactivement des autorisations ou interdit des activités futures après avoir conclu à une consultation insuffisante de la part de la Couronne, la Cour a estimé dans cette affaire qu’une déclaration était la mesure corrective appropriée. La Cour a choisi de ne pas accorder d’injonction ou d’autres mesures de redressement demandées par les Nations en raison de la nature « prospective » de l’obligation de consulter[17]. Cet aspect de la décision reflète une approche plus pragmatique que celle adoptée dans d’autres affaires pour remédier aux lacunes de la Couronne en matière de consultation.


[1] Gitxaala v. British Columbia (Chief Gold Commissioner), 2023 BCSC 1680 [Gitxaala].

[2] Mineral Tenure Act, R.S.B.C. 1996, c. 292.

[4] Gitxaala, par. 174.

[6] Mines Act, R.S.B.C. 1996, c. 293.

[8] Gitxaala, par. 174.

[9] Gitxaala, par. 1.

[10] Gitxaala, par. 16.

[11] Gitxaala, par. 105.

[12] Gitxaala, par. 14.

[13] Gitxaala, par. 396.

[14] Gitxaala, par. 326.

[15] Gitxaala, par. 395.

[16] Gitxaala, par. 14 et 488-489.

[17] Gitxaala, par. 15 et 546.