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L’OCDE publie des orientations sur une approche simplifiée et rationalisée en matière de prix de transfert (Montant B du Pilier UN)

Auteur(s) : Patrick Marley, Amanda Heale, Peter Macdonald, Oleg Chayka

Le 23 février 2024

Le 19 février 2024, le Cadre inclusif OCDE/G20 sur le BEPS (le Cadre inclusif) a publié un rapport sur le Montant B (le rapport sur le Montant B) qui fournit des orientations sur l’approche simplifiée et rationalisée (ASR) pour la fixation des prix de certaines transactions de commercialisation et de distribution de gros courantes (y compris les transactions d’agents commerciaux et de commissionnaires). Ces orientations sont intégrées aux Principes applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales de l’OCDE (les Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert) sous forme d’annexe au chapitre IV.

Le Pilier Un fait partie de l’initiative à deux piliers de l’OCDE et comporte deux éléments clés :

  • Montant A – réaffectation des droits d’imposition aux juridictions de marché où les clients sont situés, leur permettant d’obtenir une part des bénéfices résiduels d’une entreprise multinationale (EMN) entrant dans le champ d’application en vertu d’une convention multilatérale sur le Montant A (CML sur le Montant A)
  • Montant B – simplification de la fixation des prix de transfert de certaines activités de commercialisation et de distribution de gros de référence, qui fournit un rendement fixe tiré d’une matrice de fixation des prix qui est mise à jour de temps à autre

Dans une déclaration (Déclaration de résultat) rendue publique le 11 juillet 2023, le Cadre inclusif a indiqué que la CML sur le Montant A serait signée au plus tard à la fin de 2023. Lorsqu’il est devenu évident que le délai ne serait pas respecté, l’OCDE a publié une brève déclaration le 18 décembre 2023, annonçant qu’elle reportait le parachèvement prévu de la CML sur le Montant A à mars 2024. Il y a de fortes chances que la CML sur le Montant A ne soit pas parachevée dans les délais et même qu’elle ne soit jamais parachevée. En effet, les États-Unis ont un droit de veto sur sa ratification, et l’opposition politique aux propositions est vive dans ce pays.

Contrairement au Montant A, qui requiert une convention multilatérale distincte, le Montant B peut être mis en œuvre au moyen de la modification des Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert. La Déclaration de résultat précisait que le Cadre inclusif avait l’intention de parachever le rapport sur le Montant B et de l’intégrer aux Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert au plus tard le 31 décembre 2023. L’échéance n’a pas été respectée, mais l’objectif a été atteint.

Incidence du rapport sur le Montant B

Il est proposé que l’ASR soit facultative et que les pays puissent l’appliquer à compter du 1er janvier 2025. Les pays qui décident d’adopter l’ASR peuvent rendre son application par les contribuables obligatoire ou facultative. Autrement dit, un pays peut mettre en œuvre l’ASR en tant que méthode simplifiée de fixation des prix de transfert applicable aux transactions admissibles ou en tant que « régime de protection » effectif pour les contribuables qui choisissent d’utiliser l’ASR pour ces transactions. Il est possible que d’autres modifications soient apportées aux orientations relatives au Montant B. Le Trésor des États-Unis continue de militer en faveur d’une application obligatoire de l’ASR dans l’ensemble des pays.

Dans son document de consultation sur les prix de transfert rendu public le 6 juin 2023, le ministère fédéral des Finances a déclaré que le « Canada reste un participant actif [aux travaux sur le Pilier Un] et envisagera la mise en œuvre du Montant B une fois les propositions finalisées ». Les avant-projets de lois inclus dans le document de consultation (qui ne traitaient pas des méthodes simplifiées) n’ont pas fait l’objet d’un projet de loi, et le ministère des Finances n’a pas encore indiqué si le Canada rendra le Montant B facultatif ou obligatoire.

Transactions admissibles

Les deux types de transactions décrites ci-dessous peuvent être considérés comme des transactions contrôlées si elles respectent le critère de délimitation du champ d’application.

  • Transactions de commercialisation et de distribution dans lesquelles le distributeur grossiste achète des biens auprès d’une ou de plusieurs entreprises associées en vue de les distribuer en gros à des personnes non liées
  • Transactions d’agents commerciaux ou de commissionnaires dans lesquelles l’agent commercial ou le commissionnaire participe à la distribution en gros des biens d’une ou de plusieurs entreprises associées à des personnes non liées

Pour être admissible à l’application de l’ASR, une transaction admissible doit également respecter d’autres critères de délimitation du champ d’application :

  • La transaction admissible doit présenter des caractéristiques économiquement pertinentes pour que son prix puisse être établi de manière fiable au moyen d’une méthode unilatérale de fixation des prix de transfert, lorsque le distributeur, l’agent commercial ou le commissionnaire est la partie testée.
  • La partie testée ne doit pas engager de charges d’exploitation annuelles inférieures à 3 % ou dépassant à une limite supérieure comprise entre 20 % et 30 % de ses recettes nettes annuelles.
  • La partie testée ne doit pas exercer d’activités autres que de distribution en plus de la transaction admissible, à moins que la transaction admissible puisse être évaluée de manière adéquate sur une base distincte et que son prix puisse être déterminé de manière fiable séparément des activités autres que de distribution.

Conformément à l’approche adoptée dans les Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert en ce qui concerne l’ensemble des transactions contrôlées, les fonctions exercées, les actifs utilisés et les risques assumés par les parties doivent être analysés afin de déterminer si une transaction entre dans le champ d’application, notamment si la fonction de commercialisation et de distribution est assez courante pour que le prix puisse être établi de manière fiable au moyen d’une méthode unilatérale.

Seules les transactions de commercialisation et de distribution de gros peuvent être admissibles à l’ASR. Si un distributeur s’engage dans des activités de distribution en gros et au détail, il est réputé mener exclusivement une activité de distribution en gros à condition que la distribution au détail ne dépasse pas le seuil de minimis. En d’autres termes, la moyenne pondérée sur trois ans de ses recettes nettes provenant de la distribution au détail ne doit pas dépasser 20 % de la moyenne pondérée sur trois ans de ses recettes nettes totales.

La distribution de biens et de services incorporels est explicitement exclue des transactions admissibles, tout comme les transactions sur les produits de base.

Même si le champ d’application du Montant A se limite aux grandes entreprises multinationales ayant un chiffre d’affaires supérieur à 20 milliards d’euros, le rapport sur le Montant B ne comporte pas de limite semblable. Cette absence de limite est compatible avec le fait que le Montant B est une initiative de prix de transfert distincte qui n’a aucun lien avec le Montant A ni ne dépend de celui-ci. Le Montant B peut être entièrement mis en œuvre, qu’une CML sur le Montant A entre en vigueur ou non.

Méthode

Les orientations formulées dans le rapport sur le Montant B stipulent que la méthode transactionnelle de la marge nette (MTMN), avec le rendement des ventes comme indicateur du bénéfice net, est habituellement la méthode de prix de transfert la plus appropriée dans le cadre de l’ASR. Il est également possible d’utiliser la méthode des prix comparables non contrôlés (CUP) dans certaines situations lorsqu’elle « peut être appliquée de manière fiable et où les informations nécessaires sont facilement accessibles aux administrations fiscales et aux contribuables ».

Matrice de fixation des prix et procédure en trois étapes

Le rapport sur le Montant B décrit une matrice de fixation des prix qui est au cœur de l’ASR. La matrice fournit des résultats en matière de prix pour les transactions admissibles, exprimés par des rendements des ventes compris entre 1,5 % et 5,5 %, selon l’« intensité » de certains facteurs d’exploitation et les groupes industriels.

Les résultats en matière de prix pour le Montant B ont été déterminés au moyen de l’analyse d’un jeu de données financières mondiales de distributeurs choisis (ayant fait l’objet d’une analyse comparative) qui mènent des activités de commercialisation et de distribution de référence. Une annexe du rapport sur le Montant B énumère les critères de recherche de l’analyse comparative. Les rendements dans la matrice de fixation des prix visent à approximer les résultats de pleine concurrence pour les distributeurs admissibles et, par conséquent, à simplifier et rationaliser leur conformité au principe de pleine concurrence.

Le rapport sur le Montant B propose une procédure en trois étapes pour déterminer le taux de rendement approprié pour une partie testée qui participe à une transaction admissible au cours de l’exercice considéré :

  • Étape 1 – Déterminer le ou les groupes industriels de la partie testée parmi les trois groupes industriels indiqués. (Si plusieurs groupes s’appliquent, déterminer la proportion des ventes pour chaque groupe et utiliser une moyenne pondérée si les ventes des groupes sont de 20 % ou plus.)
  • Étape 2 – Déterminer lequel des scénarios d’« intensité factorielle », parmi les cinq indiqués, s’applique compte tenu de l’intensité des actifs d’exploitation rapportés au chiffre d’affaires et de l’intensité des charges d’exploitation rapportées au chiffre d’affaires de la partie testée.
  • Étape 3 – Déterminer la fourchette des rendements des ventes fournie dans la matrice qui correspond à l’intersection du ou des groupes industriels et de la classification de l’intensité factorielle de la partie testée.

L’emplacement de la transaction admissible sur la matrice de fixation des prix détermine si elle entre dans la fourchette de pleine concurrence de plus ou moins 0,5 % du pourcentage de rendement des ventes applicable.

Le rapport sur le Montant B prévoit l’ajustement du rendement des ventes déterminé par la matrice de fixation des prix dans deux cas. Au cours d’une « vérification par recoupement des charges d’exploitation », il est nécessaire d’ajuster le rendement des ventes lorsque le résultat des charges d'exploitation de la partie testée sort de la fourchette prédéfinie de « plafonnement » des charges d’exploitation. Le « mécanisme de disponibilité des données » est utilisé lorsqu’une partie testée est située dans une « juridiction qualifiée » pour laquelle il n’y a pas de données dans le jeu de données mondiales ou pour laquelle les données sont insuffisantes. Dans ce cas, un ajustement du rendement des ventes est effectué, en partie par référence à la notation de crédit souverain de la juridiction qualifiée. Les critères de « juridiction qualifiée » seront définis dans une mise à jour subséquente des orientations sur le Montant B.

Les fourchettes de rendements des ventes, la fourchette de plafonnement des charges d’exploitation et les « juridictions qualifiées » seront mises à jour tous les cinq ans, à moins (selon le réexamen annuel des données financières dans le jeu de données mondiales) qu’un changement important dans les conditions du marché ne justifie une mise à jour anticipée. D’autres points de données utilisés dans l’ASR (notamment celles utilisées dans le mécanisme de disponibilité des données) seront réexaminés chaque année et mis à jour au besoin.

Conformité et documentation

Un contribuable qui envisage d’appliquer l’ASR pour la première fois doit inclure dans son fichier local (ou d’autres documents pertinents) un consentement à l’application de l’ASR pendant une période d’au moins trois ans, sous réserve des exceptions prévues.

Les contribuables doivent disposer d’informations suffisantes et fiables pour permettre aux administrations fiscales de déterminer leur admissibilité à l’ASR et de vérifier leurs pratiques à cet égard, notamment une explication sur la délimitation de la transaction admissible, les contrats pertinents, les calculs relatifs à la détermination du chiffre d’affaires, des coûts et des actifs affectés ou attribués à la transaction admissible, ainsi que des informations et des tableaux de répartition montrant comment les données financières utilisées pour l’ASR sont liées aux états financiers annuels.

Prévention et règlement des litiges

Le fait que des pays puissent choisir de ne pas adopter l’ASR engendre des incertitudes et un risque inhérent de double imposition, étant donné que le résultat de l’ASR pour un pays participant n’est pas contraignant pour un pays non participant. Le rapport sur le Montant B comprend donc des orientations sur la gestion et le règlement de litiges potentiels, notamment dans le cadre de la procédure amiable prévue dans les conventions sur la double imposition, et charge le Groupe de travail 1 d’élaborer un texte approprié aux fins de commentaires sur le Modèle de convention fiscale de l’OCDE.

Le risque de double imposition et de litiges est censé être réduit pour certaines « juridictions à faible capacité » qui adoptent l’ASR. En introduction, le rapport du Montant B souligne que pour ces juridictions, tous les membres du Cadre inclusif s’engagent à respecter les prix de transfert obtenus et à éviter la double imposition même s’ils n’ont pas eux-mêmes adopté l’ASR (« sous réserve de leur législation et de leurs pratiques administratives nationales »). Le rapport sur le Montant B ne renferme aucune orientation précise ni liste des juridictions à faible capacité; d’autres mises à jour seront publiées plus tard cette année.

Le Cadre inclusif examinera également la possibilité de prendre des mesures additionnelles pour s’assurer que les résultats obtenus dans le cadre de l’ASR sont respectés et que la double imposition est évitée. Le rapport sur le Montant B précise que les arrangements préalables en matière de prix de transfert (APP) bilatéraux ou multilatéraux, les procédures amiables ou autres accords conclus avant la mise en œuvre de l’ASR sont valides en ce qui concerne les transactions admissibles, même dans les juridictions où l’ASR sera obligatoire.

Conclusion

Comme le rapport sur le Montant B a été publié peu après l’expiration du délai fixé pour le parachèvement des orientations sur le Montant B, une partie du travail reste inachevé (notamment les critères et les listes des juridictions à faible capacité et les juridictions qualifiées), ce qui a amené l’Inde, en particulier, à émettre des réserves.

Les entreprises multinationales qui exercent des activités au Canada sont susceptibles d’accueillir favorablement l’introduction de méthodes simplifiées et rationalisées de fixation des prix de transfert en général et l’adoption de l’ASR par le Canada, à condition que les options relatives à l’approche simplifiée et rationalisée soient facultatives.

Une certaine prudence s’impose toutefois. Le rapport sur le Montant B limite l’application de l’ASR aux situations où une analyse comparative soutient l’utilisation d’une méthode unilatérale de fixation des prix de transfert. Concrètement, cet exercice de simplification risque plutôt d’entraîner un changement d’orientation de l’activité d’audit et d’application (et la portée du débat et des litiges), en accordant moins d’importance aux études comparatives et en privilégiant l’analyse fonctionnelle nécessaire pour déterminer si les activités de commercialisation et de distribution respectent les critères des transactions admissibles. Le Canada et les autres membres du Cadre inclusif devraient être encouragés à poursuivre tous leurs efforts pour que des approches simplifiées et rationalisées en matière de prix de transfert soient adoptées et que les litiges au sujet des prix de transfert soient résolus en temps utile et de manière efficace.

Lectures complémentaires

Pour obtenir de plus amples renseignements sur l’approche reposant sur deux piliers de l’OCDE, les progrès réalisés vers le parachèvement du Montant A et du Montant B du Pilier Un, l’engagement du Canada à l’égard du Pilier Un et les faits nouveaux en ce qui concerne les prix de transfert au Canada, veuillez consulter les bulletins d’Osler traitant des sujets suivants :

  • 14 octobre 2020 (rapports directeurs sur la réforme fiscale internationale – Piliers Un et Deux)
  • 14 décembre 2020 (mémoire présenté par Osler sur les rapports directeurs de l’OCDE relatifs aux Piliers Un et Deux)
  • 12 octobre 2021 (déclaration sur la solution reposant sur deux piliers)
  • 21 décembre 2021 (avant-projet de loi concernant la TSN)
  • 28 mars 2023 (Info budget 2023 – Mise à jour sur le Pilier 1 et Pilier 2)
  • 12 juin 2023 (publication du document de consultation proposant des modifications aux règles canadiennes sur les prix de transfert)
  • 14 juillet 2023 (règle d’assujettissement à l’impôt et position du Canada à l’égard de la prorogation du moratoire sur la TSN)
  • 31 juillet 2023 (mémoire présenté par Osler en réponse au document de consultation sur les prix de transfert)
  • 10 août 2023 (projet de Loi de l’impôt minimum mondial [Canada] et révision des mesures législatives en matière de TSN)
  • 21 novembre 2023 (mise à jour concernant le projet du Canada d’instaurer une taxe sur les services numériques dans l’Énoncé économique de l’automne de 2023)
  • 1er décembre 2023 (perspectives juridiques d’Osler sur un projet de modification des règles sur les prix de transfert qui incorpore les concepts de l’OCDE dans les lois fiscales du Canada)
  • 4 décembre 2023 (projet de loi C-59 comportant une version révisée de la LTSN et des règlements connexes)
  • 21 décembre 2023 (L’OCDE rend publique la troisième série d’instructions administratives sur le Pilier Deux et confirme le retard par rapport à l’échéancier du Pilier Un)