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Indalex - priorités et déficits de liquidation des régimes de retraite

7 février 2013

Le vendredi 1er février 2013, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision fort attendue dans l’affaire Indalex Limited (Re), à la suite d’un appel d’une décision de la Cour d’appel de l’Ontario qui avait créé un climat d’incertitude commerciale à l’égard des opérations de financement. Le principal enjeu pour les prêteurs était un litige concernant la priorité d’une charge superprioritaire ordonnée par un tribunal à un prêteur qui avait fourni du financement de débiteur exploitant (« DE ») aux termes de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (« LACC ») du Canada sur des fiducies réputées en vertu de la Loi sur les régimes de retraite (« LRR ») de l’Ontario, relativement aux déficits de liquidation de régimes de retraite à prestations déterminées.

Les éléments clés de la décision de la Cour suprême sont les suivants* :

  1. Confirmation unanime de la priorité d’une charge ordonnée par un tribunal dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité en vertu de la loi fédérale sur les intérêts provinciaux de créances liées à des retraites;
  2. Affirmation de la vaste portée d’une fiducie réputée créée par une loi provinciale, qui s’étend à la valeur totale du déficit de liquidation lorsque le régime de retraite à prestations déterminées a été liquidé avant l’établissement des priorités;
  3. Énoncés concernant la mesure dans laquelle les tribunaux peuvent harmoniser le régime fédéral de priorité en matière d’insolvabilité aux termes de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (« LFI ») du Canada avec les priorités dans le cadre d’une procédure en application de la LACC;
  4. Élimination, dans ces circonstances, de l’incertitude suscitée par la Cour d’appel relativement à l’applicabilité des réparations en equity/fiducies par interprétation aux créances garanties.

Ces questions sont examinées plus en détail ci-après, suivies de quelques incidences concrètes de la décision.

Contexte

Indalex avait obtenu la protection contre ses créanciers sous le régime de la LACC. Dans le cadre de la procédure fondée sur la LACC, les bénéficiaires de deux régimes de retraite à prestations déterminées sous-capitalisés, offerts et administrés par Indalex, ont contesté une motion visant à distribuer le produit de la vente de l’actif de l’entreprise pour rembourser une créance garantie. La créance garantie était une charge bénéficiant d’une superpriorité ordonnée par un tribunal dans le cadre du financement DE fourni à Indalex. Il est important de noter que, dans cette affaire, il n’y avait pas de créances garanties antérieures qui entraient en concurrence avec la créance liée au déficit de liquidation, et aucune procédure de faillite n’avait été engagée par les créanciers DE garantis.

Les bénéficiaires ont fait valoir que l’actif d’Indalex d’une valeur égale au montant total du déficit de capitalisation (pas seulement les montants impayés qui devaient être payés) était réputé être détenu dans une fiducie établie conformément aux dispositions de la LRR, et que l’équivalent du produit de la vente devait être remis en priorité aux régimes de retraite, sans égard à la superpriorité de la créance garantie ordonnée par un tribunal. Les bénéficiaires ont également plaidé qu’il y avait des questions de gouvernance, d’obligation fiduciaire et d’avis inhérentes à la procédure d’Indalex en application de la LACC, ainsi que le traitement des intérêts de pension dans le cadre de celles-ci, qui justifiaient l’application d’une réparation en equity sous la forme d’une fiducie par interprétation ayant priorité sur la créance garantie. Le tribunal chargé d’appliquer la LACC a néanmoins approuvé la distribution pour rembourser la créance DE garantie.

La Cour d’appel de l’Ontario a infirmé la décision du tribunal chargé d’appliquer la LACC en déclarant que, à la liquidation d’un régime de retraite, les dispositions d’une fiducie réputée en vertu de la LRR s’appliquent à la totalité des montants requis pour liquider les obligations du régime de retraite, même si ces montants ne sont pas encore dus aux termes du régime ou des règlements. La Cour d’appel a indiqué que le montant de la fiducie réputée devait être payé en priorité sur le détenteur d’une charge DE superprioritaire sur l’actif d’Indalex, malgré l’ordonnance prononcée par le tribunal chargé d’appliquer la LACC créant la charge et indiquant qu’elle prend rang en priorité sur les fiducies « d’origine législative ou autre ». La Cour d’appel a également établi qu’Indalex avait manqué à ses obligations fiduciaires à titre d’administrateur des régimes (en partie en raison des mesures prises dans le cadre de la procédure en application de la LACC). S’appuyant sur ce constat, la Cour a imposé une fiducie par interprétation sur l’actif d’Indalex relativement aux déficits de liquidation des régimes, fiducie par interprétation qui prenait rang avant  la créance DE superprioritaire.

  1. Priorité de la charge DE superprioritaire ordonnée par le tribunal

La Cour suprême du Canada a confirmé à l’unanimité la compétence d’un tribunal à exercer l’autorité que lui confère la LACC pour accorder aux prêteurs DE une superpriorité ayant préséance sur un intérêt protégé par une fiducie réputée établie par une loi provinciale telle que la LRR. Cette décision reposait sur la doctrine de la prépondérance, qui règle les conflits d’application entre des lois provinciales et fédérales validement adoptées qui empiètent l’une sur l’autre dans des cas d’insolvabilité en faveur de la disposition fédérale.

Dans les motifs qu’elle a formulés, la Cour a expressément fait référence à l’ordonnance prononcée par le tribunal chargé d’appliquer la LACC, selon laquelle la charge DE avait priorité sur [TRADUCTION] « toutes les autres sûretés, y compris les fiducies, privilèges, charges et grèvements, d’origine législative ou autre ». Comme il était impossible de respecter à la fois la priorité de la fiducie réputée en vertu de la LRR et celle de la charge DE, la Cour a indiqué que la doctrine de la prépondérance s’appliquait ici et que la charge DE, ordonnée en application de la LACC fédérale, avait préséance sur la fiducie réputée créée en vertu d’une loi provinciale.

  1. Portée de la fiducie réputée

La Cour a affirmé à la majorité l’élargissement de la portée de la fiducie réputée créée par la LRR provinciale relativement à un régime de retraite liquidé, qui s’étend à la totalité du déficit de liquidation du régime de retraite, même si ces montants ne sont pas encore dus aux termes du régime ou des règlements. Dans les motifs qu’a donnés la juge Deschamp, ce constat s’appuyait sur l’interprétation de la loi, sur la portée élargie de la protection offerte aux termes de la fiducie réputée dans l’historique législatif de la LRR et sur la vocation réparatrice des dispositions de la LRR concernant la fiducie réputée, qui est de protéger les intérêts des participants des régimes.

  1. Application du régime de priorité en vertu de la LFI dans les procédures en application de la LACC

Comme nous l’avons mentionné plus tôt, il n’y avait pas, dans l’affaire Indalex, de créances garanties antérieures ni de procédure de faillite, et les questions portaient uniquement sur des régimes de retraite à prestations déterminées provinciaux (par opposition à d’autres sous régime fédéral). La Cour suprême avait toutefois formulé de brefs commentaires sur l’application de la doctrine de la prépondérance fédérale dans le cadre de procédures relevant de la LACC lorsqu’aucune ordonnance de faillite n’avait été prononcée. Ces commentaires, qui ne faisaient pas partie des motifs de l'arrêt portant sur la priorité, pourraient avoir une incidence sur certains jugements récents, y compris ceux de la Cour suprême, visant à freiner le « magasinage » de loi et à appliquer une interprétation harmonisée des deux principales lois canadiennes sur l’insolvabilité (la LACC et la LFI), en particulier en ce qui a trait aux droits de priorité.

  1. Aucune fiducie par interprétation imposée

La Cour a conclu à la majorité que bien qu’Indalex ait manqué à son obligation fiduciaire à titre d’administrateur des régimes, l’imposition d’une fiducie par interprétation ne constituait pas une réparation appropriée dans ce cas. Cette question de l’application des fiducies par interprétation, qu’avait soulevée la décision de la Cour d’appel, avait particulièrement inquiété les prêteurs, qui ont généralement besoin d’un certain niveau de prévisibilité sur des enjeux tels que la priorité.

Certaines considérations d’ordre pratique

À la suite des conclusions plutôt inattendues de la Cour d’appel de l’Ontario en avril 2011, des prêteurs qui avaient financé des entreprises ayant des régimes de retraite à prestations déterminées en Ontario ont souvent pris des mesures supplémentaires en vue de se protéger. Ces mesures comprenaient un plus grand contrôle préalable à l’égard des régimes de retraite à prestations déterminées, des modalités contractuelles plus strictes et, dans certains secteurs comme le financement reposant sur l'actif, en déduisant jusqu’à 100 % du déficit de capitalisation d’un régime de la disponibilité des facilités de crédit applicables. Dans d’autres cas, l’accès au crédit s’est resserré en raison de l’incertitude entourant ces questions, entre autres dans le cas des entreprises à la recherche de financement DE dans le contexte d’une procédure en application de la LACC.

Même si le bref obiter dictum mentionné précédemment peut effectivement susciter certaines inquiétudes quant à la subordination automatique des fiducies réputées visant les déficits d’un régime dans le cadre d’une procédure en application de la LACC, la Cour, dans l’affaire Indalex, n’a pas traité expressément de la capacité d’un créancier garanti de présenter une motion en vue d’engager une procédure de faillite suivant l’échec d’une tentative de restructuration ou d’une liquidation en application de la LACC, une stratégie courante et efficace utilisée avec l’approbation du tribunal dans les cas d’insolvabilités par les créanciers garantis cherchant à « inverser les priorités ». La Cour s’est plutôt demandé si une motion présentée par le débiteur – en l’occurrence Indalex en vue d’autoriser la cession de ses biens en faillite (en partie afin d’inverser les priorités) constituait un manquement à l’obligation fiduciaire d’Indalex à l’égard des bénéficiaires des régimes. Il est donc probable que la jurisprudence antérieure qui permet à un créancier garanti de déposer une motion pour faire lever une suspension sous le régime de la LACC et de demander la mise en faillite d’un débiteur pour inverser les priorités demeure en vigueur.

Maintenant que la question de la « réparation en equity » ne se pose plus, nous pensons que les prêteurs qui font des prêts reposant sur l’actif se sentiront beaucoup plus à l’aise de financer des entreprises ayant des régimes de retraite à prestations déterminées provinciaux (par opposition à d’autres sous régime fédéral) en situation de déficit et qu’ils ne déduiront pas automatiquement la totalité de ces déficits de la disponibilité. Nous nous attendons plutôt à ce que les prêteurs qui font des prêts reposant sur l’actif évalueront les incertitudes qui persistent au cas par cas. De telles considérations comprendront certainement une plus grande probabilité qu’un contrôle complet de l’encaisse sera exigé, et qui devra se poursuivre durant toute tentative de restructuration, pour assurer que les avances antérieures (dont la priorité ne peut être établie par une ordonnance d’un tribunal de la même façon que des avances DE) seront remboursées et que tous les décaissements requis pendant la restructuration profiteront de la protection de l’ordonnance DE comme dans l’affaire Indalex.

Nous prévoyons également que les prêteurs continueront d’inclure des déclarations, garanties et engagements semblables (y compris des déclencheurs de manquement et des interdictions relativement aux liquidations et à la création de nouveaux régimes de retraite à prestations déterminées) et de profiter de la sûreté prévue par la Loi sur les banques fédérale en autant que possible, comme ils le faisaient avant la décision de la Cour suprême.

Il est encore tôt, mais, dans un contexte d’insolvabilité, nous prévoyons une augmentation du nombre de plans de restructuration « clés en main » structurés selon les procédures de proposition en vertu de la LFI, sous l’insistance des prêteurs et des parties offrant du financement provisoire dans des situations d’insolvabilité, puisque la mesure qui s’applique par défaut dans le cas de l’échec d’une tentative de restructuration est la faillite (et la probabilité relativement élevée que les priorités en vertu de la LFI s’appliquent), et non une motion contestée pour lever une suspension des procédures dans le cadre de la LACC,  pour permettre qu’une faillite s’ensuive pour assurer l’application des priorités établies par la LFI.


* Même si l’enjeu ne touche directement pas les prêteurs, la décision de la Cour suprême du Canada a créé une certaine incertitude quant au moment où un régime doit être liquidé pour que la fiducie réputée en vertu de la LRR s’applique dans le contexte d’une procédure relevant de la LACC. La Cour a conclu à l’unanimité que la fiducie réputée en vertu de la LRR visant les déficits de liquidation ne s’appliquait pas au seul régime de retraite d’Indalex qui n’avait pas été liquidé au moment en question. Cependant, l’incertitude demeure selon nous en ce qui concerne la détermination du moment où un régime doit être liquidé pour que la fiducie réputée en vertu de la LRR s’applique dans le contexte d’une procédure relevant de la LACC, et en ce qui concerne les restrictions qui pourraient exister relativement à la liquidation d’un régime ordonnée par un organisme de réglementation des régimes de retraite après le début d’une procédure en application de la LACC. Comme le moment de la liquidation d’un régime peut avoir une incidence sur l’ampleur du déficit du régime et sur la priorité des paiements au titre de ce déficit, nous devrions assister à d’autres débats au cours de procédures en vertu de la LACC dans des cas où un organisme de réglementation des régimes de retraite cherche à ordonner la liquidation d’un régime, et ce, jusqu’à ce que ces questions soient clarifiées.

Groupe des services financiers
Pour en savoir plus, veuillez communiquer avec Kevin J. Morley, associé, Services financiers, Scott Horner, associé, Services financiers, ou Richard M. Borins, associé, Services financiers.

Groupe Insolvabilité et restructuration  
Pour en savoir plus, veuillez communiquer avec Edward Sellers, associé, Insolvabilité et restructuration, ou Michael De Lellis, associé, Insolvabilité et restructuration.