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Quand un défendeur peut-il en appeler de l’autorisation d’une action collective? La Cour d’appel du Québec se prononce

Auteur(s) : Éric Préfontaine, François Laurin-Pratte, Jessica Harding

Jan 11, 2017

Le nouveau Code de procédure civile, en vigueur depuis le 1er janvier 2016, est venu modifier le régime de l’action collective de façon importante. Par l’introduction de l’article 578 C.p.c., le législateur permet maintenant au défendeur* de demander la permission d’en appeler de l’autorisation d’une action collective. Devant le laconisme de l’article 578, quelle est donc l’étendue de ce nouveau droit d’appel? Quelles conditions le défendeur doit-il remplir pour que la Cour d’appel accepte de réviser la décision du juge autorisateur?

Dans son arrêt Centrale des syndicats du Québec c. Allen, 2016 QCCA 1878 (arrêt Allen), la Cour d’appel du Québec précise l’étendue de nouveau droit d’appel, et surtout, détermine l’analyse applicable à une demande de permission d’en appeler de l’autorisation d’une action collective. Avant de s’attarder à cette analyse, il convient de rappeler brièvement le contexte dans lequel s’inscrit cet arrêt.

Contexte

Le litige découle d’une éclosion de légionellose à Québec à l’été 2012, laquelle aurait fait, selon la demande, plusieurs victimes, dont certaines seraient décédées. La demanderesse, dont le mari est décédé des suites d’une infection à la légionellose, demande à la Cour supérieure l’autorisation d’intenter une action collective pour le compte des victimes de l’éclosion, de même que leurs conjoints, héritiers, ayants droit et aidants naturels. Selon elle, les défendeurs, dont divers intervenants en matière de santé publique, seraient responsables des dommages découlant de l’éclosion et de sa gestion inadéquate.

La Cour supérieure a rendu jugement le 24 février 2016 autorisant l’action collective. S’appuyant sur le nouvel article 578, les défendeurs ont tenté d’obtenir la permission d’en appeler de ce jugement, ce qui a mené à l’arrêt Allen.

Analyse applicable à la permission d’en appeler

D’emblée, la Cour d’appel rejette l’idée d’appliquer l’un ou l’autre des articles 30, 31 et 32 C.p.c., lesquels prévoient le droit d’appel à l’encontre d’un jugement final, d’un jugement rendu en cours d’instance et d’une mesure de gestion. La Cour conclut que ces articles concernent des décisions dont la nature diffère de celle du jugement d’autorisation. L’application des critères d’appel qui s’y rapportent limiterait indûment le nouveau droit d’appel de l’article 578, créant le risque de permettre des actions collectives qui n’auraient jamais dû voir le jour.

Ainsi, l’article 578 prévoit un droit d’appel autonome, dont les conditions d’exercice lui sont propres. La Cour prend acte de la volonté du législateur de rétablir l’équilibre entre le demandeur et le défendeur en ce qui a trait au droit d’appel, mais aussi de sa volonté de maintenir une certaine asymétrie. C’est pourquoi le demandeur bénéficie d’un appel de plein droit d’une décision refusant d’autoriser une action collective, alors que le droit du défendeur à l’égard du jugement d’autorisation est soumis à la permission de la Cour d’appel.

Au final, la Cour identifie trois catégories d’erreurs permettant au défendeur, dans des cas exceptionnels, d’obtenir la permission :

  1. Le jugement autorisant l’action collective paraît comporter, à sa face même, une erreur déterminante quant à l’interprétation des critères d’autorisation de l’action collective énoncés à l’article 575 C.p.c.;
  2. Le jugement paraît comporter, à sa face même, une erreur déterminante quant à l’appréciation des faits relatifs à ces critères d’autorisation; ou
  3. Il s’agit d’un cas flagrant d’incompétence de la Cour supérieure.

Conclusion

En définitive, la Cour d’appel refuse d’accorder les permissions demandées, les défendeurs ayant fait défaut de démontrer l’existence d’une erreur manifeste eu égard aux critères d’autorisation. On doit noter que la Cour d’appel a également refusé les permissions demandées dans les affaires Énergie éolienne des Moulins, s.e.c. c. Labranche, 2016 QCCA 1879 et Duproprio inc. c. Fédération des chambres immobilières du Québec (FCIQ), 2016 QCCA 1880, décidées de façon concomitante à l’arrêt Allen.

Commentaires

Nous retenons de l’arrêt Allen que la Cour d’appel reconnaît l’importance du mécanisme d’autorisation de l’action collective. Cette importance justifie d’accorder un véritable droit d’appel, quoique limité, permettant au défendeur de contester une application erronée des critères d’autorisation par la Cour supérieure.

La Cour d’appel vient ainsi tempérer, en quelque sorte, les remarques incidentes qu’elle a formulées à peine un mois plus tôt dans l’affaire Charles c. Boiron Canada inc., 2016 QCCA 1716 (arrêt Boiron). Dans cette affaire, la Cour d’appel, sous la plume de la juge Bich, critique sévèrement le fonctionnement de l’actuel mécanisme d’autorisation. Elle va jusqu’à évoquer l’idée de son abolition. Dans son élan, le plus haut tribunal de la province qualifie d’« insaisissables » les raisons ayant poussé le législateur à accorder au défendeur le droit d’appel sur permission qui est maintenant le sien aux termes de l’article 578 (arrêt Boiron, au par. 72). Or, dans l’arrêt Allen, la Cour d’appel réitère l’importance d’assurer, par un véritable processus d’autorisation préalable et un droit d’appel bien défini, « qu’une action collective ne procède sur une base erronée, évitant ainsi aux parties d’être entraînées dans un débat judiciaire, long et coûteux » (arrêt Allen, au par. 60).

* Bien que, techniquement, l’article 578 accorde aux deux parties un droit d’appel sur permission du jugement autorisant l’action collective, ce droit sera en pratique utilisé par le défendeur.