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Associé, Litiges, Montréal
Avocat-conseil, Litiges, Montréal
Il est de la nature du contrat de franchise que le franchiseur exerce un certain contrôle sur la façon dont le franchisé exploite son entreprise. Cependant, comme en fait foi l’arrêt de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Comité paritaire de l'entretien d'édifices publics de la région de Québec c. Modern Concept d'entretien inc., 2017 QCCA 1237, un contrôle trop serré peut entraîner des conséquences indésirables pour le franchiseur. En effet, la Cour d’appel confirme à la majorité qu’un tel contrôle serré peut mener, dans certains cas, à la qualification du franchisé comme salarié au sens de la Loi sur les décrets de convention collective (la Loi), et conséquemment, à l’assujettissement du franchisé aux conditions de travail décrétées en vertu de cette Loi.
Contexte
L’intimée-franchiseur, Modern Concept d’entretien inc. exploite un réseau de franchises dans le domaine de l’entretien ménager de bureaux d’édifices publics et parapublics. Le réseau fonctionne selon un modèle dit « tripartite ». Dans un premier temps, le franchiseur signe un contrat d’entretien avec un donneur d’ouvrage. Dans un deuxième temps, le franchiseur cède ce contrat à l’un de ses franchisés, avec le consentement du donneur d’ouvrage, afin que le franchisé fournisse les services requis selon les modalités prévues au contrat d'entretien. Les modalités des services de même que leur coût sont négociés entre le franchiseur et le donneur d’ouvrage, sans intervention du franchisé. Par ailleurs, le franchiseur demeure lié par le contrat d’entretien cédé au franchisé.
L’un des franchisés, M. Bourque, exploite avec l’aide de sa conjointe une entreprise d’entretien ménager. Il se joint au réseau comme franchisé le 1er janvier 2014. Le 31 mai 2014, après la cession de cinq contrats d’entretien, M. Bourque, insatisfait de la rentabilité de l’entreprise, met fin au contrat de franchise.
Le litige découle de l’intervention du Comité paritaire de l'entretien d'édifices publics de la région de Québec (le Comité). Selon le Comité, le franchisé était un salarié au sens de la Loi. Il avait donc droit au salaire minimum fixé par le Décret sur le personnel d’entretien d’édifices publics de la région de Québec (le Décret). Le Comité réclame du franchiseur le paiement de salaires et congés annuels impayés entre janvier 2014 et mai 2014.
Motifs et conclusions
La principale question en litige est la suivante. Le franchisé est-il un « salarié » au sens de la Loi? La Loi a de particulier qu’elle définit le salarié comme excluant l’entrepreneur indépendant, mais incluant l’artisan. Ici, le franchisé était-il artisan visé par la définition de salarié de la Loi, ou plutôt un entrepreneur indépendant exclu de cette même définition?
En première instance, la Cour du Québec qualifie le franchisé d’entrepreneur indépendant n’étant pas assujetti au Décret et rejette la réclamation du Comité. Cette décision est infirmée par une majorité de la Cour d’appel, laquelle en arrive à la conclusion opposée.
D’emblée, la majorité précise qu’il est acquis au débat que la notion d’artisan ne suppose pas de lien de subordination, tout comme c’est le cas de l’entrepreneur indépendant. Ce qui est au cœur du débat est plutôt ce qui distingue l’artisan et l’entrepreneur, à savoir que l’entrepreneur indépendant, au contraire de l’artisan, assume le risque de l’entreprise et, par ailleurs, est rémunéré pour ce risque.
Afin d’identifier la partie assumant le risque d’entreprise dans cette affaire, les juges majoritaires analysent l’opération par laquelle les contrats d’entretien sont cédés au franchisé. Une cession parfaite aurait pour effet de libérer le franchiseur cédant, tandis qu’une cession imparfaite laisserait persister un lien contractuel entre le donneur d’ouvrage et le franchiseur.
La majorité conclut qu’il s’agit d’une cession imparfaite, puisque le franchiseur demeure une partie au contrat d’entretien cédé. En effet, le contrat d’entretien prévoit spécifiquement que le franchiseur demeure entièrement responsable envers le donneur d’ouvrage de l’inexécution ou l’exécution fautive du contrat. Du fait de cette responsabilité envers le donneur d’ouvrage, le franchiseur exerce, conformément au contrat de franchise, un contrôle et une surveillance particulièrement serrés de l’exécution du contrat d’entretien par le franchisé.
À ce sujet, la majorité précise que le modèle d’affaires développé par l’intimée-franchiseur se démarque du modèle de franchise traditionnel. Le contrôle exercé par l’intimée-franchiseur dépasse sur les plans économique et juridique ce qui est nécessaire pour simplement assurer la protection du réseau de franchises. À cet égard, la Cour retient les facteurs suivants :
- Le franchisé n’a pas le contrôle effectif de la gestion de son entreprise;
- La rémunération du franchisé est versée par dépôt direct par l’intimée-franchiseur, plutôt que directement par le donneur d’ouvrage, lequel paie plutôt l’intimée-franchiseur;
- L’intimée-franchiseur a cessé, à un certain moment, de verser la rémunération du franchisé pour des raisons liées à la qualité des services rendus au donneur d’ouvrage par le franchisé;
- L’intimée-franchiseur, avant de verser la rémunération du franchisé, prélève les sommes dues par ce dernier à titre de redevances ou autres frais prévus au contrat de franchise;
- Le franchisé doit remplir des fiches techniques périodiques afin que l’intimée-franchiseur puisse contrôler le travail accompli;
- Le franchisé a peu de contact avec le donneur d’ouvrage, la négociation du contrat d’entretien ayant lieu entre l’intimée-franchiseur et le donneur d’ouvrage sans intervention du franchisé;
- Les contrats d’entretien n’appartiennent pas au franchisé, mais plutôt à l’intimée-franchiseur, lequel en conserve le contrôle effectif en empêchant, dans le contrat de franchise, le franchisé d’en disposer à sa guise et s’octroyant le droit de les reprendre.
Ces facteurs amènent la majorité à conclure que c’est l’intimée-franchiseur, et non le franchisé, qui assume le risque d’entreprise. La cession imparfaite des contrats d’entretien fait en sorte que le franchiseur demeure directement responsable vis-à-vis du donneur d’ouvrage, alors que le franchisé bénéficie d’une autonomie réduite. Pour le risque d’entreprise, le franchiseur reçoit d’ailleurs une rémunération appréciable (c.-à-d. 43% des ventes brutes des contrats d’entretien).
Puisque le risque d’entreprise repose sur le franchiseur, et non sur le franchisé, ce dernier est visé par la définition d’artisan, et par le fait même, de salarié au sens de la Loi. Le franchisé est donc assujetti aux conditions salariales fixées en vertu de la Loi et la réclamation du Comité est fondée.
Commentaires
Cet arrêt montre que les tribunaux conservent un large pouvoir leur permettant de qualifier une relation d’affaires. Il nous rappelle que les parties ne peuvent se lier par un contrat de franchise seulement pour éviter l’application de la Loi. Peu importe l’intitulé du contrat, les tribunaux s’en remettront aux droits et obligations qui en découlent, de même qu’aux circonstances de la relation d’affaires, pour décider de l’application, notamment, des lois du travail ou des lois fiscales.
Enfin, il est important de noter que la notion de « salarié » de la Loi n’est pas la même que celle du droit commun, bien que les propos de la majorité de la Cour d’appel risquent de trouver écho dans d’autres affaires où les tribunaux auront à décider si un franchisé se qualifie, par exemple, d’employé au sens du Code civil du Québec ou encore de salarié au sens de la Loi sur les normes du travail.